Sur le fait de n’être pas troublé par la Transcendance - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Sur le fait de n’être pas troublé par la Transcendance

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Dans son Essai « Que veut-on dire par Occident chrétien » (Dans la collection ‘tradition un défi’) Josef Pieper a écrit : « Une religiosité qui ne se préoccuperait d’aucun devoir envers le monde, ne serait pas occidentale ; de même, une existence terrestre qu’aucun appel de l’au-delà ne troublerait ». Pieper avait probablement l’Islam en tête dans la première alternative. C’est la deuxième que je veux envisager ici.

Les mots de Pieper sont précis. Le monde est occupé et productif, absorbé par les choses matérielles. Ce monde a connu autrefois la transcendance. Cela a donné naissance à des cathédrales et à des manuscrits inspirés que tout le monde admire encore. Le monde actuel en a entendu parler. Mais il les a mis de côté. L’appel demeure. Les âmes maintenant n’en sont pas troublées.

Que pouvons-nous déduire de ce « pas troublées » ? Dans d’autres contextes, on nous dit de ne pas laisser nos cœurs « être troublés » (Jean XIV , 1) Le monde a été vaincu. Il nous faut garder la paix intérieure même dans les pires calamités. Nous devons être prêts à être haïs sans raison.

Pieper fait une distinction entre ce qui se passe dans le monde, et ce qui vient d’ailleurs. Ce qui se passe peut être vraiment mauvais, mais ne devrait pas nous prendre complètement par surprise. C’est l’appel qui vient d’au-delà du monde qui devrait nous déranger. Dieu n’est pas dans le monde et n’en fait pas partie. Le monde n’a aucun besoin d’exister, mais de fait, il existe.
Dans un de ses livres précédents, le commentaire sur le Phèdre de Platon, Pieper parle de la curieuse nature de notre existence dans le monde. Nous pouvons vivre des vies parfaitement tranquilles et heureuses. Nous pensons que nous maîtrisons tout. Mais tout à coup, sans qu’on sache d’où cela provient, quelque chose arrive dans notre monde qui trouble ou renverse toutes nos assurances ou tous les projets que nous avions faits. Personne ne peut prévoir ou contrôler cet inattendu, quelle que soit notre volonté de dominer nos contingences.

Ce qui arrive, cela peut être un décès, une autre personne, une guerre, une maladie, même, dans le cas de Saint Augustin, le fait de lire un livre, ou un verset des Ecritures. Ce qui est frappant, c’est la soudaineté avec laquelle nous sommes « retournés », pour reprendre une phrase de Socrate.

Le mot employé par Pieper est « Appel », un appel « d’au-delà du monde ». On entend l’appel. C’est-à-dire que les gens l’entendent et savent ce qu’il veut dire. Mais cela ne les  « trouble » pas. C’est-à-dire qu’ils ne sont pas « retournés ». Ils ne sont pas « convertis ».

Examinons la situation de plus près. A l’Eglise, nous entendons parler de quelque chose qui s’appelle : « cercles de ré-évangélisation ». Ce n’est pas destiné à des païens, à des musulmans ni à des Taoïstes ou des Hindous. Ceux-ci ont besoin, si possible, « d’évangélisation », pas de « ré-évangélisation ». Cependant, il est probablement vrai que leurs propres voix, à l’intérieur ou à l’extérieur d’eux-mêmes, les empêchent d’entendre cette autre voix qui les appelle.

« L’appel » (la loi, le monde) vient de Sion (Isaïe II 3) Quel est cet appel, cette voix ? Et là, je me tourne vers Benoit XVI, le plus perspicace des papes. Nombreux sont ceux qui « n’écouteront pas » ses paroles qui les « appellent » sous prétexte qu’il est pape. Franchement, ce n’est pas une raison valable, pas digne de l’intelligence humaine.

Dans le Deutéronome, les autres nations seront édifiées en voyant comment sont vécues les paroles de Yaweh. Dans l’Exode, on nous dit que le vrai nom de Dieu est « Je suis qui Je suis. »Quand Paul parcourait le monde païen, il était « appelé », non pas en Inde ou en Perse ou en Egypte, mais en Macédoine. Pourquoi ? demande Benoit XVI. Parce que la Grèce était le domaine de la philosophie et de la raison.

On ne peut pas surestimer l’importance de cet « appel ». Cela signifie rien de moins que ceci : La révélation contient en elle-même une « raison » qui peut être reconnue aussi bien par les Juifs que par les Gentils, et sur laquelle tous peuvent construire. La révélation n’est pas hostile à la raison. En plus, la « raison » que l’on trouve dans l’Ancien Testament, est complétée par le « Logos » que l’on trouve dans le Nouveau.

Saint Augustin nous dit dans les « Confessions », que dans Platon, il a trouvé la « parole », mais pas la « Parole faite Chair ». Platon nous a enseigné que l’âme était « immortelle » parce qu’elle connaissait la « parole ». Mais c’est Aristote qui nous a dit que nous n’étions pas seulement une « âme ». Aussi n’est-ce pas surprenant que le pilier central de la révélation soit la Résurrection de la Chair.

Du coup, j’en conclus que « l’appel d’au-delà du monde » signifie justement que la révélation et la raison sont destinées à s’accorder. « N’être troublé » par aucune de ces vérités à y bien réfléchir, équivaut à nier que nos esprits soient des esprits.

Quand nous sommes sourds à « l’appel d’au-delà du monde » notre « raison » cesse d’être raisonnable. Aujourd’hui, nous n’appelons plus cela « occidental », mais « Post-moderne ». Nous nous retrouvons avec l’indifférence de l’Islam envers le monde et avec la loi d’Allah. En n’entendant pas l’appel d’au-delà du monde, il ne nous reste qu’un volontarisme qui ne connait aucune parole, qu’elle soit, ou non, faite chair.

15 septembre 2015

Photo : Joseph Pieper

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/09/15/on-being-undisturbed-by-transcendence/