Converti à l’âge adulte, je n’ai sans doute pas été frappé, comme semblent l’être nombre de ceux qui ont grandi dans la foi Catholique, par la renonciation de notre Pape Benoît. En fait, ce qui m’interpelle c’est qu’ils soient choqués.
Benoît XVI a simplement décidé de faire face à un problème que notre société américaine [NDT: occidentale?] refuse délibérément de voir. Nous avons beau nous dire que notre espérance de vie s’est considérablement allongée, nous avons en réalité éradiqué bien de ces agressions qui touchaient nos carcasses avant d’atteindre 80 ou 90 ans. Ainsi, au lieu de mourir jeunes de pneumonie, de tuberculose ou d’apoplexie comme souvent jadis (lisez Charles Dickens ou Jane Austen, vous verrez bien…), les anciens de nos jours vivent souvent plus vieux, physiquement amoindris, et durant bien des années. D’un côté, c’est une bénédiction, mais, d’autre part, c’est un problème.
Par exemple, à l’époque de la création du système de Sécurité Sociale, on a fixé à 65 ans l’âge de la retraite parce que l’âge médian de fin de vie des hommes était de l’ordre de 63 ans. La Sécurité Sociale était conçue comme une « rambarde sociale » pour soutenir ceux qui vivaient bien après l’âge de la retraite et au-delà de la limite naturelle de productivité. Il n’était nullement question de proposer vingt-cinq ans d’oisiveté, ce qui se produit actuellement. Notre incapacité à prendre en compte ce phénomène a mené le système à une quasi-faillite.
Dans le même ordre d’idées, on ne sait comment faire avec la nomination « à vie » des Juges à la Cour Suprême. Que se passe-t-il si un juge ne se retire pas, même s’il est trop âgé pour remplir convenable sa fonction? On raconte le cas du Juge Marshall : à la fin de sa vie, ses collègues s’entendaient pour éviter que sa voix soit prépondérante lors d’affaires importantes, craignant que la sentence soit considérée comme « illégitime » en raison de la faiblesse intellectuelle de ce Juge.
Que cette histoire soit ou non flatteuse envers le Juge Marshall n’est pas mon propos. Je veux simplement relever que nous sommes confrontés à un problème et que nous refusons de le résoudre. Les nominations « à vie » avaient une signification lorsque les bénéficiaires avaient peu de chances de survivre longtemps. Désormais, grâce à Dieu, notre espérance de vie s’est bien allongée, profitant des années en compagnie de nos petits-enfants, et apportant encore notre contribution à la société. Mais ceci ne signifie pas que nous puissions accomplir toutes les tâches attendues de certaines fonctions.
Je me rappelle, dans ma jeunesse, le décès à 65 ou 68 ans de Cardinaux importants, en ce temps c’était naturel. Actuellement, les évêques sont priés de remettre leur démission à 75 ans. Et les cardinaux, aussi percutants et sages soient-ils, (je songe en particulier à S.E. le cardinal Dulles [1918 – 2008] sur ses vieux jours) n’ont pas le droit de participer à l’élection papale du conclave au-delà de quatre-vingts ans. Cette politique me semble marquée de sage prudence. Évidemment, nous aimerions que certains cardinaux du calibre de S.E. Dulles puissent participer au vote — en fait, lors de l’élection de Benoît XVI il a pu émettre les sages conseils de son âge — mais il vaut mieux que d’autres soient écartés du scrutin. Le pape serait-il le seul personnage du clergé à l’abri des problèmes de l’âge ? Certes, non.
Les fidèles ont maintenant l’habitude de rencontrer leur « ex- » évêque ou archevêque circulant dans le diocèse, célébrant des messes, participant à des réunions publiques ou prononçant des allocutions. Certains d’entre eux, comme feu mon bien-aimé ancien évêque Mgr John d’Arcy, luttent contre les effets dévastateurs du cancer. Ces hommes méritent plus de discrétion qu’une coloscopie médiatique, et peuvent aspirer à une certaine paix en abordant leur fin de vie. C’est leur destinée, de toutes façons — et la nôtre aussi.
Au Moyen-Âge les plus sages écrivaient sur « l’ars moriendi », l’art de mourir, et de bien mourir. Rien à voir avec le choix du poison pour se suicider, mais passer ses derniers mois, ses derniers jours, à se préparer, et à préparer les proches bien-aimés pour le voyage menant face à son Créateur.
Ce n’est pas le genre de préparation qui s’accomplissait au cours d’un séminaire de fin de semaine ou lors d’un pique-nique. Il fallait prier, prier beaucoup, et on n’est pas trop professionnel de la chose, si on est seulement porté à le faire. Les moines n’ont pas besoin de se retirer. Mais pour les gens menant le genre d’existence « active » dont nous sommes si fiers, avec bien peu de temps pour le calme spirituel seul avec Dieu, prendre de l’âge était prendre le temps de s’accoutumer à cette pratique.
En contraste, dans le monde moderne, Dylan Thomas nous propose ces mots adressés à son père mourant: « Rage, rage envers cette lumière mourante / Ne te laisse pas aller dans cette nuit tentatrice.» C’est devenu notre obsession. Au lieu d’accompagner tendrement nos anciens sur leur chemin final, nous insistons pour qu’ils se comportent comme des jeunes pleins d’avenir (pensez à certaines pubs montrant des vieux s’agiter à la télévision), ou bien nous les laissons tomber, isolés dans leur fin de vie. Culture cruelle !
Le pape Benoît XVI aborde la mort. Et tout ce à quoi certains peuvent penser concerne sa façon de prier dans sa retraite dans un monastère et quelle influence d’importance il pourra avoir encore en ce bas monde.
Benoît XVI fut pour nous un grand et sage serviteur. J’ose espérer qu’il nous propose encore un ou deux livres empreints de sa sagesse, s’il le souhaite et s’il plaît à Dieu. Puisse-t-il se retirer et se reposer en paix. Et puissent les catholiques de par le monde se tourner vers leur véritable protecteur en ces temps troubles et agités, Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, qui continuera comme toujours à guider Son Église.
Randall Smith
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/aging-and-office.html#.USpY4YU8Ss0