LES SAVANTS RUSSES ET LES ANGES - France Catholique

LES SAVANTS RUSSES ET LES ANGES

LES SAVANTS RUSSES ET LES ANGES

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Pourquoi les savants s’intéressent-ils tant aux quasars ? Pourquoi leurs discussions sur ces astres si lointains que l’œil ne peut les voir et si anciens qu’ils ont peut-être depuis longtemps cessé d’exister sont-elles passionnées au point que, parfois, les mots « charlatan » ou « vous en êtes un autre » se devinent entre les lignes de leurs communications ?

Dans une précédente chronique, j’ai exposé quelques-uns des résultats qui semblent maintenant acquis. Les quasars sont les astres les plus lointains que l’on puisse actuellement observer. La lumière que nous en recevons et qui impressionne, en 1971, nos plaques photographiques et nos antennes de radio-astronomie a voyagé des milliards et des milliards d’années à raison de 300 000 kilomètres à la seconde, avant de nous parvenir. Quand elle fut émise par l’astre, ni la Terre ni le Soleil n’existaient encore. Les quasars nous révèlent donc un état de l’univers formidablement ancien, beaucoup plus proche que nous de cet instant mystérieux que les astrophysiciens, pour éviter de prononcer le mot de « création », appellent le « big bang », le « gros bang ». 1

Le non-conformisme et les orthodoxes

Ils ont du reste raison d’éviter ce mot, car sait-on si, sous une autre forme qui se dérobe à notre intelligence, quelque chose n’existait pas déjà avant ce « big bang » ? Ces idées sont vertigineuses.

Plus vertigineuses encore sont celles que les quasars inspirent aux astrophysiciens russes, et que je voudrais exposer ici.

Et d’abord une remarque, qui s’impose si l’on veut donner son juste prix à la démarche de ces savants. Comme pour les écrivains (penser, par exemple, à Soljenystsine), il serait inconvenant de s’imaginer les savants russes, parce que Russes, comme particulièrement matérialistes, athées, ou que sais-je. Ils ne le sont ni plus ni moins, et plutôt moins, que leurs collègues occidentaux. Plutôt moins, car les études psychologiques faites sur les savants de diverses nationalités le montrent, la pratique de la science incline l’esprit à la rébellion, au non-conformisme, au rejet des orthodoxies (a). Il y a donc probablement plus de savants athées en Espagne qu’en URSS. Et en ce qui concerne plus précisément les quasars, on peut même se demander dans quelle mesure les savants russes n’ont pas été, peut-être inconsciemment, mais peut-être pas, influencés par les spéculations de la théologie orthodoxe sur les anges. Eh oui, les anges.

Une autre remarque préalable doit être faite : c’est la très haute qualification de ces savants. En astrophysique, les Soviétiques sont au tout premier rang dans le monde, avec des noms comme Ambartzoumian, Lyapounov, Schklovski ou Kardachev. L’institut astronomique Sternberg de l’Académie soviétique des sciences, à Moscou, est certainement un des hauts lieux de cette science.

Leur interrogation initiale concerne la destinée de la pensée consciente dans l’univers, sujet sur lequel Schklovski a écrit, en collaboration avec son collègue américain Carl Sagan, un livre passionnant qui n’a jusqu’ici retenu l’attention d’aucun éditeur français 2 . La pensée humaine étant apparue sur la Terre vers le quatrième milliard d’années du système planétaire entourant l’étoile que nous appelons Soleil, que se passe-t-il actuellement, peut-être sous nos yeux, dans les systèmes planétaires plus âgés que le nôtre de milliards d’années ? Où en est actuellement la vie − où en est la pensée − autour des étoiles qui en étaient où nous en sommes, il y a trois, quatre ou six milliards d’années ?

