Tom Stoppard : Les Nouveaux Chercheurs - France Catholique
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Tom Stoppard : Les Nouveaux Chercheurs

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Comme si un rai de lumière, scintillant longuement sur le mur de la caverne de Platon, avait finalement été remarqué par certains des prisonniers.
En janvier, au théâtre national de Londres, le dramaturge Tom Stoppard présentera la première de sa nouvelle pièce : « Le difficile problème ».

Le titre de la pièce de Stoppard , étrangement, est tiré de l’œuvre du philosophe australien David Chalmers, superstar de la sous culture exotique de la philosophie de l’esprit. Celui-ci distingue les problèmes faciles des problèmes difficiles, en lien avec la conscience humaine. Les problèmes faciles de la conscience, dit Chalmers, sont ceux qui concernent les phénomènes, comme la différence entre l’éveil et le sommeil ; la capacité de distinguer, trier, et réagir aux stimuli de l’environnement ; notre capacité à faire des rapports, oralement,sur nos états mentaux ; et le contrôle délibéré du comportement humain. Les problèmes relatifs à ces phénomènes sont dits « faciles » par Chalmers parce qu’il croit qu’ils peuvent tous plus ou moins être expliqués par une neuroscience totalement matérialiste.

Les problèmes difficiles de la conscience, par contre, posent la question de savoir pourquoi nous sommes simplement conscients. Pourquoi avons-nous ce « film » qui nous passe dans la tête et par lequel nous sommes spectateurs de nos propres pensées et sentiments, souvenirs et imaginations ? La neuroscience matérialiste, commente Chalmers, rend compte avec objectivité et de façon impressionnante de la manière dont certaines zones du cerveau se mettent en corrélation avec certaines sortes d’expériences conscientes. Mais elle n’a tout simplement pas d’explication pour « l’expérience subjective » de la conscience.

Depuis Rosencranz et Guilenstern sont morts (1966) jusqu’à La côte de l’utopie (2002) les drames de Tom Stoppard ont combiné un vaste humour une dextérité verbale narquoise, et un intérêt perçant pour les problèmes moraux, politiques et même métaphysiques. Aussi, en un sens, il n’est pas étonnant que dans « Le difficile problème » Stoppard ait tourné son attention vers le mystère de la conscience. Actuellement, ce que nous savons de la nouvelle pièce de Stoppard, c’est qu’il s’agit d’une jeune femme nommée Hilary, qui fait des recherches en psychologie dans un institut des sciences du cerveau. Elle soigne un chagrin personnel et un problème difficile au travail, c’est-à-dire : « S’il n’y a rien d’autre que la matière, alors qu’est-ce que c’est que la conscience ? » Dans une interview avec « Vanity Fair », Stoppard décrit la pièce comme traitant « de l’explication scientifique du fait que tout puisse être incomplet ».

C’est surprenant que deux cerveaux très brillants et prestigieux comme Stoppard et Chalmers soient occupés par les déficiences du grand courant orthodoxe du matérialisme scientifique. Quelles que soient leurs réponses particulières à l’énigme de ce que peut être la conscience, il est en tous cas remarquable qu’ils trouvent que cela vaut la peine de défier cette orthodoxie.
Et dans cet effort, ils sont rejoints par le philosophe américain Thomas Nagel, une autre superstar de la philosophie de l’esprit. En 2012, Nagel a publié « L’Esprit et le Cosmos », dont la thèse est que « l’orthodoxie courante concernant l’ordre cosmique, est le produit d’hypothèses dominantes que rien ne soutient, et qu’elle lance à la figure du bon sens. » Plus précisément, dans son livre, Nagel défend « la réaction spontanée d’incrédulité face à l’explication néo-darwinienne réductrice de l’origine et de l’évolution de la vie. » Il est intéressant de voir que le scepticisme de Nagel à propos de l’orthodoxie régnante n’est pas basé sur une croyance religieuse ou sur une quelconque alternative (y compris les arguments des théoriciens du Projet Intelligent) Il trouve seulement que les arguments du matérialisme scientifique sont incomplets, surtout en ce qui concerne l’expérience subjective de la conscience. Nagel suggère que derrière l’émergence de la conscience, il pourrait y avoir des principes de caractère théologique, c’est-à-dire inductifs plutôt que mécanistes.

Nous avons donc un groupe de penseurs contemporains très considérés, prisonniers, chacun à sa manière, dans la caverne de la laïcité, qui, en quelque sorte, abordent la recherche. En opposition aux Nouveaux Athées, on pourrait les appeler les Nouveaux Chercheurs. Le fait que tous les trois aient mis l’accent sur l’étrangeté de la conscience humaine attire l’attention de Walker Percy, car c’est bien Percy qui a pensé que la manière dont l’homme moderne pourrait le plus facilement être poussé à chercher sa place perdue dans le cosmos, c’est à travers les énigmes des expériences subjectives de la conscience et de l’individualité. En épigraphe à « Perdu dans le cosmos », Percy cite ces lignes de Nietzsche : « Nous les connaisseurs, nous sommes des inconnus pour nous-mêmes. … car chacun de nous détient pour l’éternité la devise : « chacun est le plus éloigné de soi » – en ce qui nous concerne, nous ne sommes pas des connaisseurs. »

Pour Percy, la découverte de soi commence par la compréhension du fait que la conscience est « cet acte d’attention à quelque chose qui se révèle par son signe. » Seuls, les êtres humains communiquent en faisant usage de signes. Toutes les autres interactions dans le cosmos – des particules heurtant des particules, des réactions chimiques, des échanges énergétiques, les mamans dauphins appelant leurs petits, etc…- sont ce que Percy appelle dyadic : une interaction entre une ou plusieurs entités. Mais avec l’homme apparaît la conscience et le langage qui dépendent d’une relation triadique entre celui qui parle, le signifiant, (un mot ou un autre signe produit par la saisie du concept par celui qui parle) et ce que signifie le signe.

Mais notre forme triadique de communication a un prix. La conscience nous fait réaliser que nous sommes des donneurs de signes, mais aussi que nous avons du mal à capter notre propre identité à travers les signes. Nous sommes, comme l’a vu Nietzsche, des inconnus pour nous-mêmes. Nous sommes confrontés à un problème auquel n’est confronté aucun autre organisme dans le cosmos : celui de trouver notre place dans le monde.

Si nous envisageons ce problème, nous pouvons commencer à nous demander quelle est notre place dans le cosmos. C’est à cela que les Nouveaux Chercheurs sont engagés, plus ou moins consciemment ( le jeu de mots est intentionnel). Et qui sait ? Peut-être que leur recherche les conduira vers ce Dieu qui, comme l’écrit Percy, « transcende le cosmos entier, et a effectivement pénétré dans l’histoire humaine…afin de racheter l’homme de la catastrophe qui l’a dépassé. »

Même Hilary, le personnage de Stoppard, selon ce que nous lisons dans la synopsis de la pièce, a besoin d’un miracle « et elle est prête à prier pour qu’il y en ait un. »

Traduction de « The New Seekers »

Photo : Tom Stoppard