Le match de la dignité - France Catholique

Le match de la dignité

Le match de la dignité

La bataille de l’euthanasie que, dans une certaine mesure, la France est appelée à arbitrer les 22 avril et 6 mai 2012, est largement la guerre d’un seul mot.
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Le débat sur la fin de vie ressemble aux grands jeux de plein air où deux camps se disputent un fanion. Et le fanion qu’on s’arrache dans la bataille de l’euthanasie, c’est la dignité.

Le 12 février 2012, au len­demain de la publication par le Figaro Magazine de l’interview de Nicolas Sarkozy qui argumentait son refus de l’euthanasie, Jean-Pierre Elkabbach interrogeait Éric Besson sur les postures du président : « L’hostilité au choix de la mort volontaire, c’est non à toute ouverture aux problèmes de mœurs ? » Évoquant alors les « questions de société », le ministre de l’Industrie répondit : « Chacun peut avoir sa conviction et je pense qu’elle est transpartisane sur le droit de mourir dans la dignité ».
Le Président avait pour­tant précisé que « l’euthanasie légalisée […] serait contraire à nos conceptions de la dignité de l’être humain ». Sur Europe 1, son ministre, au lieu de protester contre la récupération abusive du mot dignité, avait donc cédé à la dialectique de l’euthanasie, laissant l’auditeur alerté sur le sentiment d’une prise d’otage.

Comment libérer la dignité que l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) n’en finit pas de cuisiner à sa sauce euthanasique ? Elle laisse entendre que l’injection lé­tale — l’empoisonnement, car il s’agit bien de cela — est une mort digne pour un être humain, pire, la seule mort digne. Elle vante le suicide médicalement assisté comme une mort digne de l’humanité.

C’est méconnaître la violence inhumaine de ces gestes dramatiques et désespérés. L’euthanasie laisse aux proches des personnes qui ont été euthanasiées — comme à celles qui se sont suicidées — des sentiments de peine voire de culpabilité. Et c’est bien parce que le suicide fait mal que la prévention des passages à l’acte désespérés mobilise la société, et que les soignants des urgences font tout pour « sauver ».

Que signifie donc cette conception de la dignité qui parle de l’euthanasie comme d’une mort digne ? Ceux qui la promeuvent ne s’en cachent pas : arrivé à un certain stade de la maladie ou de la dépendance, un être humain perdrait sa dignité.

Cette anthropologie, aux antipodes de la « culture de la vulnérabilité », incite à revenir à la réalité. Le candidat du PS à l’élection présidentielle oserait-il affirmer les yeux dans les yeux à certaines personnes handicapées ou malades que, parce qu’elles sont devenues indignes de poursuivre leur vie, la société pourrait leur proposer cette fameuse injection mortelle que la mesure 21 de son programme déguise en « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » ? Certainement pas.

L’expression peut séduire dans un livret diffusé à des millions de Français, mais, arrivés aux urgences d’un hôpital, ils l’entendraient peut-être d’une tout autre oreille : « Tu as fait ton temps… Il faut laisser la place… Tu nous coûtes cher… Nous allons te libérer, en toute dignité ! »

Cette dignité-là a bon dos. Elle veut faire croire que la vie d’une personne devenue dépendante ne vaut plus la peine d’être vécue. Qu’elle n’a plus de valeur, mais seulement un coût. Elle humilie celui qui aurait besoin de lire dans le regard de ceux qui l’entourent : « Ta vie a toujours du prix à nos yeux. »

Né ultra-dépendant, un nourrisson était-il indigne de vivre ?
Ceux qui sont retournés à la grande dépendance ont le droit de douter d’eux. C’est donc à leur entourage de leur témoigner que leur présence fragile a du sens.

Les soignants qui agissent dans les services de soins palliatifs savent qu’ils n’ont jamais rencontré un seul patient qui ne soit plus digne, digne d’être soigné et digne d’être aimé. Et ils peuvent ajouter « complètement vivant », car ceux qui maltraitent ce mot de dignité croient (et veulent faire croire) que les personnes en fin de vie ne sont plus tout à fait en vie.
Leur idée qu’il faut être debout, en bonne santé, en pleine possession de ses moyens pour être complètement humain est le ferment d’une fracture sociale contre laquelle personne ne peut se sentir protégé.

L’être humain n’étant pas un animal, l’euthanasie est indigne de l’humanité. Et c’est le détournement du mot dignité qui empoisonne le débat.

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Tugdual Derville, La bataille de l’euthanasie, éd. Salvator, 240 pages, 18,50 e.

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