Atroce mais salutaire délire - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Atroce mais salutaire délire

Traduit par Bernadette Cosyn

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J’ai eu autrefois un avant-goût de l’Enfer suite à une prise de drogue. J’étais à la faculté. C’était le genre de choses que nous faisions alors.
Ce fut, pour le moins, une expérience désagréable. Ce fut également la meilleure chose qui me soit arrivée.

Avec trois amis — un autre étudiant et nos deux charmantes petites amies — nous avions décidé de tâter de la mescaline de synthèse. Je ne me souviens pas comment M. s’était procuré les drogues (il avait aussi du hashish additionné d’opium) mais j’imagine qu’il les avait obtenues d’un étudiant en chimie.

Nous nous sommes réunis dans l’appartement de M. sur le campus et nous avons pris les pilules, puis nous avons vaqué à la préparation du repas, agissant comme des jeunes gens immatures de 20 ans.

Rien ne se passa. Une heure plus tard, nous ne ressentions rien. Alors M. a sorti une pipe en écume que son oncle marin lui avait donnée, il a mis la poisseuse boule de hashish dans le fourneau, l’a allumée et l’a fait circuler.
A cette époque, je ne me considérais pas comme athée, parce que même à cette période, j’avais un minimum d’humilité, mais comme la drogue – le hashish je suppose – commençait à agir, je dis à N. (la petite amie de M.) :

« †u sais… il n’y a pas de Dieu ; nous sommes des dieux. »

J’étais l’euphorie personnifiée.

Mais ensuite j’ai toussé, crachant des mucosités sur le dos de ma main en rougissant de confusion. N. éclata de rire. Je me forçai à sourire et elle dit :

« Tu devrais sourire plus souvent. »

Nous nous tenions dans la minuscule cuisine et je traversai alors le petit salon pour aller m’asseoir sur le canapé. P., ma petite amie, vint me rejoindre. Je la regardai marcher vers moi. Mon cœur commença à battre la chamade.

Ses yeux sont immenses, sa bouche béante, je suis sûr qu’elle est en train d’étouffer, de mourir. Elle s’écroule près de moi… et éclate de rire.

« J’essayais de bailler, dit-elle, essoufflée. C’est dur de bailler ! »

Tous se tordent hystériquement et je reste là, avec un pouls galopant, un estomac retourné, des intestins brûlants et tout à coup je me rends compte que le temps s’est arrêté. Une question prend forme dans mon esprit bouleversé :qu’est-ce que cela signifie souffrir pour l’éternité ?

Je contemple ma poitrine, mon coeur cognant contre mes côtes. Mon corps est sur le point d’éclater. Il n’y a qu’une réponse possible à la question : tu es en Enfer.

M. arpente la pièce, parlant de baseball, la justification de l’existence selon lui, et les deux autres continuent de rire, je pense qu’ils rient de moi, et je ne comprends pas pourquoi ils ne peuvent pas voir pas la désespérance qui est survenue.

Quelque effroyable cycle nous a piégés. M. tangue, N. regarde P. et rit, P. me regarde et dit :

« C’est comme être au paradis. »

De nouveau dans la pièce. Ma tête vacille, je me passe et me repasse ma vie, essayant de comprendre ma damnation. Les souvenirs surgissent, mais je retombe en arrière. Je ne peux rien changer d’un iota.

Je vais interrompre cela ! Je me rue hors de l’appartement. Je cours aussi vite que je peux sur le kilomètre qui me sépare de la chambre à la casa orgia que j’appelle mon chez-moi. Deux voix, venues de derrière mes épaules, me raillent :

« Est-ce qu’il va y arriver cette fois ? »

« Pas cette fois. »

J’arrive au passage à niveau quelques blocs plus loin. La sonnerie retentit et les barrières s’abaissent.

« Est-ce qu’il va y arriver ? »

Je m’engouffre dans le passage, trébuche et tombe. Le train passe en grondant.

Maintenant, étendu sur mon lit, mes bras sont largement écartés et mes chevilles croisées comme Jésus crucifié. Je pleure durant une demi-heure. Puis P. tambourine sur ma porte. Elle s’assied à côté de moi :

« C’est la drogue, me dit-elle. C’est la drogue. Ne désespère pas ! »

Une semaine plus tard, je retourne en classe, un pas après l’autre. Gauche, droit. Gauche : je ne crois pas en Dieu : droit, je crois.

Ce que j’ai réalisé après toutes ces années est que ce que j’ai vu (entrevu serait plus juste) dans l’Enfer, ce n’est pas seulement la grandeur de Dieu mais aussi ma propre grandeur : je suis grand parce que Dieu m’a créé – une prise de conscience angoissante puisque j’avais nié Son existence et que j’étais torturé par mes péchés.

Paix à Dante, j’ai vu le signe, celui qui conseille aux damnés d’abandonner tout espoir. Croyez-moi, vous ne voudriez jamais vous sentir désespéré, sans valeur. C’est le péché éternel.

Pourtant, ce n’est pas cela qui m’a fait brûler. Après tout, je n’étais pas désespéré par mes transgressions au point de réformer mes conduites pécheresses. Oh, non ! Une paire d’années plus tard, je me suis converti au catholicisme, mais j’ai persisté dans mes péchés tels qu’ils étaient.
Non, ce qui a chassé l’enfer hors de moi, c’est l’amour. Dieu ne s’est pas contenté de me créer : Il m’aime. Ma vaine auto-justification me condamne.
Mais je ne suis pas un aléa du hasard, une poussière négligeable. Je suis aimé par Celui qui m’a appelé des ténèbres, en me montrant que c’étaient des ténèbres, alors que je les prenais pour la lumière. J’ai enfin vu la vraie lumière.

« Avant que je ne t’aie formé dans le ventre maternel, je te connaissais

je t’avais mis à part dès avant ta naissance. »

Dieu ne m’a pas appelé à devenir prophète des nations, comme Il l’a fait pour Jérémie, mais il m’a montré, au temps choisi par Lui, l’amour qui change tout.

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Brad Miner est rédacteur en chef de The Catholic Thing, membre de l’institut Foi et Raison et membre du conseil de l’Aide à l’Eglise en Détresse aux USA. Il est l’auteur de 6 livres et ancien chroniqueur littéraire de National Review.

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Illustration : Les portes de l’enfer, par Auguste Rodin, vers 1890 (musée Rodin, Paris)

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/bad-trip.html