Dans mon collège, nous avons il y a peu tenté de réécrire notre mission fondamentale, de mettre en avant notre conviction de l’unité entre foi et raison, et, tout en demeurant ouverts aux gens professant une foi différente ou aucune foi, de souligner que l’objectif suprême de l’éducation que nous offrons est d’aider les étudiants dans leur discernement de la volonté de Dieu dans leur vie.
Une vague d’opposition, bien prévisible, a émergé. Elle a pris trois formes. Certains objectent que le corps enseignant n’a pas été suffisamment consulté. D’autres s’opposent au texte parce qu’ils croient que l’intensité de la foi est inversement proportionnelle à l’intensité de la vie intellectuelle. Mais le gros de l’opposition vient de ceux qui se sentent mis à l’écart parce que comme ils ne sont pas catholiques, ils ne peuvent soutenir toutes les clauses de la déclaration.
Je répondrais aux premiers par un haussement d’épaules. A ma connaissance, il n’est pas du ressort du corps enseignant de déterminer la mission d’un collège. Dans le cas qui nous occupe, cela concerne bien plus les dominicains dont l’apostolat est précisément d’enseigner dans ce collège, les milliers d’anciens élèves, les élèves actuels, la communauté diocésaine locale ou bien même l’Eglise universelle. Cela dit, je suppose que le corps enseignant peut bien être consulté.
Au second groupe, je dirais que si la foi produit en effet des neuneus, parmi ceux-ci se trouvent des noms comme Augustin, Thomas d’Aquin, Dante, Shakespeare, Rembrandt, Bach, Kierkegaard, Gödel, Dostoïevski – quelle chance de ne pas avoir de tels neuneus dans le coin ! En fait la position des membres du second groupe, des fanatiques, ne me surprend pas. Pourquoi cela ? Je suis un catholique chez les universitaires.
Le troisième groupe surprend. Ils disent vouloir être accueillis au cœur du collège, mais ils interdiraient ce qui fait ce cœur. Ils ne disent pas : « Aidez-moi à comprendre ce qui est le plus important pour vous, afin que je puisse vous rejoindre. » Ils ne disent pas : « Même si je ne peux affirmer ce que vous affirmez, montrez-moi ce que je puis faire pour vous assister dans votre mission. » Ils disent : « Vous ne devez pas vous définir publiquement d’une manière qui me fasse sentir que je ne participe pas entièrement à ce qui fait de vous ce que vous êtes. »
Et cela est, bien évidemment, un acte d’ingratitude. J’ai essayé de le suggérer, gentiment, en écrivant : « C’est une chose d’être invité à la fête, mais c’en est une autre d’exiger l’annulation de la fête parce que l’on ne veut point y aller. »
J’ai été désarçonné par les réponses. De quelle fête pouvais-je bien parler ? Bon je vois bien maintenant qu’ils n’ont pas saisi l’allusion aux Ecritures. Mais il est difficile, même sur notre campus, d’échapper à toutes les fêtes. Beaucoup de nos étudiants – pas la majorité, mais ils en sont encore plus visibles – qui resplendissent de l’éclat de la foi, de l’espérance et de la charité.
Vous pouvez le constater dans leurs yeux, dans leurs sourires francs et innocents. Vous pouvez le voir aussi dans des vies qui n’ont pas été cramées par le lugubre hédonisme ambiant. Ils vont à la messe, ils chantent, ils se mettent bénévolement au service d’enfants – ils vivent pour quelqu’Un. Vous pouvez le remarquer aussi parmi les membres du corps enseignant. Ceux qui sont les plus joyeux, dans tous les départements, sont ceux dont la joie est un don venu d’en haut.
Certes, je connais beaucoup de croyants revêches ou difficiles. Le vieil Adam persiste en nous. Mais si je cherche de la joie, même au milieu des soucis et des deuils, je ne vais pas la trouver parmi ceux dont la foi déficiente sert de terne plafond à l’âme humaine.
Ne pensez pas que je parle seulement d’émotion. La joie peut être également délice de l’intellect. La dernière chose qu’un collège laïc puisse être, c’est bien un collège, puisque il n’y a plus rien de substantiel qui puisse créer des collègues à partir d’un groupe de gens en compétition pour des élèves et de l’argent, et qui ne reconnaissent pas de but ultime pour l’activité de l’esprit. La biologie est la biologie, et la littérature, littérature.
Pourtant, au moment même où le corps enseignant de mon école fourbissait ses armes, une candidate potentielle au collège vint en visite et m’adressa des questions à notre propos. Elle souhaite suivre des cours de biologie et de littérature et non pas parce que ce sont de simples passe-temps. Elle considère ces deux disciplines comme menant au même but.
Il serait inutile de préciser que c’était une jeune fille d’une foi profonde. Ce qu’il ne serait pas inutile de préciser, car cela semble échapper complètement aux gens, c’est qu’elle aussi resplendissait d’un éclat que je ne trouve nulle part sinon… – comment le dire ? – sinon à Jérusalem.
Pourquoi cela échappe-t-il à tout le monde ? L’envie en est partiellement responsable, ce souhait délibéré de faire tourner à l’aigre toute joie. « Il est intelligent, c’est certain, dit M. Sagace, mais lorsqu’il s’agit de ce sujet, c’est un minable, incapable de se confronter à la réalité, pas comme moi. » « Oh, ils font grand étalage de réjouissances, dit Mlle Jaunisse, mais il est inévitable de se sentir bien lorsque l’on se croit meilleur que tous les autres. » « Je suis frappé qu’ils tombent ainsi dans le panneau, » renifla M. Fadsley, tout en changeant de chaîne.
Mais c’est en partie de notre faute. Nous devrions organiser à intervalles réguliers une gaudium militans, nous mobilisant en soldats joyeux et soldats de joie. Qu’est-ce qui nous en empêche sinon le regard des autres, ce péché misérabiliste contre la joie ? Cela nous embarrasserait-il se marcher en procession à travers les rues voisines de Corpus Christi, en chantant des hymnes ?
Oui, cela nous embarrasserait, tout comme cela nous embarrasse d’inviter nos voisins au bord du chemin à aller à la messe. Je sens cette hésitation, cette timidité. Elle doit être vaincue, et si cela doit se faire à plusieurs, plus on est de fous, plus on rit. Jésus fut cloué nu sur la croix afin que tous puisse voir son amère souffrance. Alors cela peut guère nous faire de mal de montrer un peu de l’éclat du cœur pour rapprocher les autres de Sa Résurrection.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/life-and-that-in-abundance.html
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Tableau : Crucifixion, par Isabelle Legrand (2011).