Un député israélien d’extrême-droite, a accompli, dans son bureau, au Parlement israélien, le 17 juillet 2012, un geste qui a fait le tour du monde, avec un chapelet de commentaires antisémites primitifs et non moins redoutables. Le Saint-Père nous en a avertis : on ne peut pas être catholique et antisémite. Mais l’enjeu est peut-être encore plus radical, et concerne chacun, catho ou pas, croyant ou non.
Raison garder, voilà l’enjeu: qui réussira à maintenir la raison à la barre devant des faits qui nous touchent au cœur et déchaînent les passions, affolent les claviers, les courriels et les blogs ? Benoît XVI, notre boussole providentielle, nous en a avertis à Ratisbonne : la raison sans religion s’enferme en elle-même, ampute l’homme d’une dimension essentielle de son être, est incapable de dialogue avec l’immense majorité de l’humanité, qui est « religieuse », mais la religion sans raison, même avec le tampon de la catholicité, devient fanatisme irrationnel, violent, y compris en paroles. L’un et l’autre, mortifères.
Gardons donc raison. Une information complémentaire s’impose pour bien comprendre et cerner le « cas », tandis que la tentation est de vouloir, dans une phrase bien torchée, accuser, juger, condamner et exécuter à la fois, sans qu’un dialogue serein ne soit jamais seulement envisagé. Examinons. Qui est ce député ? Que faisait ce Nouveau Testament dans son bureau : comment y est-il arrivé ? Quelles ont été les réactions en Israël ? Dans les milieux juifs eux-mêmes?
Il semble que l’obstacle de la langue ait empêché les catholiques francophones d’avoir accès à ces réactions et c’est bien dommage. Car le geste du député a suscité le soir même l’indignation et la réprobation de ses pairs et de ses coreligionnaires.
Les faits du 17 juillet
Mais tout d’abord, établissons les faits. Ce député israélien du parti extrême-droite – de l’opposition – appelé « Unité nationale » (Ichud Leumi), Michael Ben Ari, né aux Etats-Unis, a en effet déchiré un exemplaire d’une bible en hébreu – Ancien et Nouveau Testament -, dans son bureau, au siège du Parlement de Jérusalem, estimant que le Nouveau Testament a été la matrice de la persécution des juifs, notamment au moment de l’Inquisition.
Comment le livre saint a-t-il fini dans son bureau? Le volume avait été adressé à tous députés de la Knesset : il ne se l’est pas procuré pour le déchirer, c’est déjà cela, une bonne nouvelle. Une seconde : il a été le seul à réagir ainsi, sur 120 députés.
Cette distribution gracieuse était une initiative de la Société biblique en Israël, ce qu’il a ressenti comme une « provocation missionnaire ». Cette société biblique se situe dans la mouvance des juifs « messianique » – chrétiens – qui se veulent « bâtisseurs de ponts ».
Le directeur de la Société biblique en Israël Victor Kalisher affirme, dans une lettre qui accompagne le cadeau aux parlementaires que cette nouvelle édition du « Livre des Testaments » entend favoriser la compréhension des Saintes Ecritures, et mettre en lumière la corrélation entre l’un et l’autre Testament.
Même si l’on peut comprendre que les blessures de l’histoire douloureuse des relations entre juifs et chrétiens peuvent être ravivées par de telles circonstances, on a quand même l’impression qu’un petit parti minoritaire, voire en perte de vitesse, s’est offert une publicité mondiale gratis avec un geste que le député n’a d’ailleurs pas accompli en pleine assemblée parlementaire. On note ainsi une certaine disproportion entre un geste fait dans l’espace confiné d’un bureau, et son écho mondial. Mais le photographe était là, pour immortaliser le geste.
