Screwtape vient dîner. - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Screwtape vient dîner.

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Je ne connais pas Jody Bottum et ne sais pas pourquoi il a écrit cet article dans Commonweal qui a créé tant de polémique dernièrement. Mais je connais les pressions exercées sur les journalistes de nos jours à propos de l’homosexualité.

Et parfois elles se présentes sous forme de menaces et de tentations diaboliques1.

Au Canada, je fais partie des catholiques sociaux conservateurs très médiatisés, ce qui en dit probablement bien plus sur le Canada que sur ma propre personne. J’anime une émission de télévision nocturne, je rédige des éditoriaux, apparaît dans une émission radio de grande écoute deux fois par semaine, j’écris des articles pour divers journaux catholiques et mes livres sont publiés par Random House. Si j’ai souffert en raison de mes opinions anticonformistes, la souffrance a été modeste et supportable.

Mais, naturellement, il y a les menaces, les injures, les portes fermées et le boycott. Et bien des gens qui dans d’autres conditions auraient pu nous fournir de bonnes informations et de bons commentaires n’ont pas eu autant de chance que moi pour survivre et prospérer en dépit de tout.

Arrive Screwtape vêtu d’un complet du bon faiseur et d’une cravate Charvet. Il y a trois ans, un écrivain, producteur et réalisateur canadien de premier plan m’a invité à dîner. Il était cordial et affectueux. Il a reconnu que ma carrière marchait bien mais il se demandait pourquoi je limitais mes interventions aux catholiques et aux groupes pro-vie alors que j’aurais pu donner des conférences dix ou vingt fois mieux payées pour les principales banques et les milieux d’affaires. Sans parler, insistait-il, des articles que je pourrais écrire partout où je le souhaiterais, des émissions télévisées autant que j’en voudrais. Mais…

« Le problème est en réalité très simple, a-t-il expliqué au café. Etre catholique, pas de problème. Etre pro-vie n’est pas beaucoup plus gênant, mais si j’étais vous, je ne parlerais pas tant de cette broutille qu’est l’avortement. Opposez-vous à l’euthanasie tant que vous voudrez. Mais il faut changer de position sur le mariage homo. Pas simplement garder le silence – ils vous perceraient à jour – mais exprimer clairement que vous avez changé d’avis. Et c’est tout. Pour parler franc, déclarez que vous restez chrétien… mais que vous ne voyez pas d’inconvénient au mariage homo. »

Je ne suis pas si habile à comprendre les gens que je le voudrais. Venu d’Angleterre, je ne comprends toujours pas facilement l’humour nord-américain. D’où mon éclat de rire à ce que je pensais être une blague. Mais il ne plaisantait pas. Il était sérieux, il était bien intentionné et — j’emploie le mot à dessein — diablement convenable. Je suis sûr que je suis une grande déception pour lui et chaque fois que je le vois dans les rares réceptions où je suis toujours invité, il me regarde avec un regret touchant.

Ou cela pourrait-il être du mépris ?

On aurait tort, quoi qu’il en soit, de supposer que mon interlocuteur était mauvais, ou même manipulateur. Il a bâti son argumentation sans s’y sentir impliqué, et la raison pour laquelle il pensait que je l’écouterai, est que pour lui comme pour tant d’autres jacasseurs, le mariage homo n’est pas pertinent. C’est important à savoir. Ce n’est pas une grande et magnifique cause, même pas d’une certaine importance, simplement hors de propos. Voilà pourquoi ils ne peuvent pas comprendre une opposition qui signifierait ruiner sa carrière, ou pire, perdre son emploi. Les militants homosexuels et leurs alliés sont relativement peu nombreux mais les camarades de route indifférents sont légions, eux.

Les arguments pour ou contre le mariage homosexuel ne changent pas, ne peuvent pas changer. Alors le changement de position individuel est le résultat, non d’une réflexion intellectuelle, mais d’un réflexe. Un recul sur ce débat central, sacramentel, peut résulter de l’angoisse pour un être cher, d’une perte de foi, ou de quelque chose de cette importance, encore que toujours inadéquat. Il peut aussi résulter d’un profond découragement moral, ou de la croyance erronée que l’Evangile ne peut se répandre que si nous nous soumettons aux impératifs culturels.

Le découragement peut se comprendre, même si regrettable. L’autre option – et cette position se dessine dans les églises évangéliques – est d’un sombre choix avec des conséquences terribles.

Ca peut même être bien plus banal, comme lorsque présenté par mon compagnon de table Screwtape. Voyez-vous, quand nous abandonnons la défense du mariage authentique, le monde ne dit pas que nous avons changé d’avis mais que nous avons mûri, si nous suivons la foule sur ce sujet, on ne dit pas que nous avons basculé d’un extrême à l’autre, mais évolué vers la modération. C’est un vocabulaire tendancieux et subtilement pervers, le lexique du mépris anti-chrétien.

Se détourner de la vérité et renier ce qui vient de Dieu peut être une tentation très, très attrayante. Thomas More a payé de sa tête sa fidélité au mariage. Je peux certainement être capable de renoncer à une ou deux conférences lucratives.

Nous devrions tous en être capable.


Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/screwtape-comes-to-lun.html


Michale Coren est un animateur de radio et de télévision installé à Toronto au Canada. Ses éditoriaux paraissent chaque semaine dans de nombreux journaux.

  1. NDT : Le titre fait allusion au roman épistolaire de C.S. Lewis Screwtape Letters (en français Tactique du Diable). Screwtape est un démon expérimenté qui conseille son jeune neveu effectuant ses débuts.