Le diable n’a pas de genoux - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Le diable n’a pas de genoux

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Saint Basile, cathédrale Sainte-Sophie d’Ohrid.

En tant que catholique byzantin, je peux toujours dire si quelqu’un a des contacts avec la tradition chrétienne orientale, et cela à cause de deux choses. L’une, quand ils visitent une église byzantine, ils vont s’agenouiller avant de prendre place dans une rangée – tandis que beaucoup de catholiques orientaux s’inclineront en faisant le signe de croix. Et deux, ils s’agenouilleront pendant la consécration et après avoir reçu l’Eucharistie.

Maintenant, tandis que je n’ai jamais hésité à m’agenouiller dans une église romaine ou à faire une génuflexion avant de prendre place dans une rangée, voir les catholiques romains s’agenouiller dans une église byzantine m’a toujours contrarié : « Je m’agenouille dans votre église, pourquoi ne restez-vous pas debout dans la mienne ? »

Et alors que je reconnais la génuflexion comme un geste de piété, je pense qu’il vaut la peine d’expliquer précisément pourquoi les catholiques byzantins ne s’agenouillent pas le dimanche (je laisserai de côté la recommandation, discutée, du cardinal Cupich selon laquelle les catholiques de Chicago ne devraient pas s’agenouiller pour recevoir l’Eucharistie – cela pour des raisons de rapidité du trafic – ce qui est un sujet tout à fait différent à traiter une autre fois).

Pour l’expliquer, nous avons à remonter 1700 ans jusqu’au concile de Nicée, anniversaire que nous célébrons cette année. Au concile, les Pères de l’Église ont surtout délibéré et débattu de christologie, ce qui déboucha sur la condamnation de l’arianisme. Cependant, ils ont aussi introduit différentes règles canoniques concernant la pratique liturgique et les différents systèmes de calendrier.

Beaucoup de gens aujourd’hui pourraient ne pas savoir qu’au concile de Nicée l’Église déclara dans le canon 209 qu’on ne devrait pas s’agenouiller le jour du Seigneur ou pendant le temps de Pentecôte.

L’examen de ce canon peut soulever plusieurs questions : pourquoi sur terre le premier Saint Concile Œcuménique de l’Église pense qu’il est important d’interdire la génuflexion les dimanches et durant le temps de Pentecôte ? Benoît XVI dans L’Esprit de la Liturgie nous rappelle l’histoire d’un vieil abbé qui vit le Diable, noir et laid bien sûr, et sans genoux. L’incapacité de s’agenouiller n’est-elle pas la véritable essence du diabolique (Philippiens 2, 10)

Dans Sur le Saint-Esprit (27.66), Basile le Grand explique cette pratique et donne la raison qui explique pourquoi, jusqu’à ce jour, les églises d’Orient ne s’agenouillent pas le dimanche :

« Nous tous sommes debout pour prier le dimanche, mais personne ne sait pourquoi. Nous sommes debout le jour de la Résurrection pour nous rappeler les grâces que nous avons reçues : non seulement parce que nous avons été élevés avec le Christ et sommes tenus de rechercher ce qui est en haut, mais aussi parce que le dimanche semble être une image de l’âge à venir… Il est donc nécessaire pour l’Église d’enseigner à ses enfants nouveau-nés d’être debout pour la prière en ce jour (Dimanche), de façon que la pensée de la vie éternelle leur soit toujours à l’esprit et que ne soient pas négligés les préparatifs de leur voyage. »

Basile nous dit que dans la primitive Église (et maintenant encore dans les Églises d’Orient) les chrétiens se tenaient debout quand ils priaient pour ne pas oublier qu’ils étaient en voyage). Nous apprenons ainsi que rester debout le dimanche fait écho au commandement que Dieu donna aux Israélites en Égypte, de manger la Pâque « avec vos reins ceints, vos sandales aux pieds, et votre bâton à la main et vous devrez manger en hâte. C’est la Pâque du SEIGNEUR.” (Exode 12, 11)

La Passion, la Mort et la Résurrection de Jésus-Christ est la Pâque nouvelle. Il est l’agneau de Dieu (Jn 1, 29). Quand ils participaient le dimanche à la célébration eucharistique de cette Pâque nouvelle, comme les Israélites en Égypte, les premiers chrétiens restaient debout parce qu’ils se comprenaient comme une Église en pèlerinage.

Le mot “pèlerin” vient du latin pelegrinus (per-agr-) : per  signifie « au-delà » et agr- signifie « terre » ou « pays », littéralement un pèlerin est quelqu’un qui est au-delà ou en dehors de son pays. Quand nous sommes baptisés dans le Christ et unis au Christ, notre Royaume et patrie n’est pas de ce monde (Jn 18 :36). A la place, en devenant chrétiens, nous sommes faits citoyens d’une nation nouvelle, la Cité de Dieu. Comme citoyens du Royaume de Dieu, nous sommes essentiellement pèlerins – étrangers vivant hors de notre patrie – comme nous vivons sur cette terre.

Cette année jubilaire 2025, qui coïncide avec l’anniversaire si important du Concile de Nicée met l’accent sur l’idée de pèlerinage si essentielle pour la première Église. Nous sommes en pèlerinage vers les lieux saints et les églises pour faire de nous des étrangers. Nous sommes en pèlerinage pour devenir étrangers dans un pays étranger. (Exode 2, 22), où nous pouvons apprendre à apprécier notre demeure sur cette terre, mais aussi à regarder vers notre demeure céleste dans le prochain avenir.

La vie sur terre est saturée de tentations. Quand nous embarquons dans un pèlerinage, nous gagnons des sites sacrés et recherchons l’intercession des saints, nous agenouillant devant en eux en prière pour demander guide et soutien.  Ces deux attitudes – debout et à genoux –s’enrichissent l’une l’autre et chacune est utilisée dans le pèlerinage. Se lever et s’agenouiller nous prépare à embrasser la Voie et le But des deux traditions, c’est-à-dire le Christ.

Bien sûr, s’agenouiller est la norme en Occident. La pratique s’est développée à partir d’un désir grandissant d’adorer la Sainte Présence de Dieu dans l’Eucharistie. Elle reflète extérieurement notre dévotion au Dieu imposant et Terrible. Cependant dans son Canon 58, saint Basile de Grand nous dit qu’on s’agenouille aussi, sans recevoir la communion, comme un geste public de repentir. Il est clair ici que le Diable n’a sûrement pas de genoux.

Mais être debout pendant la consécration et la communion n’est pas marque d’irrespect du Seigneur. En étant debout, nous nous montrons comme nous sommes, des pèlerins en partance pour un voyage vers la Cité de Dieu, notre véritable demeure. Et ici encore, le Diable sans genoux aurait de difficultés. Car, agenouillés ou non le dimanche, vous faites le pèlerinage vers le salut sur un sentier pour toujours interdit au diable, qui, sans genoux, ne peut ni s’agenouiller ni marcher sur la Voie du Pèlerinage.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2025/03/02/the-devil-has-no-knees/

Dominic V. Cassella, traduit par Yves Avril