Ceci, bien sûr, n’est qu’une interrogation : personne n’y peut répondre. Mais ce que la science peut faire, c’est rechercher si l’évolution de la vie terrestre telle que l’observent les paléontologistes, les géologues et les historiens obéit à quelque loi constante permettant l’essai d’une prévision, et voir ensuite si cette prévision correspond à un fait observable. C’est ce qu’a fait Kardachev en retenant la loi d’évolution énergétique, loi qui peut, en gros, s’exprimer ainsi : plus un être est évolué et plus il dépense d’énergie. Cette loi est valable pour les individus, mais aussi, et d’une façon particulièrement frappante, pour les civilisations : l’histoire l’illustre avec une clarté irrécusable, au point qu’elle se traduit jusque dans notre société contemporaine par des notions comme l’évolution du produit national brut.
Une loi qui se vérifie dans la vie terrestre depuis 4 milliards d’années et jusque dans l’histoire humaine, a quelque chance, dit Kardachev, de continuer à se vérifier quelque temps encore. Or, voici quelles seraient alors ses conséquences : dans deux cent quarante ans l’énergie évacuée dans l’espace par les hommes égalerait celle que la Terre reçoit du Soleil ; dans huit cents ans, elle serait égale à toute l’énergie solaire ; et dans mille cinq cents ans, elle dépasserait celle de la Galaxie tout entière. 3

D’où l’idée de rechercher dans l’espace des entités ayant toutes les apparences d’un astre, mais rayonnant plus d’énergie qu’une galaxie. Il y a dix ans, cette idée paraissait folle, absurde, physiquement impossible. Puis on trouva les quasars. Ils ont toutes les apparences d’un astre, en particulier, on est certain qu’ils sont de petite taille, de l’ordre d’un système solaire ; et cependant, ils rayonnent des milliers de fois plus d’énergie qu’une galaxie faite de centaines de milliards de soleils ; et ce qui semble inconciliable avec cette fantastique puissance, ils ont une composition chimique analogue aux vieux soleils pas très chauds, très proche, par conséquent, de celle des corps vivants…

L’hypothèse et les quasars

Alors, les quasars seraient-ils des êtres pensants immensément plus avancés que nous dans la domination du monde physique ? Les savants soviétiques ne disent pas cela. Kardachev remarque seulement que cette hypothèse est la seule qui, jusqu’ici, ait permis de prévoir des faits nouveaux vérifiés par l’observation. Et il ne faut pas oublier ce qu’est une hypothèse. Mais on comprendra pourquoi je parlais des anges. Au moment où nos petits maîtres en fausse science expliquent les anges par la psychanalyse, il est piquant de voir les astronomes soviétiques rechercher dans l’espace, avec leurs instruments, la trace (probable selon eux), d’êtres supérieurs à l’homme et faiseurs de prodiges 4. Quelle époque merveilleuse que la nôtre, et comme je remercie la Providence de l’avoir choisie pour moi !

Aimé MICHEL

(a) Voir par exemple, de R. B. Cattell et H. J. Butcher : The prediction of achievement and Creativity (Bobbs-Merrill, 1968).

(b) S. A. Kaplan, N. S. Kardachev, B. N. Panovkin, L. M. Gindilis, etc. : Extraterrestrial civilization, problems of interstellar communications, traduit et publié par l’Israël Program for Scientific translations, Jérusalem 1971. Il y a de nombreuses autres publications. Celle-ci n’est que la plus récente (5) 5 .

Les notes de (1) à (5) sont de Jean-Pierre Rospars

(*) Chronique n° 68 parue dans France Catholique − N° 1 306 − 24 décembre 1971.

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Rappel :

Deux livres qu’il faut absolument faire connaître :

Aimé Michel, « La clarté au cœur du labyrinthe ». Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).

Aimé Michel, « L’apocalypse molle ». Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, précédée du « Veilleur d’Ar Men » par Bertrand Méheust. Préface de Jacques Vallée. Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses. Éditions Aldane, 376 p., 27 € (franco de port).

À payer par chèque à l’ordre des Éditions Aldane,

case postale 100, CH-1216 Cointrin, Suisse.

