Hier soir, en famille, nous avons été pleinement satisfaits puisque Alain Juppé n’a pas été élu président tandis que François Fillon a, selon ce que j’en pense, survolé victorieusement, non seulement la première étape, mais aussi la seconde en une seule foulée : comment pourrait-il être relégué dimanche prochain alors qu’il bénéficie du désistement de Nicolas Sarkosy et qu’il devance son rival de seize points ? (J’ai regretté que Jean-Frédéric Poisson n’ait pas eu l’opportunité heureuse d’entrer dans la course, mais j’espère qu’il se fera suffisamment connaître en vue des élections de 2021…)
Pourquoi suis-je hostile au maire de Bordeaux ? Parce que je discerne en lui une ambition bien éloignée de celle que l’on attendait, viscéralement toute vouée à la France, ce qu’il me semble par contre reconnaître chez le vainqueur. Je regarde ce visage aux rares sourires, fort crispé quand il en vient à lancer avec rage le mot « combat » : je constate son visible étonnement de n’avoir pas été le « bon élu » et sa volonté pleinement déterminée, pour êtres exact ‘’hussardienne’’ (si j’ose ainsi néologiser), de remporter ce « combat » par un « knokoute » mortel. L’expression a été mille fois applaudie par les jeunes soutiens du vieux Bordelais, mais que penser d’une troupe d’auxiliaires, pour l’instant infiniment novices en la matière ?
Certes, une élection parfois peut s’apparenter à une lutte entre guerriers, parfois même à une « rage » significative d’un profond étonnement, d’une déception sans pareille, mais quelle explication devrait alors être données à ces expressions ?
Je suis, il est vrai, très sensible aux intonations, car elles font saisir le sens véritable des mots prononcés : ici, c’était bien la volonté d’écraser dimanche prochain celui qui avait osé l’emporter hier. (François Fillon aurait-il volé incorrectement la place réservée par les sondages au prétendu meilleur des deux, c’est-à-dire qui vous savez ? Aurait-il promis de renier le mariage déjà fêté des homosexuels ? Aurait-il trouvé quelque astuce scandaleuse pour satisfaire aussi bien la belette que le lapin ?)
Il ne convient pas que ledit « combat » à la Juppé – où des affirmations proches du mensonge ne sont pas sytématiquement repoussées – soit pour l’essentiel le fruit d’une ambition dévorante : il m’a semblé, seulement semblé entrapercevoir qu’il s’agissait d’un tel orgueil affreusement blessé, d’un tel désir farouche de s’élever enfin vers des hauteurs qui lui furent jusque-là refusées ; d’une telle faim de l’emporter sur un destin dont les chutes furent trop funestes ! Ne convenait-il pas de s’en venger une fois pour toutes ? D’éliminer ainsi l’antique adversité ? Pourtant elle ne regardait en rien son rival prétendu chanceux alors qu’il a dût sa victoire à un travail de longue haleine…
Ah ! Ai-je entendu Monsieur Juppé s’exprimer sur la France ; donner sur elle une vision digne de l’événement ; faire entendre à ce socle de plus de quatre millions d’électeurs qu’ils ne peuvent et qu’il ne doivent qu’aimer ce pays qui est le leur, cette nation qui est leur berceau, ce vieux et jeune peuple qu’ils forment depuis tant de siècles, n’attendant au vrai que d’être poussés vers les sommets des gloires anciennes et nouvelles, grisés par les musiques de leur Histoire toujours à faire entendre et grandir ; faire comprendre à ces citoyens chaleureux qu’ils ne doivent que rejeter les affligeants « mea culpa » multipliés par des socialistes toujours à frimer sur leur plateaux mélancoliques : tout cela en vue notamment de les exalter au moins ce jour-là au point même d’accepter sans broncher les épreuves à venir, les travaux qui attendent à nos portes dès aujourd’hui mais qui seront demain les critères du retour de la France !
Exemple de mauvaise foi : il faut admirer l’aplomb des porte-paroles d’Alain Juppé qui cherchent à discréditer le nouveau Président en critiquant la diminution prévue des fonctionnaires en oubliant la remontée du temps de travail de 35 à39 heures, sans laquelle évidemment il serait impossible de réaliser cette nécessaire réforme. Ce qu’il faut craindre de leur part en la semaine qui vient ce sera peut-être, côté bordelais, les volées habiles mais infondées de critiques de tout type, en vue d’aveugler les électeurs, alors allègrement poussés à renoncer d’aller voter.
Est-ce être de bonne foi que de biaiser la discussion de la politique économique, alors que d’avance Alain Juppé a rayé, d’un ‘’nul’’ rageur, le nom de son rival ? Il est vrai qu’il est d’un côté à ce point persuadé que son adversaire est sans qualité qu’il se croit victime du vote perdant pour lui, et d’un autre que c’est une folie de ne l’avoir pas choisi lui alors qu’il est indubitablement, croit-il, supérieur à ce rival de rien du tout.
L’impression dominante est loin d’être favorable : ne serait-ce que d’avoir donné au mot « combat » une accentuation des plus déplaisante. Un « combat » suppose de chercher à écraser qui s’oppose, de tenir pour « ennemi » plus que simple candidat celui qui fait courir le risque majeur que ne soit pas empochée la victoire ! En somme, guerroyer rudement plutôt que d’attendre, dans une paix réciproque, le verdict des urnes.
Certes, l’un des deux a vote gagné tandis que le second aurait mieux fait de déclarer dès hier soir que les jeux étaient faits et qu’il pouvait donc dimanche prochain décider d’aller paisiblement à la pèche aux goujons dans les eaux de la Garonne.