Les Français ont la mémoire courte et souvent ils apparaissent comme bien changeants. Pourtant force est de constater que dans leur mémoire, des permanences existent. Chaque année il en est une qui n’est pas sans étonner l’observateur, celle qui concerne les commémorations de la mort du roi Louis XVI, le 21 janvier 1793. Elles se comptent par centaines en France et même à l’étranger. L’essentiel de ces manifestations sont des messes. Mais il y a aussi des repas, des marches, des dépôts de gerbes. Cette date apparaît ainsi comme un rendez-vous annuel que les Français ont avec leur histoire. En dehors des anniversaires liées aux deux dernières guerres et aux événements qui s’y rattachent, aucun autre événement historique n’est solennisé si régulièrement et si nationalement.
Le plus remarquable est que ces manifestations sont spontanées. La plupart du temps les autorités n’y participent pas. Les élus qui y assistent – et ils sont plus nombreux qu’on ne le croit à première vue – le font à titre privé. Les grandes villes, Paris, Lyon, Marseille, se permettent d’avoir plusieurs cérémonies. Des églises plus ou moins pleines en temps ordinaire, se retrouvent l’espace d’une messe remplies.
Le fait que cela soit spontané, mérite que l’on s’y arrête. Les commémorations ne peuvent s’imposer légalement. Le récent débat sur la mémoire officielle le montre bien. Elles ne se décrètent pas ou alors il faut les associer à des jours fériés…
En revanche, le souvenir de Louis XVI s’est imposé naturellement et cela dure depuis des décennies et des décennies. Sans doute parce qu’il est un symbole. A lui seul, il marque l’Ancien Régime et le synthétise. Les Français savent plus ou moins inconsciemment que toute leur histoire, leur culture, leurs institutions, leur langue se sont mises en place et se sont épanouies « à l’ombre des lys » comme disent les poètes. Quant à fin de Louis XVI, n’est-elle pas non plus le symbole de la dérive des hommes et du pouvoir ? Plus personne ne reconnaît au roi une quelconque responsabilité ou une faute. Coupable de rien, si ce n’est d’avoir été là au mauvais moment, sa mort correspond au premier procès politique. Il montre aussi les limites d’une telle justice, celle de l’arbitraire. En un mot, sa mort est le petit signal qu’il faut conserver et qui génération après génération, rappelle qu’en politique il faut savoir raison garder et ne pas aller trop loin. Le message vaut pour hier comme pour aujourd’hui. Pour aujourd’hui comme pour demain !
Cet instinct qui fait que les Français conservent pieusement les temps forts de leur Histoire est le même que celui qui s’observe dès qu’un monument éponyme est atteint : ancien Parlement de Bretagne, Château de Lunéville, Versailles et les Trianons après les tempêtes de 1999, plus récemment le château du roi René à Angers. Chaque fois comme les messes pour le roi Louis XVI, les Français se mobilisent et envoient leurs dons pour maintenir cette part d’éternité que leur procure leur Histoire. Ils savent que pour écrire demain il faut savoir lire le passé, c’est à dire conserver ses racines.
Philippe MONTILLET