Le sas chauffé est équipé d’une alarme. Le gouvernement italien de centre gauche souhaite que chaque hôpital en soit équipé, comme la polyclinique Casilino, près de Rome. Dans cette zone à forte population immigrée, les affiches, en six langues dont le chinois et le roumain, proclament : “N’abandonnez-pas votre bébé, confiez-le-nous”.
Technologie mise à part, on revient deux cents ans en arrière, à l’époque d’une Europe où de nombreux enfants seuls errent dans les villes. Réapparus en France au début du XIXe siècle, les tours d’abandon ne fonctionnent alors que pendant une soixantaine d’années avant la création des “bureaux d’admission”. Jusqu’à la Révolution, l’abandon d’enfant faisait l’objet de déclarations et d’enquêtes. Rendu libre par la loi du 21 juin 1793, il est à nouveau soumis, en 1796, au contrôle de l’administration, au prix d’une recrudescence de la mortalité infantile.
Les troubles révolutionnaires, les guerres, les disettes provoquent de nombreux abandons. Le sort de ces nouveau-nés émeut alors comme émeut encore aujourd’hui celui des bébés qu’on retrouve épisodiquement dans les églises quand ce n’est pas dans les poubelles, pas toujours vivants. En 1804, un administrateur de l’hôpital de la Charité de Lyon décrit la situation : “Les pères et mères que la misère ou d’autres motifs déterminent à abandonner leurs enfants (…) les délaissent dans les carrefours, dans les allées, parmi les décombres des démolitions, le plus souvent sur le banc de pierre placé à la porte même de l’hospice”. Ainsi est motivé le premier tour lyonnais. Les pouvoirs publics apportent leur caution : un décret impérial du 19 janvier 1811 rend les tours obligatoires, mais ne sera jamais vraiment appliqué.
L’origine du dispositif est bien plus ancienne, et semble déjà… italienne. Comme le raconte l’Histoire de l’Hôpital de la Charité de Lyon publié en 1934 : “Des pêcheurs ayant, en 1204, retiré du Tibre dans leurs filets, de nombreux cadavres de nouveau-nés, le pape Innocent III, vivement affecté, destina aux enfants abandonnés l’hôpital de Sainte-Marie in Sassia. ‘’Au dehors de cet hôpital, il y avait un tour avec un petit matelas dedans pour recevoir les enfants exposés’’, rapporte le père Hélyot. A Marseille, vers 1306, l’Hôtel-Dieu ‘’ouvrait sa fenestre accoutumée pour la réception des enfants trouvés’’.
Maints hôpitaux français sont donc équipés pendant la première moitié du XIXe siècle d’un dispositif cylindrique permettant aux mères désirant garder l’anonymat d’y laisser leur enfant en sécurité. Elles le déposent dans l’ouverture sur la rue, sonnent une cloche et tournent l’appareil. Une sœur vient aussitôt recueillir le nourrisson. A Macon, on peut encore voir un tonneau en bois encastré dans le mur de l’hospice à la verticale. Destiné à protéger l’enfant des intempéries et de la voracité des chiens errants, ces guichets sont vite suspectés de déresponsabiliser les mères, et de “favoriser le vice”.
Dans un rapport adressé en 1818 au préfet du Rhône, on dénonce “l’habitude contractée par le peuple de se débarrasser de ses enfants, les perfides conseils des accoucheuses qui attirent chez elles les filles enceintes et se chargent d’exposer les enfants et surtout le concubinage qui règne dans les classes ouvrières. On se prend, on se quitte, et l’on forme de nouvelles liaisons sans scrupule, sans pudeur et avec plus de facilités que dans les pays non chrétiens où le concubinage est autorisé par les lois. Rarement conserve-t-on plus d’un enfant, les autres sont exposés”.
Pour ses détracteurs, le tour est aussi un alibi pour cautionner l’infanticide, les enfants laissés sans soins, déjà morts ou mourants y sont déposés. Mais d’autres femmes glissent dans les langes des nouveau-nés des médailles, gardant l’espoir de leur identification, voire d’une future restitution. Leur cœur n’est pas différent de celles qui, aujourd’hui, bénéficient de l’accouchement sous X, et peuvent laisser une lettre donnant “au cas où” certaines indications.
Les termes du débat sont aujourd’hui presqu’inchangés. Est-ce pour cela que le musée d’Histoire de la médecine de la ville de Rouen, spécialisé dans l’accouchement et la petite enfance envisageait il y a peu de préempter un “rare tour d’abandon du XVIIIe siècle” exposé dans la vitrine d’un antiquaire ? Las, ses experts ont déchanté : il s’agissait d’un magnifique tabernacle.
Tugdual DERVILLE