Le diable est dans les détails - France Catholique
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Le diable est dans les détails

Traduit par Antonina

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A la conférence de presse de samedi, le père Federico Lombardi, porte-parole principal du Bureau de presse du Vatican, a lâché l’une des informations les plus surprenantes à ce jour du synode de 2015. Interrogé sur les procédures concernant les diverses modifications à apporter au Document de travail, il a répondu : « Si je comprends bien le processus… »

On ne saurait prendre à la légère le fait que le propre porte-parole du Vatican confesse, même avec un brin d’humour à ses dépens, qu’il n’est pas tout à fait sûr lui-même de comprendre le déroulement du processus.

Le chaos apparent des nouvelles règles « parlementaires » censées guider les débats du Synode a suscité une multitude de questions. Certains considèrent ce désordre comme un redoutable moyen planifié à l’avance de manipuler le processus et de faire passer en force des changements grâce à des failles non détectées. D’autres – dont plusieurs sources dignes de foi participant directement aux séances quotidiennes – ont tendance à croire qu’il s’agit davantage d’incompétence pure et simple. Bien sûr, on ne saurait exclure un mélange des deux éléments. Mais les preuves semblent surtout privilégier un autre facteur que des défaillances humaines ordinaires.

Les questions concernant la procédure peuvent ne pas sembler aussi croustillantes que les controverses habituelles sur les homos et la communion pour les divorcés. D’autres sujets ont été soulevés qui, à mon avis, n’ont pas bénéficié de l’attention voulue dans la presse laïque ou religieuse. Par exemple, les membres francophones du synode ont, à maintes reprises, déclaré que les évêques eux-mêmes devraient faire leur examen de conscience sur leur impuissance à transmettre la foi catholique à leurs ouailles.

Ces sujets inhabituels et peut-être fructueux finiront sans doute par émerger plus tard. Mais le déroulement des débats jouera également un grand rôle dans les résultats que l’Eglise tirera finalement de ce synode. Le père Lombardi a fait cet aveu d’incertitude touchant deux questions qui auront beaucoup d’importance pour l’établissement du document final – tiens, d’ailleurs, il a reconnu ne pas savoir s’il y aurait un document final, bien que le Président du synode, le cardinal Baldisseri, l’ait affirmé au début de la semaine dernière.

La première question porte sur le traitement des modifications. Sont-elles approuvées par une majorité simple dans les petits groupes linguistiques formulant actuellement des recommandations ? Le père Lombardi semble penser qu’elles ont été approuvées de cette manière, bien qu’il ait parlé de « majorité absolue ». Que se passera-t-il donc quand ces recommandations seront transmises à la Commission de rédaction – point sensible parce que les débats dans les circuli minores sont diffusés à tous les participants (on ne peut que se réjouir que leurs comptes rendus aient été rendus publics. Et les évêques sont tous en droit de diffuser leurs propres interventions. En revanche, nul sauf les dix membres de la Commission spéciale de rédaction (dont la composition, comme nous l’avons signalé sur ce site, en a fait tiquer plus d’un) ne sait comment ces centaines de recommandations (dont plusieurs, sans nul doute, se contredisent) seront représentés dans le projet de document final.

Plusieurs sources très fiables au sein même du synode ont confirmé que, jusqu’à présent, la manière de traiter tous ces points sensibles n’avait pas été « trop mauvaise ». (Attention ! ces premiers ajustements sont une réorientation du cadre général – consistant, par exemple, à mettre davantage l’accent sur Jésus-Christ et l’Evangile en atténuant la phraséologie sociologique et anthropologique qui prédominait dans le Document de travail. Les sujets plus controversés et les décisions pastorales n’ont pas encore été abordés).

Mais ensuite ? L’an dernier, il a fallu la majorité des deux tiers pour « faire passer » chaque paragraphe du Document final. La procédure sera-t-elle identique cette année, et qu’en sera-t-il des paragraphes controversés sur la communion pour les divorcés remariés et sur l’attitude vis-à-vis des homosexuels ? Ils ont été « inclus » (avec la mention qu’ils n’avaient pas recueilli le nombre suffisant de voix) dans le document de 2014. Et c’est ce document que le Saint Père a, de manière extraordinaire, annoncé mardi dernier aux pères synodaux qu’il était l’un des trois textes officiels qui devraient les guider.

La réponse de Lombardi était très ambiguë. La règle de la majorité des deux tiers semble toujours en vigueur, mais il ignore ce que deviendront les paragraphes « non ratifiés » ni comment sera rédigé le document final. Donc, comme nous tous, il va devoir attendre la fin de tous les débats pour constater ce qui aura été inclus ou exclus.

Parmi ces multiples incertitudes une seule chose est sûre : quoi qu’il arrive, les évêques auront besoin de beaucoup de temps pour lire le document final et y réagir. On a annoncé à tort en plusieurs endroits qu’ils ne recevraient le texte que le matin du jour du scrutin. C’est faux. Ils recevront le texte deux jours auparavant – ce qui est très peu – même si le synode ne déraille pas.
Il y a de nombreuses raisons, en fait, pour qu’il déraille. Par exemple, il est prévu depuis longtemps que chacune des trois semaines du synode soit consacrée à l’une des trois parties du Document de travail. Ce qui semblait raisonnable et méthodique. Mais au cours des débats menés dans les petits cercles la semaine dernière – en d’autres termes, avant la fin de la première semaine –, certains des pères synodaux ont demandé l’autorisation de débattre de questions réservées pour la cruciale troisième semaine, celle où les décisions pratiques sur les questions pastorales seront censées être prises. Ces questions étaient si nombreuses, tout comme les commentaires, que les pères synodaux voulaient faire valoir que le temps manquerait pour les examiner à fond pendant l’unique semaine qui leur serait restée s’ils s’en étaient tenus au plan initial.
Il est difficile de dire ce que cela signifie. Les évêques sont-ils divisés au point de redouter que même trois semaines ne leur suffisent pas pour arriver ensemble à quelques conclusions, ou bien l’Instrumentum laboris était-il si imparfait qu’ils sont pour l’essentiel en train d’essayer de le réécrire ?

Donc, alors que débute la deuxième semaine, la première ne semble pas entièrement achevée, la troisième a déjà commencé et le principal porte-parole du Vatican ignore ce qui se trame, tant sur le fond que sur la forme. Mais ne vous inquiétez pas, ces problèmes ne sont pas nouveaux, et il y en a eu de bien pires par le passé. Comme Hilaire Belloc l’a déclaré un jour sur un ton un peu acerbe, dans un contexte différent, l’Eglise est « une institution [que nous sommes] tenus de considérer comme de nature divine, mais les non-croyants peuvent, eux, considérer comme une preuve de cette nature divine le fait qu’aucune institution humaine gérée avec une telle stupidité et une telle malhonnêteté n’aurait pu durer deux semaines ».

Lundi 12 octobre 2015

Photographie Le père Federico Lombardi

Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président du Faith&Reason Institute de Washington (D.C.).