Ferdinand Brunetière : Discours de combat – Première série, introduction par David Mascré, Editions de l’Infini 61, rue du Jard 51100 Reims, www.editions-infini.fr , contact : infini.editions@gmail.com. Livre disponible en adressant un chèque de 31€ (27€ + 4€ de frais de port) à l’adresse ci-dessus ou en commandant l’ouvrage à partir du site.
BRUNETIÈRE ET L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉGLISE
“Nous habitons une maison dont les fondements branlent […] et on commence à se demander avec un peu d’inquiétude où nous logerons” écrit Ferdinand Brunetière (1849-1906) en 1888 dans Questions de critique, quelques années avant d’entamer, en 1896, une série de conférences qu’il rassemblera en trois volumes de 1900 à 1907 sous le titre Discours de combat, dont David Mascré vient de rééditer la première série.
Pour ce critique littéraire, devenu maître de conférence à l’Ecole normale supérieure, aussi admiratif de Rome et de l’âge classique qu’opposé au romantisme – il critiquera un projet de monument à la gloire de Baudelaire – et au naturalisme – il écrira Le Roman naturaliste hostile à Zola, écrivain contre lequel il sera élu à l’Académie française au premier tour en 1893, l’année même où ce vieux collaborateur de la Revue des Deux-Mondes en devient le directeur -, il s’agit de repérer les maux qui menacent la civilisation et de poser les conditions de son relèvement, en commençant, écrit David Mascré dans sa préface, «par consolider nos principes fondateurs en nous les réappropriant. » Un de ces maux, c’est la politique anticléricale du pouvoir : « en quelques années, écrit encore David Mascré, c’est l’ensemble de l’équilibre politique, social et institutionnel patiemment institué par le dix-neuvième siècle qui est réduit à néant.”
Aussi, pour lutter contre ces menaces, Brunetière se multiplie-t-il en conférences et en déplacements, en vue de dénoncer ce qu’il considère comme les “trois idéologies malfaisantes” de la modernité : l’individualisme, le socialisme et le relativisme, l’individualisme, prométhéen en son essence, constituant comme la matrice des deux autres idéologies en ce qu’il nuit à la cohésion familiale puis sociale et nationale. Sur le socialisme, Brunetière est plus modéré car le socialisme n’est pas nécessairement opposé à la nation ni aux valeurs chrétiennes, et David Mascré d’évoquer notamment l’évêque de Mayence qui écrit à la même époque : “Supprimer tous les moyens de protection, laisser l’homme, avec toutes ses différences naturelles et sociales, concourir chaque jour avec tous ses semblables, est un vai crime contre l’humanité ! ” Une première occurrence, catholique, de la notion de crime contre l’humanité, malheureusement promise à un si grand avenir… ! On ne saurait prononcer condamnation plus définitive des fondements du libéralisme – la concurrence et la lutte pour la vie, théorisée à partir de Hobbes et qui trouvent, au XIXe siècle, dans une certaine interprétation du darwinisme, un fondement scientifique, voire biologique – que récusera avec force Brunetière en même temps que le scientisme et le racisme. En des propos très actuels, Brunetière dénonce la loi de la concurrence vitale et la “hideuse religion du succès”, s’opposant en cela à Nietzsche et à un certain Renan. Il refuse également la prétendue nécessité des lois de l’économie, que Marx, en bon …libéral, théorisait et dont il faisait le moteur de l’histoire.
De fait, ce qu’il dénonce dans le socialisme, c’est sa dérive vers l’internationalisme, qui constitue une sorte de religion, et les rêves de fraternité universelle – on pense à Hugo, évidemment -, issue de l’individualisme – ubi sum bene, ubi patria, devise qui entraîne au relativisme puisque finalement l’individu, en se faisant la mesure de toute chose, désigne le bien à son aune.
Comme l’écrit encore le préfacier, « socialisme et libéralisme ne sont que deux faces d’une même et une unique médaille. Deux visages complémentaires d’une même et unique hydre : le relativisme qui lui-même s’enracine dans le nominalisme», dont on peut ajouter qu’il est la philosophie mère de l’individualisme. S’en étonner, du reste, c’est «oublier qu’il existe entre socialisme réformateur et libéralisme financier une étroite parenté qui remonte à leur constitution même comme mouvement politique et comme doctrine économique. Internationalisme socialiste et affairisme capitaliste forment un parfait ménage. Et un couple d’autant plus dangereux qu’il s’en prend directement à l’âme de la France et aux esprits des Français». Dans une note postérieure à sa conférence sur la renaissance de l’individualisme, Brunetière ne flétrit-il pas ceux qui pensent, avec le journal Le Siècle, que “dans les civilisations basées sur la science, la production et l’échange, le grand ressort moral est la concurrence économique” et ne traite-t-il pas les députés républicains de “Homais”, le pharmacien dans Mme Bovary, qui trouvera dans un anticléricalisme haineux une raison – médiocre – de se hisser au-dessus de sa propre médiocrité ? – Sur ce sujet, il est impératif de relire Le XIXe siècle à travers les âges du regretté Philippe Muray.
Brunetière, un des fondateurs de la Ligue de la Patrie française (dont le général de Castelnau sera beaucoup plus tard président), plaide pour une tradition vivante, qui assume toute l’histoire nationale. Opposé à la réduction de la nation à la Révoluton, l’âme de la France se nourrit pour lui à une triple tradition : militaire, littéraire et intellectuelle, spirituelle ou religieuse. Certes, le statut de la religion catholique, consubstantielle au génie national, demeure historique aux yeux de notre critique, tant que celui-ci n’aura pas franchi le pas de la conversion. Ce sera chose faite en 1902. Brunetière fait partie de ces écrivains, rationalistes ou non, qui, à l’orée du XXe siècle, se tournent de nouveau vers une Eglise conquérante, en pleine renaissance intellectuelle. Toutefois, avant même de se convertir, il écrira déjà dans sa conférence sur Les Ennemis de l’âme française : “Partout où j’ai passé, j’ai pu constater que le catholicisme c’était la France, et la France c’était le catholicisme.” Là encore, face au communautarisme ambiant, les propos de Brunetière apparaissent d’une brûlante actualité. On comprend pourquoi David Mascré évoque “l’unité intime et pourtant mystérieuse qui s’opère depuis le commencement des temps entre l’économie de la Révélation et l’économie de la civilisation”.
Axel Tisserand
On lira un entretien sur Brunetière entre David Mascré et Axel Tisserand dans France Catholique n°3178.