Je me rappelle comme si c’était hier mes études supérieures à Yale, dans les jours grisants et tumultueux qui suivirent immédiatement le concile de Vatican II. Nombre de jeunes catholiques, prêtres, religieux et laïcs, entreprirent des études doctorales en théologie dans une université non-catholique – une des innombrables innovations postconciliaires.
Un de mes professeurs, un luthérien convaincu, très respectueux de la tradition catholique, donna cet avertissement amical. Il dit (ou à peu près) : « Je prie pour que l’Eglise catholique ne soit pas destinée à répéter en l’espace de vingt ans les mêmes erreurs qui nous ont demandé à nous protestants 200 ans pour les faire. » Il faisait référence bien sûr au protestantisme libéral dont le nadir fut magistralement résumé par H.Richard Niebuhr, pendant trois décennies professeur à Yale : « un Dieu sans colère a conduit des hommes sans péché dans un Royaume sans jugement par les soins d’un Christ sans croix. »
Un récent article de The National Catholic Reporter a fait affluer tout cela à la mémoire. L’auteur, Jim Purcell, fut ordonné en 1965, l’année de la clôture du Concile, et quitta le ministère ordonné en 1973. Il alla travailler pour Catholic Charities [réseau catholique d’agences pour l’aide aux pauvres et aux malades, NDT] et comme vice-président de Santa Clara University. Il est actuellement membre du bureau de NCR (National Catholic Reporter, NDT)
Purcell appelle à une « redistribution du pouvoir et de l’autorité « dans l’Eglise catholique – « pouvoir » et « autorité » apparemment indistinguables, malgré la scène de Jésus devant Pilate, où le pouvoir de Pilate est finalement dérisoire devant la vérité de l’autorité de Jésus (Jn 19 11).
A part l’appel prévisible à l’ordination des femmes, Purcell vise une « révolution » plus profonde. Elle entrainerait la séparation des rôles de prêtre et de pasteur, si bien qu’on pourrait, femme ou homme, être le pasteur canonique d’une paroisse sans être prêtre, assénant ainsi au « cléricalisme » (ce terrible ennemi) un coup mortel.
Purcell révèle alors les conséquences théologiques désirées de cette révolution : « Cela offrirait la possibilité de déplacer l’accent mis sur la célébration de l’eucharistie pour le porter sur l’annonce du Royaume ». Faisant écho au mantra rebattu des années 70, Purcell nous assure solennellement que « Jésus annonçait la venue du Royaume de Dieu, et non sa propre personne ».
Il met en contraste cette perspective avec l’accent (présumé funeste) que l’on met sur la consécration du pain et du vin et la « présence réelle » [de Jésus] – qui s’est développé avec le temps. Dans un saut de logique étonnant (pour ne pas dite théo-logique) on nous informe que « Jésus a enseigné à ses disciples le « Notre Père » et non « comment présider l’Eucharistie » ou « dire la Messe ». La référence obligatoire au « cheminement de foi », est accompagnée par la confession de l’auteur que « bien que l’eucharistie soit une nourriture très spéciale pour mon cheminement »… « le cheminement est premier et non la nourriture », et tant pis pour « si vous ne mangez la chair du Fils de l’Homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6 53)
Ce qui est frappant et symptomatique dans de tels essais, c’est leur minimalisme en christologie, qui rappelle si tristement le protestantisme libéral, maintenant incrusté, sciemment ou inconsciemment, dans quelques institutions qui continuent à brandir leur pedigree « catholique ».
Ce qui manque fortement, c’est cette robuste proclamation de la primauté absolue de Jésus-Christ qui se trouve au cœur du Nouveau Testament et de la tradition apostolique. On n’entend aucune allusion, par exemple, à la déclaration de Jésus : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie. Personne ne vient au Père sinon par moi. » (Jn 14 6) Ou la confession, de Pierre : « C’est Jésus Christ la pierre que vous, les bâtisseurs, avez dédaignée, et qui est devenue la pierre d’angle. Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes par lequel il nous faille être sauvés. « (Actes 4 11-12)
On cherche en vain la stupéfiante déclaration à la fin de l’hymne aux Philippiens que « Jésus Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » (Phil 2 11). La christologie tronquée qui sévit se tait – dans un silence embarrassé – sur « toutes choses ont été créées par Lui et pour Lui » et « en lui toutes choses subsistent » (Col 1 16-17) Et on ne comprend pas alors que l’intention entièrement salvifique de Diu pour l’univers est de « récapituler toutes choses dans le christ » (Eph 1 10) – une vision qui a inspiré d’innombrables générations de martyrs et de prêcheurs de la foi.
A la place, nous avons un Jésus sans sang fait à notre mesure, et non notre être incité par le Seigneur vivant à grandir vers cet « Homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ. » (Eph 4 13)
Il n’est pas étonnant que malgré les exhortations papales de Paul VI à François à une « nouvelle évangélisation », le zèle missionnaire apparaisse très affaibli tandis que les « nones» au milieu de nous continuent à proliférer. Car si Jésus est juste une autre voix, colportant sa marchandise dans le désert séculier, qui va allumer le feu de la foi ?
Maintenant il arrive qu’au moment de l’ouverture du Concile, le théologien jésuite John Courtney Murray a donné une série de conférences à Yale, publiées plus tard sous le titre « The Problem of God ». Murray y a inséré un beau chapitre sur le développement de la doctrine dans la primitive Eglise.
Il a défendu, dans la prose brillante qui est la sienne, la légitimité de ce développement, en particulier le dogme du Concile de Nicée que le Seigneur Jésus Christ est « homoousios : consubstantiel avec le Père ». Il l’a fait en partie pour s’opposer au grand historien du protestantisme libéral, Adolf von Harnack qui critiquait la prétendue « hellénisation » de la simplicité de l’Evangile par la primitive Eglise. Et Murray n’a pas hésité pas à déclarer que la question-clé qui se pose au mouvement œcuménique naissant était celle-ci : « Que pensez-vous de homoousion ? » Est-ce que Nicée, d’une façon qui fait autorité, transmet et sauvegarde le sens authentique de l’Ecriture ?
Dans ces jours de grâce et pleins d’espérance, Murray pourrait poser la question dans une discussion œcuménique. Aujourd’hui, l’honnêteté exige que cela aussi soit posé à ceux qui continuent à s’identifier comme catholiques : « Que pensons-nous de homoousion ? »
Jésus est-il l’annonceur du Royaume, un de la lignée des prophètes, peut-être le dernier et le plus grand ? Ou est-il le Fils unique engendré par le Père, consubstantiel au Père, le Verbe éternel, la Lumière des Nations, le Sauveur universel ?
28 août 2016
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/08/28/a-pure-distillation-of-1970s-catholicism/
Illustration : Julien l’Apostat brûle les reliques de Jean-Baptiste (Légende des reliques de saint Jean-Baptiste) par Gérard de Saint Jean, c. 1490 [Kunsthistorisches Museum, Vienne]