01 - § 02 - La Boutique verte - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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01 – § 02 – La Boutique verte

Cet article est en cours de traduction en anglais-américain, mais nous cherchons des volontaires pour la suite...

Des Menhir à Internet - Chapitre 1

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La Boutique verte était un petit local en face du porche de l’église Saint-Séverin, appartenant à cette paroisse. C’était une pièce avecune devanture vitrée, et une petite arrière-boutique. On s’y réunissait le mardi soir, d’abord à bureau fermé pour prier pendant un quart d’heure. Puis l’on invitait les gens à entrer – à moins qu’ils n’entrent d’eux-mêmes quand ils étaient attirés par la lumière. Nous étions au milieu d’un quartier de petites rues, avec des restaurants bon marché, des marchands de sandwichs. Des touristes passaient sans arrêt, des étudiants, et des marginaux, clochards et mineurs en fuite. Les marginaux entraient le plus facilement. Ils étaient ouverts à du neuf. Ils venaient bavarder et boire quelque chose de chaud. A dix heures du soir on fermait la porte extérieure et l’on faisait une prière avec ceux qui étaient là. En général Bernadette avec sa guitare
animait cette prière. On n’arrêtait pas de parler de Dieu dans cette boutique. Bien sûr, on essayait d’en parler aux personnes accueillies et il se passait presque toujours quelque chose. Mais il arrivait que des gens viennent spécialement pour parler de la foi. « Pourquoi es-tu venu ici ? », ai-je demandé un jour à un jeune originaire de Belleville. Il m’a répondu : « Je ne sais pas, il paraît que vous parlez de Dieu ici. Comme je ne le connais pas, je suis venu. »

Bernadette Jomard était interne en pharmacie. A l’hôpital on l’avait surnommée « Miss Cafard.» Elle avait été en Inde. De retour à Paris, elle s’était convertie à Teen Challenge, une organisation protestante en lien avec les pentecôtistes. Elle avait fréquenté alors un groupe de prière animé par des orthodoxes et s’était retrouvée enfin au début du groupe de l’Emmanuel. Bernadette était toujours souriante, chez elle un charisme, tant pour la louange que pour l’accueil. Un jour j’entendis un jeune marginal lui dire : « C’est facile pour toi de sourire, mais si tu étais dans notre situation tu ne le ferais pas. » Bernadette a répondu : « Tu vois, je viens de perdre mon père et si je peux sourire, c’est que ça vient d’ailleurs. »

Lorsque je suis venu la première fois à la Boutique verte, je disais à soeur Marie-Thierry : « Je ne sais pas comment évangéliser, je ne sais pas ce qu’il faut dire. » Elle m’a répondu : « Tu n’as qu’à te mettre avec moi, écouter et prier pendant que je parle. » Au cours d’une conversation qu’elle menait avec un jeune, je me suis dit : « Pourquoi ne lui dit-elle pas ça ? » Je me suis mis alors à parler. Je me suis alors rendu compte que l’Esprit Saint m’avait fait voir quelle était la question, et j’avais la réponse. A partir de ce moment, je ne me suis plus préoccupé de ce que je devais dire.

Nous avions aussi dans notre équipe un grand jeune homme, ancien hippie. On m’a dit que quelques mois auparavant il se baladait dans le métro en robe blanche avec des fleurs dans les cheveux. Il voulait se faire prêtre, mais on a découvert qu’il était marié et avait laissé sa femme quelque part. Ils reprirent la vie commune quelque temps après et ont eu des enfants. Il s’appelait Alain.

