Conscience et Vérité - France Catholique

Conscience et Vérité

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Il m’est fréquemment arrivé de demander à mes étudiants de considérer la question que voici : « Si vous étiez en train de faire quelque chose d’objectivement mauvais sur le plan moral, est-ce que vous aimeriez que quelqu’un vous le fasse remarquer et tente de vous persuader d’arrêter ? » 
Beaucoup d’étudiants hochent immédiatement de la tête pour dire que non. » Lorsqu’on le leur demande, la plupart répondent : « Ҫa dépend. » « Ҫa dépend de quoi? » Leur réponse va du « Ҫa dépend de la personne qui me le dit » aux « Ҫa dépend de la manière dont elle essaie de me dire que j’ai tort » ou « Ҫa dépend de ce dont il s’agit et à quel point j’ai vraiment envie de le faire ». On a là, à mon sens, une expression assez exacte de la misère humaine.

Certains étudiants prétendent que oui, ils aimeraient dans un certain sens être corrigés, parce qu’évidemment, s’ils étaient en train de faire quelque chose de mal, la personne les corrigeant les aiderait à se redresser. Mais même ceux-là, quand ils sont interrogés, reconnaîtront en général que, bien qu’ils devraient trouver la correction bienvenue, ils n’apprécieraient pas (qu’on intervienne, NdT).

« Pourquoi? Cette personne n’essaie-t-elle pas de vous aider, de vous amener à être meilleur, de vous empêcher de faire quelque chose qui nuirait à vous-même, même si elle ne prend pas pour cela la meilleure méthode qui soit ?»
“D’accord, mais c’est difficile.»

“Difficile comment ? Difficile comme est difficile le calcul intégral ? Difficile comme courir un sprint court ? Difficile comme le sont frapper un coup de circuit (au baseball, NdT) ou obtenir 20/20 à l’école ? »

«  Non, pas difficile comme cela.»

« Alors comment?»

« Parce que c’est difficile d’entendre des choses sur soi », me confie une jeune femme. « Ah bon ? » demandai-je. « Les gens n’aiment pas entendre des choses sur eux? »

« Si, bien sûr, quand ce sont de bonnes choses»

« Si c’est les cas, alors pourquoi certains sont-ils si pressés de paraître à la télévision ou sur YouTube au point qu’ils vont faire des choses très mauvaises ou très stupides pour amener les gens à les filmer ? »  

«  Eh bien », me répond-elle très finement, « c’est parce que ce n’est pas leur vraie personne qu’ils révèlent. C’est juste une mise en scène pour la caméra. Ils gardent leur moi réel et vrai caché quelque part, où personne ne pourra les voir. »

« Pensez-vous qu’on ne pourra pas les découvrir après un certain laps de temps? Est-ce que l’être véritable (si tant est qu’il existe) peut disparaître complètement, pensez-vous que dans cette confusion des êtres, ils peuvent continuer à mettre un masque/enlever le masque comme dans une tragédie grecque ? »

Je demande à mes étudiants : «  Qu’est-ce qui vous dérange le plus : lorsque votre mère ne vous comprend pas du tout, ou au contraire lorsqu’elle ne vous comprend que trop bien? » On est généralement d’accord pour dire que c’est la deuxième option qui pose le plus gros problème.

Les jeunes se plaignent souvent : «  Personne ne me comprend. J’aimerais que les gens saisissent ce point précis en ce qui me concerne, et là ils me comprendraient. » J’ai entendu cette plainte suffisamment souvent pour être amené à prendre l’habitude au début de chaque semestre de demander à mes étudiants de me fournir une photo d’eux, n’importe laquelle. Au dos de celle-ci, je leur demandais d’inscrire leur nom et trois choses que je devrais savoir les concernant.

Cette demande les gênait considérablement. «  Comme quoi par exemple? Qu’est-ce que vous voulez savoir? »  

Je réponds alors : « Ce que je devrais savoir à votre sujet. Il n’y a que vous qui pouvez savoir ce que je devrais savoir sur vous : si vous aimez collectionner les timbres ou faire de grands ballades à vélo, ou si vous avez assisté au meurtre de vos parents alors que vous étiez enfant, ou si vous êtes originaire d’une petite ville dans l’Idaho. Comment puis-je savoir? Tout ce que je vous demande, c’est de me dire ce que je devrais savoir de manière à ce que vous ne soyez pas tout à fait incompris. »

La plupart de mes étudiants sont perplexes pendant des jours. Beaucoup d’entre eux finissent par n’écrire que leur nom et celui de leur discipline principale, comme si c’était ce qui caractérisait le mieux toute leur vie, ce qui serait terrible, si je songeais un instant que c’était le cas.

J’ai souvent aussi donné à mes étudiants un exercice d’autoréflexion, exercice que j’ai tiré du livre de Steven Covey, « Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils entreprennent », partant du principe que la plupart de mes étudiants veulent réussir en affaires. Les questions tournent toutes autour de la manière dont les étudiants envisagent d’acquérir une certaine « qualité de la vie » à différents niveaux : physique, relationnel, spirituel, et professionnel. Je dis donc à mes étudiants que je ne conserverai pas les résultats, que je les lirai seulement, que cet exercice est pour eux tout simplement, mais qu’ils doivent s’y plier.

Il est intéressant de noter que presque personne ne s’exécute. Quelques jours plus tard, je demande : «  Qui a fait l’exercice d’autoréflexion? » Une ou deux mains se lèvent timidement. « Je l’ai commencé », me dit un étudiant, « mais je ne l’ai pas fini.» « Pourquoi? ». « C’était difficile », répond-il. « Pourquoi est-ce difficile? » demandai-je. « Ce n’est pas comme si ces questions étaient des questions de physique avancée ou du même genre ; c’étaient seulement des questions sur vous, et apparamment vous avez passé pas mal de temps avec vous-même.»

Quelques semaines plus tard je leur demande : « Qui a fait l’exercice d’autoréflexion? ». Aucune autre main ne se lève. Je leur demande : « Qu’est-ce qui a été plus important, entre cette fois et la précédente, que de réfléchir un peu à votre propre vie ? » Ils ne sont pas en mesure de me le dire.

« Connais-toi toi-même », dit le Pape Jean-Paul II au début de son encyclique Fides et Ratio, faisant écho au proverbe qui remonte au temps de Platon et à la Grèce Antique. Belle phrase : le seul problème, c’est que c’est difficile.
Est-ce que nous refusons d’entendre une correction d’ordre moral parce que nous sommes tous des relativistes sur le plan moral et que nous nous disons « qui sont-ils pour essayer de me faire la morale? » Ou le problème réside-t-il dans le fait que nous ne voulons pas entendre la vérité sur nous-mêmes, car la vérité serait tout simplement trop difficile à supporter ?

Qui chercherions-nous à éviter, si ce n’est nous-mêmes ? La grande tragédie dans de tels cas ne serait-elle pas l’essence de ce que le philosophe danois Soren Kierkegaard appelait « La maladie à la mort », c’est-à-dire que nous ne pouvons en fait jamais échapper à nous-mêmes ? 

Mais Dieu sait que nous essayons tout de même de le faire. « Stupide Eglise », disons-nous. « Garde tes leçons de morale pour toi. »  

  
samedi 18 octobre 2014

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Randall B. Smith est professeur à l’Université de St. Thomas, où il vient d’être nommé à la chaire Scanlan de Théologie.

(Conscience and Truth, by Randall Smith : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/conscience-and-truth.html )