Notre Chef de Chœur du lycée n’aurait pu être plus catégorique avant que nous partions pour l’Europe:
« Quoi que vous fassiez, quoi qu’il arrive, quelle que soit votre faute, une seule chose importe: ne perdez pas votre passeport ! »
Pas un mot de plus, c’est ce que j’ai fait.
Quatre pays sans anicroche, rangeant mon passeport dans ma chambre après l’enregistrement à la réception, et le récupérant avant le départ. Arrivant à Brighton, en Angleterre, j’ai eu une idée un brin trop géniale : je cachai si bien mon passeport que quelques jours plus tard, au moment de partir pour Londres, il était introuvable. Conséquence: j’ai passé une journée entière à l’ambassade des États-Unis à remplir des formulaires et à répondre à des interrogatoires tandis que mes copains visitaient Buickingham Palace et l’Abbaye de Westminster. Gaffeur.
Le bon côté de l’affaire, c’était de me trouver à l’Ambassade US dans un environnement — territoire Américain à l’étranger — au caractère à la fois solennel et réconfortant. J’étais chez nous, sans y être vraiment. J’étais en sécurité, et on m’apportait l’aide nécessaire à la poursuite de mon voyage de retour.
J’éprouve un sentiment analogue chaque jour en allant à la messe. C’est comme me réfugier à l’Ambassade de Dieu pour un répit avant d’entamer mon voyage quotidien dans le brouhaha de la vie.
Hilaire Belloc a abordé le sujet dans son ouvrage The Path to Rome (Sur le chemin de Rome), où il énonçait les quatre raisons pour lesquelles la messe quotidienne était pour lui une source de « confort continu » — quatre raisons que James Schall, S.J., a citées comme « aussi profondes que ce qu’on peut trouver jusqu’à présent dans la littérature théologique. »
Par exemple, Belloc note que le simple fait d’aller chaque jour à la messe oblige à mettre à part trente minutes de son temps et les consacrer au calme et au recueillement — ce qui n’est pas rien de nos jours. Et aussi qu’en se fixant sur le rite liturgique on peut soulager l’esprit… de la responsabilité et de toute initiative pendant cette période, c’est un don que l’on reçoit, et aussi un exercice d’humilité. Plus important encore pour Belloc, la messe quotidienne répond à une ancienne tradition.
« Ce qui d’immémoriale habitude est incrusté dans notre sang nous apporte, soyons-en certains, une dose de bonheur. »
Mais des quatre raisons de Belloc c’est la troisième que je préfère — la messe est une évasion et un refuge :
« L’environnement vous inspire des pensées bonnes et raisonnables… Et donc le temps passé à la messe est une courte trève dans une vaste et belle bibliothèque, où nul son ne pénètre, et où l’on se sent à l’abri des agressions du monde extérieur.»
Remarquez qu’il cite l’environnement comme un facteur propice, et que le temps passé à la messe est une trève en soi, quels que soient votre concentration ou même votre état d’esprit. Autrement dit, selon ces quatre raisons, Belloc suggère que le simple fait d’aller à la messe a de la valeur, une immense valeur.
C’est d’une importance vitale, spécialement pour une limace comme moi. Je ne suis pas toujours convenablement disponible ou attentif à la messe — phénomène pouvant échapper à ceux pour qui la messe n’est pas une priorité quotidienne. Ceux d’entre nous qui en font une priorité savent bien que ce n’est certes pas par sainteté, même pas un tout petit peu. C’est plutôt le contraire: nous savons que nous sommes de fieffés pécheurs, et que nous avons envie de devenir saints. Aller chaque jour à la messe est une méthode de paresseux en la matière.
Méthode de paresseux car, comme Belloc le suggérait, vous n’avez qu’à y aller pour en tirer un bénéfice. Je m’en suis accusé une fois — mon habitude d’aller chaque jour à la messe pouvait sembler une solution spirituelle de facilité. N’avais-je pas mieux à faire? Mon confesseur a rigolé et m’a montré le côté orgueilleux de ma question.
« Le simple fait d’aller à la messe a une immense valeur, quel que soit votre état d’esprit …. Après tout c’est Jésus qui fait le boulot, vous n’avez qu’à vous agenouiller sur le prie-Dieu.»
Romano a écrit sur le sujet dans ses Méditations avant la messe. « Tout d’abord c’est Lui qui agit ; c’est le Christ en personne qui bouscule notre conscience.» Cependant, Guardini met en garde contre une éventuelle crise d’ennui, de monotonie :
« Si la messe menace de devenir une habitude pour quelqu’un y allant régulièrement en semaine, il faudrait lui conseiller d’y aller moins fréquemment, peut-être seulement le dimanche, pendant quelque temps, et de remplacer la messe par de simples visites dans le recueillement d’une église, ou la lecture de la Bible. »
Oh ! Ah ! C’est de moi qu’il s’agit ? Je suis souvent distrait pendant ma messe quotidienne, parfois même j’y somnole. Pourtant, le fait d’aller à la messe n’est-il pas plus important qu’une visite à l’église ou une lecture de la Bible ? Si je suis là, présent au cours de ce mystère, de cet événement miraculeux qui s’y déroule, n’est-ce pas mieux que n’importe quoi d’autre ?
Je crois que mon confesseur et Belloc m’approuveraient, peut-être même le Saint-Père. Lors d’un entretien récemment publié S.S. François a employé une métaphore médicale mémorable:
« Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après la bataille. Il n’est pas utile de demander à un grand blessé s’il a du cholestérol, ou quel est son taux de sucre dans le sang. Il faut soigner ses blessures. Ensuite, on pourra parler de tout le reste. »
Quelle horrible comparaison avec la messe quotidienne ! Quand chaque jour j’agenouille ma triste personne à la messe — malgré les distractions et la fatigue, sans tenir compte de mon état, attentif ou non, je suis — je suis ce guerrier blessé qui a besoin des premiers secours avant de retourner au combat. Oui, il faut que je donne plus de force à ma vie religieuse hors de la messe et, oui, j’ai besoin de dire mon Rosaire et de consacrer du temps à des lectures religieuses.
Mais dans l’immédiat — expatrié de l’esprit manquant d’aide, combattant boiteux en besoin de soulagement — il me suffit tout juste d’être là. Et j’y retournerai demain.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/a-lazy-mans-spirituality.html
Rick Becker, père de famille (7 enfants), est instructeur pour personnel infirmier, et catéchiste.
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