Le Martyre hier et aujourd’hui - France Catholique
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Le Martyre hier et aujourd’hui

Traduit par Yves Avril

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Il y a une question que l’on pose depuis longtemps : « Si les autorités recherchaient les chrétiens pour leur faire subir le martyre, trouverait-on chez vous des éléments suffisants pour une condamnation ? » Autre façon de poser la question : « Pourrait-on considérer que votre forme particulière de foi chrétienne pourrait mériter la persécution ? »

On prétend parfois que « les martyrs chrétiens » ne furent pas mis à mort à cause de leur foi chrétienne, mais pour quelque autre raison, et la question se pose donc de savoir si nous pouvons les appeler des martyrs chrétiens. Ainsi, pour prendre un exemple contemporain, si Edith Stein a été exécutée parce qu’elle était juive et non parce qu’elle était chrétienne, devrions-nous l’appeler « martyre chrétienne » ? De même, si, dans l’Eglise primitive, les chrétiens ont été mis à mort non à cause de leurs convictions religieuses – à l’égard desquelles, on l’a souvent prétendu, les Romains étaient « indifférents » – mais parce qu’on les percevait comme une menace politique pour l’Empire romain, devrions-nous les considérer comme martyrs de foi chrétienne ? Ou devrions-nous seulement les présenter comme des citoyens romains « gênants ».

C’est vrai que les Romains n’étaient pas spécialement intéressés par le dieu ou les dieux que l’on adorait, à la différence des empires hellénistiques qui les ont précédés. Par exemple, un de ces empereurs hellénistiques, Antiochus IV Epiphane (215-164 avt J.-C.), se rendit célèbre en forçant les Juifs de Judée à manger du porc et à adorer une statue de Zeus qu’il avait placée dans le Temple de Jérusalem. Il en résulta une révolution conduite par Judas Macchabée et ses fils. Chez les Romains, en contraste, vous pouviez parfaitement faire ce que vous vouliez du moment que cela concernait votre culte personnel, privé.

Mais les Romains n’étaient pas complètement indifférents à l’égard des croyances religieuses. Pour des raisons diverses et variées liées à l’expansion romaine en Orient et à la centralisation du pouvoir romain dans un empereur unique, « le culte impérial » devint la règle parmi plusieurs administrations romaines vers la fin du second siècle. Et toute religion, comme celle des juifs et des chrétiens qui ne permettait pas à ses fidèles de reconnaître l’empereur comme un dieu, comme la plus haute autorité dans tous les domaines, posait, du point de vue de Rome, un problème distinct.

Une « foi » qui demeurait dans l’église ou le temple et ne gênait pas les chefs politiques, n’était pas un problème. Mais toute personne qui tentait d’enseigner des vérités qui allaient déranger les plans des chefs politiques ou convaincre les gens de s’y opposer en conscience ne devait pas échapper longtemps à la persécution.. Eglises et temples qui s’occupaient du culte à la manière des temples païens – c’est-à-dire, s’ils s’occupaient de rituels minutieux et de sacrifices, mais n’enseignaient que peu ou pas du tout doctrine et la morale –avaient peu à redouter des autorités romaines.

Ainsi aujourd’hui, comme cela a été souvent dans l’histoire, aussi longtemps que tout ce que vous cherchez est « la liberté du culte », vous n’avez pas grand chose à craindre de la plupart des gouvernements. Vous pouvez pratiquer tous les rites minutieux que vous voulez à l’intérieur des murs de vos temple ou église privés. C’est quand vous commencez à déborder sur la place publique, comme une fontaine qui déborde de sa vasque, que les autorités se sentent concernées. Aussi longtemps que la religion des gens est purement « d’un autre monde », la plupart ne s’occupent pas de savoir si vous adorez Zeus ou Yahweh ou le dieu des animaux en caoutchouc.

La presse moderne qui se prononce contre l’enseignement moral de l’Eglise catholique et exhorte le gouvernement à consolider le « mur de séparation entre l’Eglise et l’Etat » n’a aucun problème à publier journellement des horoscopes, même si la croyance à l’astrologie est une croyance religieuse distincte, parce qu’ils savent ce que tout le monde sent : c’est-à-dire que les gens qui lisent les horoscopes et même ceux qui les prennent au sérieux ne présentent aucune menace pour le gouvernement. Les horoscopes n’ont aucun contenu moral, raison pour laquelle ils ne peuvent être une menace pour le pouvoir, si mauvais soit-il. C’est aussi pourquoi il est rare que quelqu’un soit persécuté pour s’occuper d’astrologie. C’est considéré comme « sans danger ». C’est une folie innocente.

Une religion qui dit que toutes les lois et actions du gouvernement doivent être jugées à un plus haut niveau ou par une autorité supérieure ; qu’on doit s’opposer à toute loi qui se trouve fautive à cet égard ; et que le « civisme loyal » doit être jugé précisément par la résistance qu’on oppose au gouvernement dans ce domaine, c’est aujourd’hui cette religion qui est dangereuse. De telles religions ne tardent pas à être soumise à la persécution.
Ainsi le débat sur le martyre dans l’Eglise primitive et celui sur « la liberté du culte » de nos jours ne sont pas sans liens, comme il apparaît. Si par martyr vous voulez dire quelqu’un qu’on a mis à mort spécifiquement pour certain culte précis, on ne trouvera pas tellement de chrétiens qui aient été martyrisés pour cette raison seule. Mais si par martyr vous voulez dire quelqu’un mis à mort pour avoir refusé de reconnaître l’empereur ou les gouverneurs romains comme la plus haute autorité sur les affaires humaines, vous en trouverez des quantités.
Les autorités du Sud n’ont pas harcelé Martin Luther King parce qu’en tant que baptiste ils ne baptisait pas les petits enfants. Quant à sa pratique religieuse il pouvait faire ce qu’il voulait. Ils l’ont mis en prison parce que son message évangélique de liberté débordait sur la place publique sous la forme de protestations contre les lois sudistes Jim Crow.

C’est une fait étrange de nos jours que tant de gens qui voudraient s’associer aux mouvements des droits civiques sont si avides de garder porte close entre les bancs de l’Eglise et la place publique. Ils sont comme le père de sainte Perpétue qui lui conseillait, alors qu’elle attendait la mise à mort, de renier publiquement le Christ en paroles, personne ne devant s’occuper de ce qu’elle faisait en privé. Sa culture était comme la nôtre une culture qui ne connaissait qu’une certaine forme de tolérance . Mais son esprit était celui du Christ qui connaissait une liberté plus vraie que la forme qui peut être donnée ou prise par les autorités séculières.

Mercredi 29 juillet 2015

Randall Smith est professeur (chaire Michael Scolan) de théologie à l’Université Saint Thomas à Houston, Texas.

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/07/29/martyrdom-then-and-now/

Tableau : «Onze Sœurs de Nowogrodek » par Adam Styka 1948