Luxuria, la vie facile - France Catholique
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Pèlerinage de Chartres : la jeunesse de l'Église
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Luxuria, la vie facile

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Voici une vieille blague : un novice visite le prieuré d’un ordre monastique mendiant. Contemplant, émerveillé, les grandes pièces confortables l’ameublement luxueux, et les coûteuses télévisions à écran plasma, il s’exclame : « Si c’est cela la pauvreté, j’attends avec impatience la chasteté ! » Ce petit instantané s’est rejoué pour de vrai récemment, m’a-t-on dit, alors qu’on faisait visiter à un gros donateur un confortable prieuré d’un ordre « mendiant » dans l’est des Etat-Unis.

Comme pour de nombreux exemples d’humour satirique, il y a ici, non seulement un grain de vérité, mais aussi une sagesse plus profonde. Il y a plus qu’une simple relation accidentelle entre le fait de franchir sur la pointe des pieds la limite des vœux de pauvreté, et se sentir l’audace de franchir carrément la limite des vœux de chasteté. Les maîtres spirituels du Moyen Âge, avec plus de sagesse que les nôtres, parlaient des dangers de  « luxuria », la vie facile, pour ceux qui avaient une vie « douce », entourée de conforts. Le pape François a récemment donné le même avertissement.

Pour ma part, je ne peux pas m’empêcher de penser que les horreurs des prêtres pédophiles n’ont pas être causées seulement par la sexualisation de la culture des années 60 et 70. L’incapacité à dominer ses appétits débridés — qui a servi d’auto justification fréquente aux prêtres pour la violation de leurs vœux — a aussi été préparée par l’excessive « luxuria » dans laquelle la classe cléricale s’autorisait à vivre dans les années 40-50 : séminaires bien aménagés, bons repas, « palais » épiscopaux, boutons de manchette classe, chemises blanches empesées, tout l’attirail de l’homme d’affaires de bonne bourgeoisie. Si on imagine en prêtre, le Don Draper de « Mad men », c’est tout à fait cela.

Un de mes amis, un Européen, m’a fait un jour cette remarque : « Vos prêtres ici aux Etats-Unis sont tellement bourgeois ! » Ils vivent des vies confortables dans des maisons confortables, conduisent des voitures confortables et consacrent leur temps à des causes confortables. Décidément, à leur « chair », ils ne demandent pas grand-chose, alors qu’à une confortable adaptation au « monde »,ils accordent beaucoup.

Il y a aussi bien sûr des prêtres qui vivent une vie très modeste, et sainte mais certainement pas autant qu’il en faudrait.

Souvent, dans leurs homélies, les prêtres proclament que nous devrions sortir de nos zones de confort. Ils parlent « spirituellement », c’est-à-dire « métaphoriquement ». C’est une espèce de jargon qu’ils ont attrapé dans le cours de psychologie qu’ils ont suivi au lieu de se préparer à la prêtrise en lisant les Pères et les Docteurs de l’Eglise.

Quelqu’un comme saint François avait une attitude assez différente. Quand il a entendu « va, vends tout ce que tu as, et suis moi », il l’a fait, tout simplement. Et quand il a entendu « François, bâtis mon Eglise », il a reconstruit San Damiano. Avec le pape François son homonyme, verrons-nous un nouveau modèle de clergé ? Sur ce modèle, si les prêtres croient que c’est important (et ils insistent sur le fait que ça l’est) de sortir de nos zones de confort, alors peut-être pourraient-ils commencer par sortir littéralement de leur zones de confort.

Quand nous entendons dire que les moines au Moyen Âge se donnaient la discipline, nous pensons qu’ils faisaient peut-être une espèce d’auto flagellation. Pour la plupart, c’est non. Non pas que les moines et les frères ne le faisaient jamais ; Simplement, quand ils le faisaient, c’était dans le but de se rappeler continuellement qu’ils avaient d’autres disciplines plus grandes à respecter : discipline de la pensée et de l’esprit- de toute sa vie, appétits inclus, volonté, et intelligence, envers Dieu.

Dans la Bible, quand Saint Paul parle de ne pas céder aux désirs de  « la chair », il ne veut pas dire que le corps est mauvais, pas plus que lorsqu’il dit que nous ne devrions pas céder aux désirs « de ce monde », il ne dit que le monde est mauvais. Le monde créé par Dieu est bon, « très bon » de même que la chair qu’il a créée, et dans laquelle il s’est incarné. Le problème se pose quand « le monde » au lieu de nous conduire vers son créateur, nous en éloigne. Et le problème se pose lorsque « la chair » au lieu d’être au service de la personne, en devient au contraire la patronne, et que nous devenons l’esclave de nos appétits et de nos désirs.

Et notez bien que, dès que les appétits plus bas commencent à prendre possession de nous, plus personne n’y est autorisé. Après les petites infidélités à la pauvreté et à la chasteté, on passe vite à la désobéissance. En fait, c’est parfois la première étape. « Je n’ai pas à obéir à mes supérieurs », dit-on. « Je n’ai pas à me dominer » « en fait, pourquoi ont-ils toutes ces règles idiotes ?- règles contre tous ces sentiments et ces appétits qui sont parfaitement normaux ? » Oui, ils sont parfaitement normaux, ces sentiments et ces appétits. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille leur céder. Quand nous commençons à penser qu’on le devrait — qu’il le faut — les graines d’une grave infidélité sont plantés.

L’Eglise existe depuis longtemps. Parfois, les catholiques ne réalisent pas à quel point le clergé était devenu corrompu et mou avant le Concile de Trente. Les prêtres avaient peu d’éducation et encore moins de formation spirituelle, et vivaient dans de confortables sinécure avec une maîtresse ou deux sous la main. Cela a apporté beaucoup d’eau au moulin de Luther.

C’est grâce aux réformes du Concile de Trente, en fait, que nous avons des séminaires. Ce devaient être des sortes de petits monastères où les vertus monastiques pouvaient être cultivées, et où on pouvait maîtriser les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance. Ce devaient être des lieux où les jeunes prêtres pourraient apprendre ce que les monastères savaient depuis des siècles — précisément que la « discipline de la chair » veut dire d’abord et avant tout ne pas se laisser aller à la tentation de la Luxuria — de la mollesse.

Si nous devons voir se dessiner une nouvelle évangélisation dans les prochaines décades, cela impliquera que les évêques apprennent du passé les leçons d’un renouveau presbytéral. Ces prêtres qui vivent seuls dans des maisons de banlieues : ce sont des désastres à retardement.

Evêques, s’il vous plaît, appelez-les à venir vivre en communauté avec vous. Partager une vie monastique communautaire, c’est ce que saint Augustin a fait à Hippone. Et il a changé le monde.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/luxuria.html


Randall B. Smith est professeur de théologie à l’université Saint Thomas.

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tableau : Moines faisant bonne chère, par John Cranch, c. 1804