Une charité éclairée - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Une charité éclairée

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Parmi les nombreux hommages rendus à André Glucksmann, l’un m’a particulièrement touché. Il est signé Michel Crépu, le directeur de La Nouvelle Revue Française, un titre particulièrement prestigieux. Je le retranscris, directement, d’après le site de L’Obs : « Glucksmann ne se laissait pas intimider par ces bonnes raisons que l’on ne cesse de trouver, le plus normalement du monde, à la mise à mort de la charité. Un assassinat de civilisation. La charité est un acte essentiel d’essence biblique, par lequel on témoigne de la prééminence du plus pauvre, quelle que soit la situation. C’est ce que Glucksmann appelait “la morale d’extrême urgence” appliquant aux guerres contemporaines les fruits de lectures où le nom d’Emmanuel Lévinas prend place au premier rang. »

Oui, ce texte me touche directement, en m’expliquant à moi-même pourquoi je n’ai jamais consenti à employer contre quiconque, en mode négatif, l’expression « droit de l’hommiste ». Comment reprocher à quiconque de défendre la cause du plus pauvre, du plus désarmé, au nom de la fraternité en notre commune humanité et en vertu du visage souffrant qui s’offre à moi dans son désarroi ? Là-dessus, je ne puis qu’être en total accord avec Michel Crépu. Et c’est bien là que je retrouve dans sa pureté extrême, dans son intégrité morale, André Glucksmann, que j’ai toujours respecté, en dépit de divergences parfois graves d’analyse sur les événements et les sollicitations des mouvements du monde.

La question, en effet, Marcel Gauchet l’avait posée dans un article célèbre publié dans la revue Le Débat, en 1980 : « Les droits de l’homme ne sont pas une politique. » Certes, on ne peut jamais se passer de leur régulation, mais lorsqu’on dédaigne, à cause d’eux, les situations concrètes, les données de la géopolitique par exemple, on s’expose à des désastres. Pascal Bruckner remarque ainsi que la défense inconditionnelle par Glucksmann des Tchétchènes, écrasés par Poutine, s’expliquait par sa compassion et son indignation. Mais l’intéressé ne voyait pas, en même temps, comment la rébellion tchétchène était aussi une fabrique de terroristes. On pourrait évoquer aussi le soutien inconditionnel aux Américains contre Saddam Hussein, avec la catastrophe qui s’en est suivie et dont nous subissons les terribles conséquences. La charité elle-même, ne peut se passer d’un discernement prudentiel.

Chronique diffusée par Radio Notre-Dame le 12 novembre 2015.