The Children Act, roman de Ian McEwan. - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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The Children Act, roman de Ian McEwan.

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Note de la traductrice : le titre du livre signifie : loi de protection de l’enfant. Toute personne désirant lire le livre lorsqu’il paraîtra en français est averti que cet article dévoile l’intrigue.

Dans la nouvelle de James Joyce, « The Dead » (Le mort), le mariage de Gabriel et Gretta Conroy se délite. Un soir, après une réception de Noël, Gabriel essaie de ranimer la flamme. Mais Gretta est bouleversée par un chant entendu lors de la fête, « l’amie d’Aughrim ». Quand Gabriel l’interroge sur les raisons d’une telle émotion à propos de ce chant, Gretta avoue qu’un jeune garçon avec qui elle s’entendait bien quand elle était jeune, Michaël Furey, avait l’habitude de le chanter. Gabriel, furieux, demande à Gretta si elle est toujours amoureuse de ce Michaël Furey. « Il est mort » explique Gretta. « Il est mort quand il n’avait que dix-sept ans. N’est-ce pas terrible de mourir si jeune ? » Gabriel, humilié « par l’évocation de cette figure du monde des morts, un garçon qui travaillait à l’usine à gaz » demande comment il est mort.

Gretta répond : « je pense qu’il est mort pour moi ».

Le spectre de ce Michaël Furey de Joyce m’est apparu comme je lisais « The Children Act », le roman captivant, dérangeant et si élégamment écrit de Ian McEwan. Comme dans « The Dead », le coeur de « The Children Act » est un mariage qui se délite et l’attachement de l’épouse pour un jeune homme doué et sensible dont l’amour hante son existence plutôt conventionnelle. Fiona Maye, une juge londonnienne aux affaire familiales, ne vit pas une liaison avec ce jeune homme, Adam. Et l’amour d’Adam pour elle est d’un érotisme ambigü. Leur lien, bien que non dépourvu d’une nuance érotique, est plus complexe – à cause d’une conception particulière de la foi religieuse dans le monde séculier.

Le ressort de The Children Act est un jugement que Fiona doit rendre pour autoriser ou non un hôpital à effectuer une transfusion sanguine qui sauverait la vie d’Adam. Adam et sa famille sont des Témoins de Jéhovah convaincus et refusent cette transfusion pour des motifs religieux. Le problème est qu’Adam n’a pas tout-à-fait dix-huit ans, et qu’il est donc légalement un enfant. Ses parents et l’hôpital se disputent le droit de décider pour lui. Fiona doit déterminer qui a la meilleure disposition à faire le bonheur d’Adam.

Dans un geste peu orthodoxe, Fiona visite Adam à l’hôpital pour déterminer à quel point il comprend et désire le sort funeste que sa foi entraîne. Mais cette brève visite crée entre eux un lien émotionnel. Tout comme dans « Le mort », le lien se noue par la musique, également par un chant en rapport avec l’Irlande : « Down By the Salley Gardens », la mise en musique par Benjamin Britten du poème de Yeats. A l’hôpital, le précoce Adam a pris son violon, et après l’avoir entendu écorcher la chanson, Fiona -une musicienne accomplie – suggère qu’il rejoue le morceau pendant qu’elle chante :

Les circonstances, la pièce elle-même, coupée du monde extérieur, dans un crépuscule perpétuel, pouvaient avoir encouragé une disposition à l’insouciance, mais par-dessus tout c’était la performance d’Adam, son regard d’hommage contraint, les sons grinçants et maladroits qu’il produisait, exprimant si bien sa nostalgie naïve, qui l’avaient profondément émue et poussée à cette suggestion impulsive.

L’impulsivité de Fiona est clairement déterminée par le chagrin et la colère qu’elle ressent envers son mariage. Lorsque le roman débute, Jack, le mari de Fiona, un universitaire, vient de lâcher une bombe. Tout en disant à Fiona qu’il l’aime et qu’il veut toujours rester marié avec elle, il lui avoue vouloir poursuivre « une grande histoire d’amour ». Fiona ne peut pas accepter un mariage ouvert. Jack s’en va, probablement pour rejoindre sa dulcinée. The Children Act se déroule en opposition avec la toile de fond de Fiona, l’experte en conflits familiaux chez les autres, obligée d’affronter la crise dans son propre couple.

A un certain niveau, The Children Act traite de la sexualité – la sexualité comme emblème de la liberté et de l’innocence, la sexualité comme passion destructrice et incontrôlée, la sexualité comme le troublant véhicule par lequel les enfants – et les conflits qui les attendent et que Fiona supervise au tribunal – viennent au monde. Les charges professionnelles de Fiona l’ont conduite à dissocier la sexualité de l’enfantement, des enfants qui lui font regretter sa stérilité – Adam mourant fait ressurgir tout cela.

Fiona tranche en faveur de la transfusion et Adam guérit. Mais il ne sort pas de la vie de Fiona. Pour des raisons que Fiona ne comprend pas tout d’abord, Adam a énormément besoin de garder le contact avec elle. Il va jusqu’à la suivre dans un déplacement professionnel à Newcastle, où sur un coup de tête, Fiona lui donne un baiser d’adieu maternel qui dérape. Honteuse de ce qu’elle a fait, Fiona coupe tout contact avec Adam, hâtant une tragédie dont elle ne se remettra pas tout à fait.

La tragédie finale est causée en partie par le rejet d’Adam de sa foi de Témoin de Jéhovah. En rencontrant Fiona, il cherche à la fois une figure maternelle, une amoureuse et plus important encore, un guide pour naviguer sans foi dans le monde séculier. Fiona n’en prend pleinement conscience qu’une fois la tragédie finale consommée :

Adam est venu à sa recherche et elle ne lui a rien offert pour remplacer la religion, aucune protection… Le confort, le bien-être est social. Aucun enfant n’est une île. Elle croyait que ses responsabilités prenaient fin à la sortie de la salle d’audience. Comment cela se pourrait-il ? Il était venu la trouver, voulant ce que tout le monde veut, et que seuls les libres-penseurs et non le surnaturel peuvent donner. Du sens.

Tout comme Gretta Conroy, Fiona peut dire qu’un jeune homme et mort pour elle. Ce que Fiona représente pour Adam, ce n’est pas simplement l’amour, mais le sens. Cependant, qu’est-ce que Fiona offre en place de la religion ? L’intelligence, les dons artistiques, la sensibilité, des relations humaines profondément boiteuses, et malgré tout, un certain équilibre devant le monde « ouvert, magnifique et terrifiant » amputé de signification religieuse.

The Children Act suggère que c’est suffisant, ou tout au moins que c’est tout ce que l’on peut attendre de cette vie. Mais dans les ombres d’une telle acception, le spectre du doux Adam, chercheur déboussolé, devient obsédant.


Daniel McInerny est philosophe et auteur de fiction à la fois pour enfants et adultes. Davantage de renseignements sur lui et son oeuvre sur danielmcinerny.com.

illustration : l’auteur de roman, Ian McEwan

source : http:/www.thecatholicthing.org/columns/2014/ian-mcewans-the-children-act.html