Le premier, il a eu l’idée de sortir carrément parler aux gens dans la rue. Après un ou deux essais infructueux, Alain a trouvé une méthode qui nous a donné plus d’assurance et a attiré les gens. Il avait écrit tout l’Evangile de saint Jean sur des feuilles cartonnées, en pliage accordéon. Au fur et à mesure qu’il lisait cet Evangile au carrefour, les feuilles descendaient. Pendant que quelqu’un lisait l’Evangile, les autres parlaient à ceux qui s’arrêtaient. Il y avait souvent des Algériens et des Marocains. Nous nous sommes procuré dans une librairie protestante de petits Evangiles en arabe. Ces musulmans, quand ils voyaient l’Evangile en arabe le prenaient avec respect et le mettaient dans leur poche. La plupart ne savaient pas lire l’arabe. Mais le petit livre les faisait passer au-delà d’une barrière culturelle et religieuse. Puisque l’Evangile était écrit en arabe aussi, la langue sacrée du Coran, c’est donc qu’il pouvait être un texte religieux. Leur coeur commençait à s’ouvrir. Quelques-uns entraient dans la boutique. Je me souviens d’une discussion avec l’un d’entre eux qui était de Libye. Il s’accrochait à la question de la prédestination de façon très affirmative et je pensais que la conversation ne pouvait mener à rien ; il fallait trouver un moyen poli d’arrêter l’échange. Je me suis dit que j’allais lui parler de Jésus Fils de Dieu, ce que les musulmans sont censés ne pas supporter. J’ai dit à peu près ceci : « Vous les musulmans, vous croyez en Dieu, mais
vous ne pouvez pas comprendre à quel point il nous aime. Il nous aime tellement qu’il s’est fait homme pour nous rencontrer… » Le Libyen est parti. Mais à ce moment-là j’ai vu que deux personnes étaient également en train d’écouter. Ils étaient d’Afrique du Nord, et l’un d’eux m’a dit : « Mais c’est beau, je n’avais jamais entendu ça ! »

De ce jour-là j’ai compris qu’on ne pouvait pas classer les gens tous dans la même catégorie, et déclarer par exemple que les musulmans sont incapables d’accepter l’Evangile ou de comprendre ceci ou cela. On préjuge que c’est impossible pour eux d’entendre des choses sur la Trinité et l’Incarnation par exemple. Ainsi nous nous interdisons nous-mêmes de leur en parler, nous les condamnons d’avance à ne jamais entendre la Bonne Nouvelle. Or Jésus Fils de Dieu a donné sa vie pour tout homme. Si nous le croyons, nous devons essayer d’être sa bouche pour le dire à tout homme que nous rencontrons. Il ne faut pas déclarer à l’avance que telle personne est incapable d’entendre parler de Jésus. Plus tard Véronica O’Brien, ancienne de la Légion de Marie et conseillère du cardinal Suenens 1, me dirait : « Hervé Marie, retenez bien ceci : personne n’est trop
loin de Dieu que je ne puisse lui dire une parole pour l’aider à s’en rapprocher un peu, et personne n’est trop près de Dieu que je ne puisse lui dire une parole pour l’aider à s’en rapprocher encore. »

Un jour notre petit groupe évangélisait sur le trottoir du boulevard Saint-Michel, à moins de cent mètres de la Boutique. Un homme s’est arrêté pour converser avec moi ; il m’a dit être professeur à l’Université de Vincennes, et communiste. Il n’était pas croyant, mais enfin cela ne l’a pas empêché de laisser passer trois fois le bus qu’il devait prendre ; et plusieurs mardis de suite il est revenu me parler. J’ai compris que des gens qui s’arrêtent pour dire qu’ils sont athées et prennent du temps pour le dire, en réalité, témoignent d’une véritable recherche. Une fois l’un d’entre eux, auprès du jardin du Luxembourg, m’a dit : « C’est curieux, moi qui suis athée, je parle avec vous depuis une demi-heure, et j’ai comme une joie qui monte en moi. Je ne comprends pas. » Quand il m’a dit cela, j’ai immédiatement pensé qu’en quelque façon, à travers moi, c’était Jésus qu’il avait rencontré. Il me rappelait les paroles des disciples d’Emmaüs : « Notre coeur n’était-il pas tout brûlant lorsqu’il parlait avec nous sur la route ? »

