Édith Stein et Érich Przywara - France Catholique
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Édith Stein et Érich Przywara

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10 MARS

Je découvre qu’Edith Stein avait traduit en allemand L’idée d’université de Newman. Mieux encore : c’est le père Erich Przywara qui fut à l’origine de ce travail. L’association de ces trois noms Newman-Przywara-Edith Stein a pour moi quelque chose de fascinant, car elle signifie la transmission même grâce à la plus haute intelligence catholique. Mais voilà qui demande quelques explications. Tout d’abord, c’est sœur Cécile Rastoin, du carmel de Montmartre, qui m’a fait faire cette découverte. Cette religieuse est, en effet, une des meilleures spécialistes d’Edith Stein. Dans son essai (Edith Stein 1891-1942, Enquête sur la source, Ed. du Cerf) elle nous donne un remarquable itinéraire de cette sainte moderne. Je le recommande à tous ceux qui veulent entrer dans le secret d’un de nos grands génies chrétiens.
Mais je dois ici m’arrêter pour rappeler la mémoire de la maman de sœur Cécile, qui s’est éteinte il y a quelques mois. Je ne l’ai jamais rencontrée, mais j’ai eu avec elle – lectrice assidue de France Catholique – de longs échanges téléphoniques. Je me trouvais en totale communion de conviction avec Jacqueline Rastoin qui était, par ailleurs, toute dévouée à l’Amitié judéo-chrétienne de France. Elle y vérifiait le bien-fondé d’un ressourcement dans la première Alliance pour un approfondissement de notre foi. En accord avec ses deux enfants consacrés au Seigneur, l’une au carmel, l’autre à la compagnie de Jésus. Mais revenons à notre sujet. C’est d’abord l’intermédiaire entre Newman et Edith Stein qui m’intéresse ! Cela fait longtemps que le nom d’Erich Przywara me fait rêver. D’abord cette consonance tchèque, bohémienne peut-être. Ne s’appelait-il pas en riant « le Gitan » ? Il était né à Katowice en haute Silésie en 1889, m’apprend sœur Cécile. Y a-t-il un seul livre de lui disponible en français ? Pourtant il joua un rôle considérable dans le catholicisme allemand. Balthasar disait de lui qu’il était « le plus grand esprit qu’il eut jamais l’occasion de rencontrer ». C’est précisément par Balthasar que j’ai appris l’importance philosophique et théologique de ce religieux dont j’avais entendu parler comme interlocuteur principal d’Edith Stein. Dans son intense dialogue avec Karl Barth, Przywara est particulièrement présent à cause de sa réflexion sur l’analogie de l’être. C’est le titre du maître ouvrage de ce jésuite, dont la première version remonte à 1932. On ne peut s’étonner qu’Edith Stein est échangé sur ce thème précis avec l’auteur et qu’elle évoque ses rencontres dans l’introduction de son grand ouvrage : L’être fini et l’Être éternel.

Sœur Cécile consacre quelques pages suggestives à Erich Przywara « auteur de cinquante ouvrages et 800 articles ». Né trois ans avant Edith Stein dans la même région de haute Silésie, il entra chez les jésuites à 18 ans et s’affirma vite comme un des plus dynamiques représentants du catholicisme allemand. On comprend que les nazis l’aient repéré. Mais quelle fougue intellectuelle ! Quelle ouverture d’esprit à ce qui était le plus fécond pour la pensée et le dialogue de la foi. La phénoménologie requiert toute son attention. Il y voit la victoire de l’intelligence sur « le psychologisme, le naturalisme et l’historicisme ». Il ne s’intéresse pas seulement à Husserl, il comprend l’intérêt de Max Scheller de la même manière qu’un certain Karol Wojtyla quelques décennies plus tard. Il discute avec Heidegger, Karl Barth, Tillich. La question des rapports entre christianisme et judaïsme est pour lui capitale, il a saisi la chance providentielle que constitue l’essor moderne d’une pensée d’inspiration vraiment juive avec Martin Bu­ber ou Hermann Cohen : « Przywara fait de nombreuses recensions de livres sur le judaïsme, comme s’il pressentait que dans les années à venir se jouait là le sort de l’humanité, en cette terre allemande où il voyait se diffuser avec inquiétude l’idéologie nazie. Dans ses critiques à certains de ses interlocuteurs juifs, ce sont l’assimilation et le rationalisme athée qu’il déplore, et non la pratique et la sauvegarde de l’identité juive, qu’il admire. »

Przywara est vraiment un précurseur des retrouvailles du judaïsme et du christianisme qu’il envisage dans leur plus haute définition théologique. Sœur Cécile signale aussi ses prédications à Munich et à Vienne dans les années 43-44, publiées par la suite sous le titre Ancienne et Nouvelle alliance. Il s’agit d’établir l’unité et la cohérence des deux Testaments. Il est providentiel qu’un tel religieux ait rencontré la future carmélite et poursuivi avec elle de longs entretiens, à la suite desquels Edith partagera son amour pour Thomas d’Aquin et pour Newman. Dernière remarque de sœur Cécile : « Le jésuite était profondément imprégné de la spiritualité du Carmel dont il connaissait et admirait toutes les grandes figures. Aussi ne peut-on pas s’étonner qu’il ait situé sœur Thérèse Bénédicte de la Croix dans l’élan du Carmel, ayant intégré la solitude d’Élie le prophète et l’esprit d’enfance de Thérèse de l’enfant Jésus. Ce que confirme la sainte elle-même dans sa relation sur l’histoire du Carmel : au plus profond de la solitude de la nuit, dans la confrontation à l’abîme, seule demeure la voie de confiance aveugle en Dieu, la voie de l’enfant qui s’abandonne à la main de son père… »

12 MARS

Dans le livre de sœur Cécile Rastoin, j’ap­prends aussi qu’Édith Stein était tombée amoureuse du philosophe Roman Imgarden pendant la première guerre mondiale. Ce fut sans doute un moment assez bref, Imgarden s’étant vite éloigné d’elle sans que leur amitié ne soit jamais rompue. Il existe des lettres entre les deux jeunes gens qui seront publiées plus tard par le fils d’Imgarden et qui montrent quelle confiante intimité fut la leur. Roman se mariera de son côté en 1919. Edith, par la suite, écrit sœur Cécile « tente vainement de lui faire comprendre la joie de la foi et combien son chemin ne s’explique pas par un dépit amoureux, mais bien par la découverte d’un monde nouveau et par l’aboutissement d’une quête à la fois intellectuelle et existentielle ». Cette correspondance se poursuivra lorsque Edith sera entrée au Carmel.

C’est au lendemain de la seconde guerre mondiale que Karol Wojtyla rencontrera à Cracovie le même Roman Imgarden, juif polonais qui a fait retour à sa patrie natale. Il sera son professeur à l’université Jajellone. Un rapide examen des historiens de Jean-Paul II, George Weigel et Bernard Lecomte, permet de confirmer les rapports du philosophe et du futur pape. Je retiens surtout que « le 6 avril 1968, face à la campagne antisémite lancée par le parti, Mgr Wojtyla invite ostensiblement à l’archevêché de Cracovie son ancien maître, le philosophe Roman Imgarden, d’origine juive, pour une conférence sur… la philosophe Edith Stein morte à Auschwitz. » (Bernard Lecomte, Jean-Paul lI, Gallimard).