Sainteté : commencez par payer votre loyer. - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Sainteté : commencez par payer votre loyer.

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Une amie, louant des chambres à des étudiants me confiait à contre-cœur que lorsque elle a un locataire de « haute spiritualité » — fréquentes retraites religieuses, travaux divers pour l’aumônerie du campus, soirées de recollection, bénévolat pour remettre en état des maisons dans les Appalaches, éventualité d’une vocation religieuse — elle a du souci pour percevoir le dernier loyer et trouver une chambre en taudis après le départ de cet étudiant.

Certains étudiants portés à la « haute spiritualité », même ceux qui cherchent vraiment la sainteté, semblent souvent ignorer qu’échapper aux soucis « terre à terre » ne signifie nullement mener leur existence sans prendre souci de leurs devoirs de base dans et pour le monde. Bien au contraire, la sainteté vous dit de payer votre loyer en temps. De laisser une chambre propre pour le prochain locataire. De tenir le jardin et tondre le gazon. Elle ne vous autorise pas à vous dire: « je n’ai pas à m’inquiéter de tout cela, je suis trop pris par des « pensées plus élevées » telles que le rosaire, Jésus, ou mon voyage à Fatima. »

Ces étudiants de « haute spiritualité » feraient peut-être bien de fréquenter les bénédictins. La règle de saint Benoît est un guide précieux pour apprendre et pratiquer la sainteté des tâches quotidiennes. Pour un bénédictin le travail est une forme de prière, et une vie de prière, c’est notre travail. Traire la vache, « et le faire avec amour, donc excellemment, » devient une forme de prière à notre Créateur. Copier fidèlement le texte d’un manuscrit sur des lignes bien droites et élégantes, avec des lettres parfaitement calligraphiées, est une forme de prière. L’excellence de l’œuvre est au service de la vie spirituelle.

Mais, attention! Les besoins de « vie spirituelle » ne nous autorisent pas au laisser-aller. Nous ne devenons pas « moins responsables » de la traite des vaches, ou du désherbage des champs, ou de la copie de manuscrits parce que nous sommes « dans l’esprit » et jugeons ces tâches trop « terre à terre ». Comme Paul le dit aux Corinthiens, les chrétiens ne devraient pas être moins vigoureux dans leur formation que des athlètes s’entraînant pour obtenir une médaille. Bien au contraire, comme ils se consacrent à Dieu, les chrétiens doivent s’impliquer davantage à la poursuite de l’excellence.

Les chrétiens ne sont pas des platoniciens, pour qui la « matière » est quelque chose dont on peut se débarrasser afin d’atteindre ce qui est vraiment important, c’est-à-dire « le spirituel ». Les Chrétiens se réfèrent à l’incarnation, et donc au sacré, pour eux, la matière est « bonne, très bonne », et pleine de valeur pourvu que nous la traitions convenablement, en accord avec sa nature de créature et l’élevions au service de Dieu et de notre prochain, ainsi que le prêtre élève le pain et le vin en offrande à Dieu pour qu’ils deviennent le Corps et le Sang du Christ. Jean-Paul II disait que « l’homme est le prêtre de la Création ». Nous n’avons pas plus d’excuse à nous laisser aller dans nos tâches terrestres qu’un prêtre qui célèbrerait sa messe du bout des lèvres.

En prétendant que la sainteté implique le paiement de notre loyer à terme, je ne cherche pas à mélanger la chrétienté avec ce qu’on appelle parfois les « valeurs matérialistes ». Je ne dis pas que faire le ménage est proche de la piété, ou qu’on peut juger la droiture de l’âme d’un homme à la coupe au cordeau de sa haie.

Une caractéristique des « valeurs matérialistes », selon moi, par opposition aux principes chrétiens, est que le matérialiste ne relie que rarement la fin aux actes accomplis. Le gosse de riche en Fac. dont l’ambition majeure est de passer des vacances fabuleuses et de recevoir la formation de l’Université la plus prestigieuse, ou le chef d’entreprise pour qui le but majeur est d’être le plus « efficace », l’objectif étant laissé aux autres — instruction pour tous ou gestion de l’entreprise. Et ces gens passent leur vie à tenter d’atteindre une haute efficacité par la recherche des meilleurs moyens d’atteindre ces buts préétablis.

Que ces buts soient nobles ou non, moraux ou non, importe peu. On ne demande pas dans quelle intention on veut être diplômé de cette Université prestigieuses, par exemple. De même, l’ambition du chef d’entreprise est simplement de devenir « efficace » et « productif », que ce soit pour donner à manger aux pauvres ou pour pratiquer des avortements, que ce soit pour produire des fers à cheval ou des bombes thermonucléaires.

À l’opposé, les chrétiens devraient se soucier à la fois des « moyens » et des « fins ». Il leur faut savoir : « à quoi tout celà sert-il? » Plus précisément, ils devraient demander: « Comment cela sert-il Dieu et mon prochain? » En conséquence, si nos actions ne servent plus à ces buts, nous devrions y mettre fin.

Un chrétien peut parfaitement passer sa vie à entretenir des locomotives, pour qu’elles fonctionnent régulièrement, efficacement, admirant le fonctionnement harmonieux de tous ses composants, goûtant la qualité du service offert aux passagers du train, et sachant qu’il travaille selon la volonté de Dieu. Et pourtant, si ce train doit transporter des juifs à Auschwitz, sans hésitation, levant les yeux au ciel, et soupirant sur le gaspillage induit par la folie des hommes, il prendra sa clé à molette et sabotera cette loco afin qu’elle ne puisse plus jamais circuler, puis s’en ira, l’âme en paix sachant qu’en détruisant le travail de sa vie il a répondu à la volonté de Dieu.

C’est ainsi qu’on distingue le chrétien du simple matérialiste: le chrétien comprend les buts cherchés par ses efforts; le matérialiste ne connaît que l’action et se soucie peu ou pas des buts visés. Ce que le chrétien devrait éviter, c’est prétendre qu’au service du « spirituel » il est dispensé de son obligation d’effectuer un travail impeccable, de copier des lignes toutes droites, et de payer son loyer à terme. Rien ne saurait être plus éloigné de la Vérité.

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Randall Smith est professeur de théologie à l’Université Saint Thomas à Houston, Texas.


Tableau : La spiritualité concerne à la fois les moyens et la fin.
L’ombre de la mort, par William Holman Hunt – 1870.

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/holiness-means-paying-your-rent.html