Fax +41 22 345 41 24, info@aldane.com

  1. On sait aujourd’hui que les quasars sont des galaxies très éloignées qui s’éloignent de nous à grande vitesse comme l’indique le très important décalage vers le rouge de la lumière qui nous en parvient. Ces galaxies abritent un trou noir en leur sein, d’une densité si grande que l’espace-temps lui-même y est déformé et que rien pas même la lumière ne peut échapper à sa prodigieuse attraction gravitationnelle. Les matériaux situés dans le voisinage du trou noir y tombent selon une trajectoire en spirale en se heurtant les uns les autres. Des étoiles entières sont ainsi sont engouffrées. Il en résulte la production d’énormes quantités d’énergie dont une partie est rayonnée sous forme d’ondes électromagnétiques (ondes radio, lumière). (Voir note 648 de La clarté, p. 542, au chapitre 21).
  2. I. S. Shklovskii et C. Sagan : Intelligent Life in the Universe (Holden Day, San Francisco, 1966). Ce classique, cité dans la chronique n° 80, Questions aux philosophes, parue ici le 16 novembre 2009, n’a jamais été traduit en français. L’histoire de ce livre n’est pas banale. Racontée par Sagan dans la préface, elle parle d’un temps heureusement révolu. En 1963, peu après le 5ème anniversaire du lancement de Spoutnik I, Iosef Chklovski (j’utilise ici la translittération française, celle utilisée par les Russes sur leurs passeports), alors directeur de l’Institut d’Astrophysique de Moscou, fait paraître son livre Univers, vie, raison (Vselennaia, Zhizn, Razum) à Moscou. Son titre résume bien le contenu de ses trois parties consacrées respectivement à l’univers, à la vie dans l’univers, enfin à l’intelligence dans l’univers. De larges extraits en sont publiés dans la presse soviétique et il est traduit dans diverses langues. Il connaît deux éditions en langue française dans une traduction de Robert Giraud, la première par les Editions de la Paix à Moscou ; la seconde en 1967, peut-être à l’instigation d’Aimé Michel, par les Editions Planète (mais sans les photographies de la première édition). Quand il le reçoit, Sagan, frappé par sa largeur de vue et ses aperçus nouveaux, se propose de le faire traduire. Chklovski accepte et l’invite à y faire des additions s’il le souhaite. Sagan se prend au jeu et finit par doubler la taille du livre initial. Chklovski lui-même ne se prive pas d’y faire de nombreux changements et additions si bien que le nombre de chapitres passe de 25 à 35 mais l’ensemble conserve la division tripartite de l’ouvrage originel. Tout se fait évidemment par la poste. « Puisqu’il ne voyage pas en dehors de l’Union Soviétique, explique Sagan dans la préface, et que je n’ai jamais voyagé en Union Soviétique, nous n’avons pas pu discuter en personne la présente édition. La probabilité de notre rencontre est vraisemblablement plus petite que la probabilité d’une visite sur Terre de cosmonautes extraterrestres, m’écrivit-il une fois d’une humeur malicieuse. » Ce en quoi d’ailleurs il se trompe car quelques temps plus tard on retrouve Chklovski en congrès à Brighton et à Berkeley ! Les auteurs ne parviennent pas à oublier complètement leurs différents idéologiques. « Quand Chklovski exprime sa croyance qu’une paix mondiale durable est impossible tant que survivra le capitalisme ou insinue que les lasers ne sont activement mis au point aux États-Unis que pour leurs seules applications militaires possibles », Sagan préfère laisser dire sans répliquer ! Était-ce le prix à payer pour être autorisé à voyager et publier en dehors du bloc soviétique ? En tout cas Chklovski se montra toujours attaché à la Russie et n’écouta jamais les suggestions qui lui furent faites d’émigrer aux États-Unis en dépit des difficultés qu’il rencontrait dans son pays pour mener ses recherches et même des discriminations dont il était l’objet en raison de ses origines juives.