L’Anti-diffamation « horrifiée »
Le soir même du 17 juillet, avant même la réaction des chrétiens de Terre Sainte, la Ligue anti-diffamation (Anti-Defamation League, ADL), s’est dite « horrifiée » à la nouvelle qu’un membre du Parlement israélien avait déchiré une copie du Nouveau Testament. En soulignant cette circonstance aggravante : il a « posé » devant les photographes avec la bible déchirée.
Abraham H. Foxman, directeur national de l’ADL à Jérusalem, a exprimé son indignation en réclamant un respect réciproque: « En tant que juifs, nous attendons que les autres traitent nos livres saints avec respect et compréhension. Nous devrions de même manifester du respect pour les livres saints d’autres confessions. Un membre du Parlement et un représentant de l’Etat d’Israël n’aurait pas dû manifester un tel manque de respect pour une autre foi. Ses actions vont à l’encontre des valeurs juives et des critères de la société démocratique israélienne ».
Dans une lettre au député Ben Ari, la « Ligue », lui demande de présenter des excuses pour cet « acte irrespectueux ».
Elle fait observer, à propos de l’envoi des bibles, que s’il avait voulu protester contre ce qu’il considérait comme du prosélytisme, il aurait dû saisir les autorités concernées: « Nous comprenons que des copies du Nouveau Testament ont été envoyées à tous les membres de la Knesset. L’éditeur a déclaré aux media que son intention n’était pas de faire du prosélytisme, mais plutôt d’informer les membres du Parlement de la richesse des textes religieux produits en Israël. Cependant, si vous estimez que cette distribution a constitué du prosélytisme, nous croyons que vous auriez dû manifester votre préoccupation en en appelant aux autorités concernées, pour qu’elles enquêtent pour établir si oui ou non la façon dont ce texte a été distribué constituait une violation de la loi israélienne ».
Réprobations à la Knesset et au gouvernement
Au sein de la Knesset, le geste a été sanctionné par la désapprobation des parlementaires. Le président de l’assemblée, Reuven Rivlin, a déclaré lors de la séance du lendemain, 18 juillet: « Je condamne le manque de respect pour les Saintes Ecritures, y compris le fait qu’un député a déchiré le Nouveau Testament hier soir.
Imaginez qu’un membre d’un Parlement étranger déchire la bible en déclarant qu’elle constitue une provocation ! »
Il a ajouté : « La démocratie signifie la liberté d’expression, pas la liberté de manquer de respect aux autres religions. La liberté, de culte et de religion fait partie des fondements de l’Etat ».
Et au nom du gouvernement israélien, Mark Regev, porte-parole du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, a déclaré : « Nous déplorons absolument ce comportement et nous le condamnons totalement. Cette action est en complet désaccord avec nos valeurs et nos traditions. Israël est une société tolérante, mais nous avons une tolérance zéro devant cet acte méprisable et haineux ».
Le Comité juif américain au créneau
Le 18 juillet également, à New York, cette organisation majeure qu’est le Comité juif américain (American Jewish committee) est montée au créneau : l’AJC a demandé au Parlement israélien de censurer le député, sans mâcher ses mots.
« Le vues extrémistes et les actions du député Ben Ari sont outrageantes », a déclaré son directeur exécutif, David Harris.
« La photo du député Ben Ari déchirant la bible chrétienne, sainte pour de si nombreuses personnes dans le monde, est un outrage sacrilège, un assaut abominable contre toute une religion », a-t-il déclaré.
L’AJC rappelle que le député a un long passif d’hostilité ouverte contre les citoyens d’Israël arabes et qu’aux Etats-Unis, où il est né, il a été déclaré persona non grata du fait de ses liens avec des extrémistes du parti Kach, interdit également en Israël.
M. Harris a salué les prises de position de M. Reuven Rivlin, et de Mark Regev, et il a pressé les autorités israéliennes de prendre les mesures adaptées contre M. Ben Ari.
En fin de compte, oserais-je dire que ce député aura rendu service en permettant à ces voix juives d’exprimer leur réprobation et de consolider le dialogue entre les chrétiens et le judaïsme?