La Boutique verte était en général assez calme. A dix heures du soir, on faisait la prière avec ceux qui étaient là. Un jour la télévision devait faire un reportage discret. Au moment de la prière nous avions l’habitude d’allumer une bougie sur une petite table au centre de la pièce. On éteignait l’électricité. Un des jeunes a commencé à interpeller Bernadette qui jouait de la guitare: « Mais pourquoi c’est toujours toi qui chantes ? mon copain Jacky chante très bien. Allez, vas-y Jacky, chante ! » Mais Jacky était incapable de chanter plus d’une phrase à la suite. Du coup quelqu’un d’autre dans l’assistance a essayé de chanter, mais, dès que l’un avait commencé, un autre voulait pousser sa chanson. Bernadette a réussi à reprendre l’animation et à chanter un chant de louange mais il fut bientôt interrompu par le premier qui avait fait une intervention et qui s’écria : « Si Dieu est là, qu’il éteigne la bougie ! Qu’il éteigne la bougie ! » La prière devint une suite ininterrompue d’interruptions sonores. Bernadette a réussi à entamer un Notre Père et à conclure cette soirée. La télévision de son côté avait mal calculé ses enregistrements ou sa lumière et rien n’est sorti.

Une autre émission de télévision a eu lieu dans le bout de rue qui conduit au boulevard Saint-Michel, avec FR3 Ile-de-France. Jean-Marc Morin était venu avec quelques personnes de la chorale de l’Emmanuel. Ils avaient accroché une icône sur la grille de protection d’un arbre et ils avaient chanté dans le style liturgique quelque chose comme des vêpres. Nous avons obtenu un grand succès, il y avait un attroupement considérable. Ceux de notre équipe étaient occupés à répondre aux questions et à évangéliser. Un photographe de l’agence de presse Kappa surprit l’un d’entre nous en train d’essayer de baragouiner en espagnol avec un couple argentin. Ce photographe parlait l’espagnol et se retrouva de la partie ; à la fin de la conversation il nous dit : « Mais je me suis mis moi aussi à évangéliser !» L’émission passa sur FR3 le Vendredi saint après-midi.

Un jour un jeune avait cassé une bouteille et voulait s’en prendre à moi. Heureusement un jeune apprenti jésuite nommé Philippe, qui venait depuis quelque temps et avait lié relation avec ce jeune excité, réussit à le calmer. Une autre fois sur le trottoir du boulevard Saint-Michel des jeunes agressifs voulaient nous brûler le visage avec leurs cigarettes. Un mouvement de foule a mis fin à la confrontation. Ces incidents sont les seuls qui nous soient arrivés.

Une fois un jeune, avec un accent québécois à couper au couteau, s’approche et dit : « Vous êtes sûrement des charismatiques ! » Je lui répond que oui et dis : « Toi, mon gars, tu es sûrement de la
Belle Province ! » – c’est l’un des surnoms du Québec. Stupéfait, il répond : « Comment tu le sais?» Nous avons ensuite bavardé et il nous a dit qu’il nous avait reconnus parce que sa soeur faisait partie des groupes charismatiques au Québec ; et il a ajouté : « Moi je ne crois à rien, je suis libre, je n’adore personne. » Il allait partir, mais je lui dis : « La différence entre toi et moi c’est que moi je sais qui j’adore, et donc je suis libre. Tout le monde adore quelqu’un ou quelque chose, mais toi tu ne sais pas ce que tu adores et donc tu n’es pas libre. » Il est parti visiblement surpris. Il s’était passé quelque chose pour lui. Je pense que cela a dû le travailler un certain temps. J’ai confié la suite à l’Esprit Saint.

Sur ce même thème, des années plus tard, dans une classe préparatoire de l’école Sainte-Geneviève à Versailles, l’aumônier m’avait fait parler aux étudiants et répondre à quelques questions. Un jeune a demandé si quand on croyait on pouvait être vraiment libre. « Je vous répondrai avec la phrase d’un psaume : Il s’attache à moi et moi je le rends libre (Ps 91,14) », et j’ ai expliqué que, pour moi, adorer le vrai Dieu, c’est adorer celui qui nous rend libres, qui s’est fait tout petit à Noël. Au contraire si, inconsciemment, on adore le pouvoir, l’argent, la réputation, on est lié par ces idoles. Le plus étonnant c’est qu’après la rencontre le père Jésuite m’a déclaré : « Eh bien, maintenant j’ai compris ce que c’est qu’être charismatique. Tous les élèves ont été stupéfaits de ce que vous ayez répondu avec l’Ecriture au seul protestant de la classe, et ça vous ne pouviez pas le savoir. »

