Cinq jours après avoir donné naissance, à 43 ans, à sa petite fille, le garde des Sceaux était bravement sur le pont, se rendant à pied au Conseil des ministres, perchée sur ses hauts talons. Rachida Dati invoque la tradition familiale : sa propre mère avait fort à faire avec chacun de ses douze enfants. Pour elle, la grossesse n’est simplement pas une maladie.
Une controverse sur cette reprise immédiate du travail ministériel s’est cependant ouverte. Certains, comme l’ancien ministre des Sports Jean-François Lamour, louent la « prouesse » de la « jeune mère ». Maternelle, Roselyne Bachelot a offert la première layette. Des féministes-radicales se réjouissent du « courage » de Rachida Dati : Isabelle Alonzo, des Chiennes de garde, considère qu’elle montre la capacité des femmes à être mère tout en travaillant au plus haut niveau. Dans le Journal du Dimanche Ségolène Royal, qui a aussi connu la maternité ministérielle sans pause, fait aussi connaître son soutien. Mais d’autres observatrices estiment que cet exemple, en laissant croire qu’on peut traverser la maternité sans s’y arrêter, « dessert la cause des femmes » selon l’expression de Sophie de Menthon. La présidente du mouvement Ethic (Entreprise de taille humaine indépendante et de croissance) souligne qu’un patron risquerait la prison s’il reprenait dans son entreprise une collaboratrice si tôt après son accouchement. Comment, d’un côté, vouloir renforcer les droits des femmes à concilier vie familiale et vie professionnelle, grâce à une protection sociale lorsqu’elles sont enceintes et à des congés maternités respectueux de la nature et, de l’autre, exhiber une super-woman que rien ne semble retenir ?
Les critiques les plus incisives concernent le bien-être du nourrisson dont on suspecte que la naissance, provoquée par césarienne quinze jours avant terme, n’est pas sans rapport avec le calendrier politique. Rachida Dati n’aurait pas voulu que son image soit absente du débat majeur sur la suppression du Juge d’instruction. L’attitude du Garde des Sceaux ressemblerait-elle au « même pas mal » adolescent, une posture de toute-puissance qui relève du déni de la réalité ?
Certains prédisent des lendemains difficiles pour le couple mère-enfant. Philippe Grandsenne, pédiatre à la maternité parisienne Saint-Vincent-de-Paul, estime que Rachida Dati a « pris des risques inconsidérés » en se séparant si vite de sa petite fille, et qu’il pourra lui être « difficile de retisser une bonne interaction » avec elle. L’apparente absence du père n’est pas pour compenser l’activisme maternel. Les observateurs attribuent de plus en plus la montée de certaines formes de violence chez les plus jeunes, à l’absence ou à la démission de leurs géniteurs selon l’adage « société sans père, société sans repère ». Mais, dans le cas d’espèce, l’homme, s’il est au courant, se cache.
On peut se réjouir qu’une vie, une fois conçue, soit préservée, même lorsqu’il n’y a pas de famille établie pour l’accueillir. Mais le respect complet de l’être humain comporte d’autres exigences. Pour sécuriser son identité sociale, tout enfant a besoin d’être reconnu par un homme, que seule la mère est en mesure de désigner. C’est la raison pour laquelle c’est le père qui donne traditionnellement son nom. Rachida Dati prône d’ailleurs la possibilité de corriger une déclaration initialement faite au nom de la mère, quand un homme souhaite établir son lien de filiation avec l’enfant…
En naissant hors mariage, la moitié des petits Français subissent trop souvent, comme Zorah, l’injuste privation d’un droit universel. Il ne faut pas s’étonner que la classe dirigeante reflète, jusqu’au sommet de l’État, cette errance de la société. Mais en ignorant – voire méprisant – ainsi les limites imposées par le temps à la condition humaine, on incite chacun à faire semblant d’être fort…