Dans les années 90, le P. Sébastien, comme je l’appelais il y a encore quelques mois, préparait un doctorat de théologie morale à l’Institut catholique de Toulouse. Déjà à cette époque, il se passionnait pour la bioéthique et le statut de l’embryon. C’était aussi mon cas. De passage à Paris, il voulut me rencontrer et nous eûmes une bonne conversation sur le sujet. C’est ainsi que nous fîmes connaissance.
Quelques années plus tard, apprenant que j’avais publié un roman1, il m’écrivit pour me demander de le lui envoyer, parce qu’au Congo où il était retourné, on ne le trouvait pas ; il m’envoyait de son côté son propre roman, Enfer mon ciel2. Amusée par cette convergence d’intérêts qui nous tournait tous deux vers la littérature, je dévorai cette histoire passionnante et magnifiquement africaine qui contait les mésaventures d’un « Zadilandais », émigré clandestin écartelé entre la misère de son pays et le rêve occidental, entre l’Afrique qu’il devait fuir et la France qui le repoussait.
Par la grâce d’internet, nous restâmes en contact de façon sporadique. Il y eut une seconde rencontre, autour d’un café, dans un bistrot proche de l’Institut catholique de Paris. Je venais de publier un livre sur l’embryon dans les sources grecques, et lui multipliait les études bioéthiques. Ce jour là encore, notre convergence de vues fut totale. C’est pourquoi, lorsqu’au début de cette année il m’envoya le manuscrit de La Bioéthique en Afrique, en me demandant d’en faire une préface, j’acceptai aussitôt. Je terminais cette préface quand le P. Sébastien m’apprit qu’il venait d’être nommé évêque auxiliaire de Kinshasa. C’est donc le livre de Mgr Sébastien Mulombe que j’ai eu l’honneur de préfacer.
La Bioéthique en Afrique. Y aurait-il une bioéthique propre à l’Afrique ? une éthique propre aux peuples africains ? Certes non ! il n’y a qu’une éthique, les valeurs morales sont universelles. Mais avec l’histoire qui lui est propre, l’Afrique a sa pierre à apporter à l’édification d’une bioéthique universelle.
L’Occident a apporté beaucoup de techniques qui ont fait progresser la médecine et le bien-être ; mais l’éthique correspondante y a souvent un temps de retard. L’Afrique, qui reçoit en même temps le progrès technique et la réflexion éthique sur ce sujet, a l’opportunité d’aborder les deux ensemble et d’apporter une réflexion neuve.
Car l’Afrique a gardé une sagesse proprement humaine que nous avons perdue en route. Mgr Sébastien l’exprime en ces phrases qui ponctuent son livre comme un leitmotiv :
En Afrique Noire la vie est un don.
Quand elle s’annonce, on l’attend.
Et lorsqu’elle arrive, on l’accueille.
Quand elle s’incline, on la redresse.
Et lorsqu’elle s’en va, on l’accompagne.
C’est cela notre Serment d’Hippocrate.
C’est cela notre l’Evangile de vie.
C’est cela notre bioéthique.
Avec autant de légitimité que l’Occident, la bioéthique africaine se fonde sur deux héritages : celui d’Hippocrate et celui de l’Évangile (ou, dirions-nous ici, de la tradition judéo-chrétienne). La sagesse des Grecs et la sagesse biblique.
Deux exemples, aux deux pôles de l’existence humaine :
« La femme africaine qui opte pour l’avortement ne nie pas le caractère humain de l’embryon. » Quand la vie arrive, on l’accueille ; mais quand on ne peut pas l’accueillir, pour toutes sortes de raisons impératives, on ne dit pas qu’elle n’a pas existé, au risque d’introduire dans la psychologie collective un refoulé mortifère.
« Quand la vie s’en va, on l’accompagne ». Faute de techniques sophistiquées, on ne voit pas en Afrique d’agonisants maintenus artificiellement en vie : les soins palliatifs y sont une démarche naturelle où la mort n’est pas l’échec absolu qu’il faut repousser, mais tout simplement la fin de la vie.
Mais Mgr Sébastien n’emprisonne pas la bioéthique dans l’éthique des biotechnologies ; il la situe dans une dimension plus large : la bioéthique comme éthique de la vie. Il dépasse le domaine bio-médical pour replacer l’homme (avec son corps souffrant) dans une vision globale de la société humaine, telle qu’elle existe en Afrique aujourd’hui. « Il nous paraît scandaleux, écrit-il, de parler d’éthique véritable là où la majorité des peuples croupit encore sous le poids de l’ignorance et de la misère. (…). Comment planifier les naissances, lutter efficacement contre la pandémie du VIH/SIDA et autres IST là où la majorité des femmes est encore analphabète et où très souvent, c’est la ‘politique du ventre’ qui dicte le comportement sexuel ? Comment améliorer les relations entre le médecin et son patient là où celui-ci paraît détenir tout le pouvoir et celui-là ignorer même le plus infime de ses droits ? » Il serait absurde de défendre tel ou tel comportement éthique en un domaine particulier, en l’isolant d’un projet d’ensemble pour la société. Ce qui ne vaut d’ailleurs pas que pour l’Afrique.
Mgr Sébastien a entrepris de baliser les chemins de la recherche d’une contribution proprement africaine à l’entreprise bioéthique. Il faut saluer ce livre où s’expriment à la fois une profonde connaissance des problématiques bioéthiques les plus contemporaines et une non moins profonde connaissance des spécificités africaines, à la fois philosophiques, économiques et sociales.
On l’aura compris : ce petit livre est un grand livre. A lire par tous ceux qui aiment l’Afrique, et tous ceux qui s’intéressent aux questions éthiques.
Marie-Hélène Congourdeau
Mgr Sébastien Muyengo Mulombe, La Bioéthique en Afrique: Pourquoi, Pour qui, Comment ?, Éditions universitaires européennes, 2012 (ISBN-13: 978-3-8417-9338-6).
Pour aller plus loin :
- Conclusions Synode pour l'Afrique
- Message final du Synode pour l'Afrique
- Jean-Paul Hyvernat
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Eléments d’anthropologie philosophique permettant de comprendre l’humanité de l’embryon - l’être en puissance, actualité et information