Le régime moderne des droits - France Catholique
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Euthanasie : le dessous des cartes
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Le régime moderne des droits

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La gloire de saint Thomas d’Aquin (avec Aristote et Platon par Benozzo Gozzoli, c. 1480)

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En 1954, « Thought » a publié un important essai intitulé « La généalogie des Droits Naturels » par Heinrich Rommen. L’auteur défendait la thèse selon laquelle la véritable origine des droits ne se situait pas dans une théorie abstraite de l’ « état de nature », selon Hobbes, Locke ou Rousseau, mais était fondée sur des négociations concrètes au sein des cités médiévales. Ils spécifiaient précisément ce qui était en jeu. Le « justum », « ce qui est dû », de part et d’autre, était décompté. Personne n’avait de « droit » à tel ou tel droit. Ce qui était qualifié de « droit » était clairement énoncé et agréé. Les droits n’étaient pas subjectifs.

L’universitaire norvégienne, Janne Haaland Matlary (« Quand la force devient un droit de l’homme », Gracewing), dans une récente conférence à l’Université catholique américaine, a relevé qu’au moins depuis environ 1978, le discours politique international a changé. Il est désormais dominé par ce que Mary Ann Glendon a appelé « le bavardage sur les droits ». Tout ce qu’on peut lire aux Nations Unies, au Vatican ou dans la politique occidentale, se réfère aux droits selon cette rhétorique.

A première vue, on peut y voir un « progrès ». Mais à regarder aux racines des « droits de l’homme », de la « dignité », des « devoirs », des « valeurs , on ne peut manquer de s’interroger sur le fait que ces nobles expressions sont devenues paradoxalement des instruments d’aliénation de l’homme. Elles poursuivent l’objet que leurs prescripteurs modernes, Hobbes, Locke, Kant, Weber, leur ont assigné. De surcroît, elles sont aujourd’hui portées jusqu’à leurs extrêmes limites dans la vie publique.

Dans la tradition du Droit naturel, des voix catholiques de référence se sont efforcées de contenir la nature explosive des « droits » comme instruments du renforcement de l’absolutisme du contrôle de l’Etat. Les efforts des Maritain, Finnis, Hittinger, George, Grisez, Simon, furent souvent brillants. Ils sont la plupart du temps ignorés du vaste monde parce qu’ils sont fondés sur l’idée de la nature ou de la logique comme critères objectifs du Bien.
Le régime moderne des droits dénie aux Etats-nations le pouvoir de fixer des limites nettes aux droits comme étant fondé sur un ordre objectif. Les Nations Unies et autres entités se considèrent comme investies du pouvoir de définir les droits modernes et de les imposer aux nations « arriérées » qui n’acceptent toujours pas leurs conceptions du droit à l’avortement, à l’euthanasie, à la recherche expérimentale sur les êtres humains, à l’homosexualité, à la guerre et à la paix. Dans le cas des récents bombardements en Libye, le président ne s’est pas adressé au Congrès pour obtenir des pouvoirs de guerre mais aux Nations Unies. Presque personne n’a remarqué ni objecté.

Qu’y a-t-il de mal avec ces mots qui sonnent si bien de « droits », « devoirs », « valeurs » et « dignité » ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à « dialoguer » avec leurs avocats ? Les catholiques qui font référence furent globalement satisfaits de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Elle semblait fondée sur le vieux terreau aristotélicien et du droit naturel qui suppose l’existence d’une nature humaine objective. Elle contenait des normes qui définissaient ce qu’est l’homme et comment il devait agir. La Raison était capable de découvrir le sens de la nature et ses fins.

Le régime moderne des droits n’est pas celui qui était censé être envisagé par la Charte. Nous ne reconnaissons plus aucune vérité comme « manifestement évidente. » Le grand Jacques Maritain, qui fut impliqué dans la rédaction initiale, a reconnu qu’il n’existait aucun accord entre les nations sur les fondements théoriques permettant de justifier les droits. Il proposa que l’on s’accordât simplement sur l’énoncé des droits. Chacun pourrait ensuite les justifier comme il l’entendait selon ses propres sources philosophiques ou religieuses. Il pensait que les droits avaient besoin de justification mais, pour une raison pratique, l’accord politique était le mieux que l’on puisse atteindre. Cet accord était plus aisé au lendemain de la Seconde guerre mondiale quand la violation de ce qui est humain était plus évidente.

Derrière la rhétorique du monde moderne « droits-devoir-dignité-valeurs », réside la négation d’une nature humaine. Rien n’est donné. La dignité consiste à projeter sur nous-mêmes et le monde notre compréhension de soi. Nous nous faisons nous-mêmes. Les valeurs impliquent qu’il n’y a pas d’explication ultime de Dieu, du cosmos ou de la vie humaine. Nous nous donnons à nous-mêmes nos propres valeurs. Les droits nous autorisent à demander aux autres de reconnaître notre définition de nous-mêmes. Le devoir oblige les autres à « respecter » cette définition, quelle qu’elle soit.
Cette interprétation est à l’évidence relativiste et individualiste. Elle peut aussi, suivant la même logique, devenir collective. L’écologie et la globalisation vont ici de pair. Les catastrophes naturelles, les gouvernements « faillis », la pauvreté, les restrictions fondées sur la religion ou la raison traditionnelle, sont autant de « menaces » pour la communauté internationale. Le Bien Commun est défini en termes de « droits » modernes. Ils suscitent des interventions « humanitaires » à travers le monde, y compris dans ce pays. Comme nous possédons des « droits », nous pouvons attendre de la communauté qu’elle fixe des conditions et mette en œuvre un code de conduite correspondant.

Le régime moderne des « droits de l’homme » porte en germe le totalitarisme doux qui est implicite dans notre culture depuis que nous avons remplacé la raison par la volonté comme fondement de notre compréhension de Dieu, du monde et de nous-mêmes. L’avertissement date de l’Aquinate. Nous n’y avons simplement pas prêté attention.

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* James V. Schall, s.j., est professeur à l’Université de Georgetown.

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source :

http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/the-modern-regime-of-rights.html