A partir du moment où nous sommes sortis dans la rue, nous avons rencontré beaucoup de Nord-Africains de religion musulmane qui s’arrêtaient pour discuter avec nous. Nous avons fait l’expérience que parler avec plusieurs à la fois était peu fructueux. Les uns devant les autres, ils essayaient de nous déclarer la supériorité de l’Islam en tant que complément de la Révélation. Cela tournait à une discussion théorique, il était impossible aux interlocuteurs de concéder le moindre assentiment. Nous avons donc expérimenté la méthode des entretiens un à un, ou un à deux, et avons délaissé le terrain de confrontation pour aborder celui de l’échange spirituel. Par exemple, nous demandions au musulman s’il voulait bien partager avec nous sur sa façon de prier. Les réponses étaient différentes, de la prière la plus formelle à la plus intérieure. Souvent, nos interlocuteurs nous disaient leur désir de prier selon les règles de leur religion (sept fois par jour) mais que la vie à Paris ne facilitait pas les choses. Nous aussi, disions-nous, avons des prières réglementées, comme l’assistance à la messe le dimanche, mais nous prenons du temps chaque jour pour un entretien personnel avec Dieu : le louer, le remercier, lui confier nos peines et nos joies. Rares étaient ceux qui ne comprenaient rien. Quelques-uns ne comprenaient pas grand chose, d’autres un peu plus, et la plupart prenaient intérêt à cet échange, on sentait qu’une porte s’ouvrait dans leur cπur, et l’on se quittait en promettant de prier les uns pour les autres. Nous leur donnions souvent de petits Evangiles en arabe qu’ils recevaient avec un grand respect.

Un soir j’étais en train de lire à haute voix devant quelques personnes l’Evangile de saint Jean, sur le fameux accordéon, au coin de l’église Saint-Séverin. Dix heures ont sonné. J’ai interrompu ma lecture pour retourner à la Boutique verte pour la prière. A ce moment un homme, debout devant moi, m’a dit : « Ah ! est-ce que vous pourriez me lire la suite, c’est tellement beau ! » Nous avons parlé ensemble. Il était musulman, de la confrérie des Mozabites. Comme nous échangions sur la prière, il m’a dit que tous les jours il passait l’espace d’une heure, assis sur un banc par exemple, pour parler avec Dieu dans son cœur.

Le groupe de prière de la Boutique verte nous ouvrait à l’évangélisation de personnes de foi et de culture différentes. Plusieurs mardis de suite était venu un Japonais qui n’ouvrait pas la bouche. Il ne savait que quelques mots de français. J’ai cherché à me procurer une Bible en japonais ; avec beaucoup d’efforts j’en ai trouvé : une religieuse qui avait vécu au Japon nous a offert une superbe Bible. Le mardi suivant j’ai vu arriver notre homme avec beaucoup de contentement ; j’ai sorti la Bible en japonais de mon sac et la lui ai offerte. Il l’ouvrit et se mit à rire sans parler – de toute façon, les Japonais rient toujours et nous les Européens, ne savons jamais si c’est joyeux, si c’est un drame ou si ce sont des excuses. Mais celui-ci finit par dire quelques mots approximatifs dont il résultait qu’il n’était pas Japonais mais Chinois !

Une autre fois un Brésilien est entré au moment de la prière et y a assisté jusqu’à la fin. Il avait été attiré par la beauté de nos chants. C’était surprenant. En effet, ce soir-là Bernadette n’était pas là et nous avions réussi à faire du chant polyphonique en pensant chanter chacun la même chose ! J’ai compris que ce qui l’avait touché n’était pas la musique mais un son spirituel. Il nous a dit : « J’ai été séminariste autrefois, je suis devenu athée. Mais de mon voyage en Europe le plus beau souvenir que je rapporterai c’est la prière avec vous. »

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  1. Leo Josef, cardinal Suenens, 1904-1996. Né en Belgique, archevêque de Malines- Bruxelles, il fut l’un des quatre «modérateurs », ou vice-présidents, du Concile Vatican II. Auparavant il avait défendu auprès du Pape Pie XII la légitimité et l’autonomie de l’évangélisation des laïcs, spécialement dans la Légion de Marie. A partir de 1973 il fera connaître
    au Pape Paul VI le Renouveau charismatique. Voir Suenens, Les imprévus de Dieu, Fayard, Paris, 1993.