Péquenauds et petits blancs - France Catholique
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Péquenauds et petits blancs

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Je regarde si peu de films, que l’un d’eux, que j’ai vu il y a quarante-trois ans, ressort encore comme une expérience dans ma vie. Ce film s’appelait Délivrance, tiré du roman de James Dickey (que je n’ai jamais lu). Certains détails s’effacent ; les plus répugnants me restent. Je n’ai pas aimé ce film.
Depuis la scène du duel de banjos avec un garçon autiste et dégénéré, jusqu’à la description d’un viol sodomique, et d’un combat à mort sur les hauteurs des gorges d’une rivière, ce fut une expérience épuisante. Ce film était sinistre tout du long. Les « jeunes de la ville » dans la sauvagerie de leurs aventures de weekend l’emportent contre les « hommes de la montagne » qu’ils rencontrent, parce qu’ils ont un cerveau, ce qui apparemment manque aux sauvages. Paradoxalement, l’arc recourbé du sportif de la ville l’emporte sur le fusil du péquenaud.

On résiste à l’assaut du « message » – qui pour moi, même à l’âge de vingt ans, sonnait faux. Le souvenir que j’en ai gardé était l’obscénité, non pas de la scène notoire de viol masculin, mais de la manière dont les paumés dans le film étaient « modifiés ». Ils étaient ouvertement déshumanisés. Des ours dans la forêt auraient été présentés avec plus de sympathie.

Mais le public qui va voir des films y est allé ; la production a prospéré au « box office », et si je comprends bien, le film est maintenant salué comme un classique du « cinéma ». Apparemment, il atteint le score remarquable de 93 pour cent « fresh » sur le site web « Rotten Tomatoes » – 1, ce qui concentre l’approbation des critiques. A travers les décennies intermédiaires, il semble que le public impressionnable soit demeuré impressionné.

Aussi loin que je puisse me souvenir, la méchanceté envers les « petits blancs » américains a été socialement acceptable. Les hommes étant ce que nous sommes, cela se manifestait habituellement sous forme de transfert. La méchanceté est la caractéristique que leur attribuent les gens raffinés, de droite comme de gauche.

Cela vaut la peine d’étudier sur quel ton les medias décrivent couramment les « supporters de Trump ». On acquiert une vision des préjugés qu’on a pu avoir , tout à fait inconsciemment, envers les pauvres « afro-américains » et «indigènes américains » – maintenant protégés par les murs des euphémismes du politiquement correct.

Mais on peut encore dire ce qu’on veut des « petits blancs », et de leur incapacité à embrasser le « rêve américain », ou à prospérer de toute autre manière. Quoique, peut-être, plus pour longtemps.

Les statisticiens les définissent comme ceux qui n’ont pas de diplômes. Cela représente une moisson d’environ 60 millions, qui, dans l’imagination fiévreuse des libéraux, soutiendront Trump par pure méchanceté et stupidité. Il est probable qu’ils sont attirés par la candidature de ce vrai magnat de l’immobilier new yorkais parce qu’il est vulgaire et grande gueule contre les gens et les choses que précisément ils détestent spontanément.

Il se trouve que mon opinion personnelle coïncide avec celle de J.D. Vance, auteur d’Elégie Hillibilly : Mémoire d’une famille et d’une culture en crise. Ce livre commence à tourner certaines têtes, parce qu’il a été écrit brillamment sur le front de lignes politiques variées. Vance – dont la trajectoire personnelle est passée par Yale jusqu’à la Silicone vallée, après un début de « loser » blanc dans un coin obscur de l’Ohio rural – méprise Trump et son appel démagogique et populiste.

Je crois que Trump ferait pour les ouvriers blancs américains au chômage ce qu’Obama a fait pour les ghettos noirs : empirer considérablement leur condition dans une société fatalement plus divisée.

Ce qu’a fait Vance, a été d’attirer de l’empathie envers la situation critique d’une classe ethnique américaine correspondant aux anciens territoires Appalaches, et aux descendants des métayers du vieux Sud. C’est nécessairement une histoire complexe et fascinante d’Irlando-écossais, d’anglais pauvres, et de métis qui se sont retirés de la société installée sur la côte Est dès qu’ils l’ont pu – souvent directement dans les collines à la sortie des bateaux d’immigrés qui les avaient transportés là, il y a maintenant plusieurs siècles. (Beaucoup venaient de collines européennes).

N’ayant pas bénéficié des réseaux d’aménagements des basses terres, souvent ignorants des développements de l’agriculture et de l’industrie, et liés entre eux par la musique, les coutumes tribales et une religion excentrique, leur ressentiment vis-à-vis d’un monde moderne qui leur était étranger s’est astiqué quand ce monde en est venu à rechercher les ressources et à les mettre au travail à creuser le charbon, et éventuellement à effectuer dans les usines un travail non qualifié que le progrès technologique a maintenant détruit.

On les a laissés déplacés, même au sein de leurs propres territoires traditionnels, détachés de leur culture traditionnelle, chômeurs et inemployables. Un nombre incroyable de leurs enfants les précédent dans la mort du fait de la facilité d’utilisation des stupéfiants, et par désespoir. Et dans le passé, ils avaient attiré dans leurs rangs les « déchets » d’autres cultures, vaincus dans la compétition de la vie moderne – et avaient constitué, en quelque sorte, une nouvelle génération de « sang mêlés », comme leurs ancêtres avaient assimilé autrefois des Cherokee perdus et des esclaves en fuite.

De manière statistique et sociologique, Charles Murray et ses collègues ont étudié le sort de « Fishtown » – en opposition avec le « Belmont » des gens riches et socialement stables. Les habitants de Fishtown ne vont plus à l’église, et de fait, n’ont pas d’églises. Ils ne se marient pas, parce que on ne leur demande ni famille, ni respectabilité. Ils n’ont pas de travail parce qu’il n’y en a nulle part près de l’endroit où ils vivent.

Seuls parmi eux, les héroïques et les différents – Vance est un exemple exceptionnel – arrivent à quelque chose dans la vie. Ainsi qu’il l’admet lui-même, il en est arrivé là parce qu’il est parti très loin des gens de son entourage, et qu’il a abandonné leurs habitudes. Mais il essaye quand même de garder le contact, et comprend mieux ce qui leur est arrivé en gardant des liens avec le passé de ses propres ancêtres dans l’amour.

Les irlandais bons à rien ont été autrefois dans cette situation, en tant qu’immigrants dans les taudis d’Amérique du nord, il y a deux cents ans. Ivrognes, paganisés, baignant dans l’illégal, ils sont devenus une cible pour l’Église catholique américaine, dans son zèle de prosélyte au dix-neuvième siècle. D’une certaine façon, les prêtres ont réussi ce que les travailleurs sociaux ont toujours redouté : les en sortir par leurs propres forces.

Quand nous parlons de nouvelle évangélisation, je pense aux incapables parmi les pauvres de toutes les races, y compris la progéniture des Appalaches. Il y a des tâches humaines tellement impossibles que seul le Christ est capable de s’y atteler.

Le secret de la guérison (« délivrance ») n’a jamais été, et ne sera jamais un programme de gouvernement. Au cœur de cela, il y a une expérience humaine de conversion. C’est l’homme, ou la femme, soudain éveillé à l’Amour dans toutes ses dimensions mystérieuses, qui voit une ouverture là où tous les chemins semblaient fermés.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/09/02/hillbillies-white-trash/

  1. Site d’évaluation des films U.S. classement par pourcentage de « fresh ». (note du T.)