    Chklovski était Ukrainien. Il avait quitté l’école très tôt pour travailler à la construction de voies de chemin de fer en Sibérie durant son adolescence. Un article qu’il lut par hasard sur la découverte du neutron enflamma son imagination. Il étudia par lui-même pour entrer à l’université et poursuivit sur sa lancée jusqu’à l’Institut astronomique Sternberg à Moscou. Il se fit connaître en radio-astronomie par sa prédiction de la raie à 21 cm de l’hydrogène et son explication des émissions radio cosmiques par l’effet synchroton (il fallait pour cela imaginer de puissants champs magnétiques au voisinage des corps célestes). Il possédait une humanité et un humour qui lui attachait des étudiants dévoués. « Il était impossible de ne pas l’aimer, écrit de lui Frank Drake, impossible de n’être pas vaincu par sa chaleur et son optimisme. » Lors de son voyage à Berkeley, ses achats principaux furent un paquet de cartes à jouer illustrées d’images cochonnes et un badge proclamant « Prier pour le sexe ». Pour le paquet de cartes il expliqua qu’il pouvait faire cadeau d’une carte à chacun des scientifiques de son institut. Quant au badge il commenta : « Dans votre pays, ce slogan est choquant pour une seule raison ; dans le mien, pour deux » (Frank Drake et Dava Sobel, Is anyone out there ? The scientific search for extraterrestrial intelligence, Delta, New York, 1994, p. 100).

  3. Kardachev classait les civilisations extraterrestres en trois catégories selon leur maîtrise de l’énergie. Celles de type I, étaient comme nous capables d’utiliser l’énergie de leur planète. Celles de type II pouvaient maîtriser l’énergie de leur soleil, tandis que celles de type III étaient capables d’utiliser toute l’énergie de leur galaxie. Dans ce dernier cas, soutenait Kardachev, rien ne serait plus facile que de les détecter. Nul besoin de capter des signaux radio intelligents, il suffirait de détecter sous forme de rayonnement infrarouge la chaleur résultant de leur énorme consommation énergétique. Il utilisa 5 radiotélescopes répartis de l’Ouest à l’Est de l’URSS sur 8000 km. Tout signal recueilli par les 5 antennes à la fois ne pouvait être que d’origine extra-terrestre. Mais elles ne captèrent rien d’autres que des signaux naturels en provenance du Soleil. Puis, soudain, en 1965, Kardachev et son collègue Cholomitsky captèrent un curieux signal radio. Il était extraterrestre et son intensité changeait au cours du temps avec une période de plusieurs mois, comme s’il était destiné à attirer l’attention, et assez puissant pour qu’on puisse y voir l’émission d’une civilisation de type III située près d’une radio-source découverte au début des années 60 par l’Institut de Technologie de Californie et connue sous le nom de CTA-102 (Caltech Catalog A n° 102). Cholomitsky convoqua la presse pour annoncer la découverte de la première civilisation extraterrestre. Chklovski d’abord réticent se joignit à la fête. Mais les scientifiques du Caltech révélèrent alors que le télescope du Mont Palomar venait de découvrir des variations semblables de même cette source mais dans le domaine optique : CTA-102 était sans aucun doute un de ces quasars, dont on ne comprit que plus tard ce qu’ils étaient (voir note (1)). L’embarras fut grand à Moscou mais ne découragea pas Kardachev de poursuivre plus discrètement sa recherche de signaux intelligents. Il n’empêche : cette première observation d’une émission radio variable par un quasar reste une grande découverte qui ouvrit un champ nouveau à la radioastronomie.
  4. On oublie bien souvent que dans le judaïsme et le christianisme, les hommes ne sont pas les seules créatures pensantes. La plupart des théologiens considèrent que les anges sont de purs esprits susceptibles de se rendre visibles aux humains mais cette interprétation n’est pas universelle.
  5. Dans l’article originel cette note b est également flottante. Je ne vois pas où exactement Aimé Michel avait bien pu la placer dans son manuscrit.