Une terre bénie par l’Incarnation - France Catholique
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L'Église dans l'attente
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Une terre bénie par l’Incarnation

Environ 200 000 chrétiens peuplent le royaume de Jordanie. Dans ces terres qu’ont foulées le Christ, Moïse et saint Jean-Baptiste, leur sort enviable fait figure d’exception, malgré des limites…
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De nombreuses familles ont assisté au Chemin de croix du Vendredi saint à Fuheis, au nord.

De nombreuses familles ont assisté au Chemin de croix du Vendredi saint à Fuheis, au nord.

© Jack Swedan

Une quinzaine de scouts réunis en orchestre sur le parvis de l’église du Sacré-Cœur de Jésus de Tla’Al-Ali, à l’ouest d’Amman, échangent des regards concentrés, avant qu’une cornemuse ne laisse échapper quelques notes. Le signal marquant le début du concert est donné. Très vite, d’autres cornemuses s’y joignent, puis des tambours, des grosses caisses et des batteries. En ce 17 avril, lundi de Pâques pour tous les chrétiens de Jordanie, en vertu d’un accord entre catholiques et orthodoxes, la musique envahit le quartier pour fêter la joie de la Résurrection et honorer la présence de Mgr Jean-Marc Micas, évêque de Tarbes et Lourdes, venu dans le pays pour visiter le sanctuaire marial de Na’our (lire p. 13-14). Robes de soirées, cravates ou traditionnels keffiehs rouge et blanc : les paroissiens du Sacré-Cœur se sont tous apprêtés pour cette soirée, comme ils l’avaient déjà fait deux jours auparavant pour la Vigile pascale. Devant l’église, les visages sont radieux et reflètent une image éclatante de la communauté chrétienne du pays.

« Nous vivons ici pour être le sel de la terre ! »

Heureux comme un chrétien en Jordanie ? Comparé aux autres pays musulmans, le sort des 220 000 chrétiens semble particulièrement enviable. Représentant environ 2 % de la population du royaume hachémite – adjectif dérivé du nom de l’arrière-grand-père de Mahomet, dont la dynastie jordanienne descend en ligne directe –, les chrétiens ont la main sur environ 30 % de l’économie et sont choyés par la famille royale, dont la bienveillance se veut dans la continuité de son rôle historique de gardienne des lieux sacrés de Terre sainte : en 2016 et 2022, le roi Abdallah II a ainsi engagé ses fonds propres pour participer à la restauration du Saint-Sépulcre de Jérusalem.

« On peut parler de miracle jordanien : démographiquement parlant, la présence chrétienne est insignifiante, mais elle jouit d’une surreprésentation politique, souligne Tigrane Yégavian, chercheur et auteur de Minorités d’Orient, les oubliés de l’Histoire (éd. du Rocher). L’ouverture de la famille royale hachémite à la chrétienté n’est pas feinte et il n’existe pas d’équivalent dans le monde arabo-musulman. » Qu’en est-il du point de vue sémantique ? « Il ne faut pas parler des chrétiens comme étant une “minorité”, car nous sommes pleinement jordaniens, précise Mgr Jamal Khader, évêque auxiliaire du Patriarcat latin de Jérusalem, qui compte en Jordanie 35 congrégations religieuses et 32 paroisses latines. Notre mission s’exprime notamment par notre implication dans l’éducation, la santé et, plus généralement, les institutions jordaniennes. » Signe de la bonne entente entre les croyants, que les responsables et fidèles chrétiens n’hésitent pas à souligner : ici, il n’est pas surprenant d’entendre un musulman souhaiter de « Joyeuses Pâques » à un compatriote chrétien.

Dans un tel contexte, rares sont les chrétiens de Jordanie qui oseraient se plaindre. Tous ont en tête l’exode massif des chrétiens de la plaine de Ninive, de l’Irak voisin, chassés en 2014 par les djihadistes de l’État islamique. Tous considèrent comme un privilège la possibilité de rester sur une terre dont ils tirent, à l’unanimité, une très grande fierté. Ici, la foi chrétienne est vécue comme une évidence, au point que l’on est à deux doigts de vexer ses interlocuteurs quand on leur demande la spécificité des chrétiens de Jordanie. « Nous avons été établis ici par Dieu et, pour cette raison, nous avons vocation à vivre en Jordanie ! », lance le Père Wajd Twal, chapelain général de la jeunesse de Jordanie, interrogé sur le parvis de l’église du Sacré-Cœur de Jésus de Tla’Al-Ali. Le jeune prêtre, au regard pénétrant, continue : « Nous sommes là de génération en génération. Nous vivons ici pour être le sel de la terre. »

Retrouvez le reportage complet dans le magazine.