Ces derniers jours, Rome a un certain sens de l’automne assez doux. Le ciel est bleu et doré, comme à d’autres périodes de l’année, mais l’air est frais. Les feuilles des arbres n’ont pas encore revêtues leurs couleurs vives habituelles, avant qu’elles ne tombent, comme elles font dans les climats plus nordiques. Elles passent rapidement du vert au brun ou au gris, puis restent avec une silencieuse et modeste dignité sur la Ville Éternelle.
La seule chose qui semble contredire ce retard à l’approche de l’hiver, est l’attroupement de millions d’étourneaux, tournoyant au-dessus du Tibre, et nulle part ailleurs surtout au crépuscule, lorsqu’ils se lancent dans une course bruyante et animée, s’alimentant de nourriture invisible à l’œil nu. Quand viendra l’heure, ils voleront ensemble vers le Sud, peut-être en Sicile, ou même en Afrique.
A cette période de l’année, à Rome, les controverses autour de l’Église semblent s’apaiser naturellement au fil des millénaires. J’ai entendu dire d’un ami italien fiable, qui l’a lui-même entendu d’un de ses amis italiens fiables de la Curie Romaine, qu’un nouveau document va être publié prochainement, sûrement dans les semaines à venir. Le contenu est cependant incertain : la bio-éthique, le mariage gay peut-être, ou quelque autre problème tumultueux concernant l’Église.
Peut-être. Ou alors peut-être que ce document va simplement nourrir les spéculations des médias internationaux, en ce qui concerne la tournure que la papauté du pape François est susceptible de prendre. Je ne sais pas.
Je suis à Rome pour donner des conférences dans une des universités pontificales. Je serais plus amené à parler ici des controverses ecclésiales. Mais pour l’instant, je n’ai pas eu besoin de trop me soucier de cela. Sans oublier que Rome, pour le meilleur ou pour le pire, semble perdurer, bien au-delà de toute machination humaine. A sa manière, elle semble fonctionner quand même.
Je vais habituellement à la messe dominicale à Saint-Pierre: la musique est belle, et, plusieurs fois, cela a fait une différence pour moi, de prier et recevoir la Communion près des restes du premier pape. Cependant, expérience personnelle mise à part, nous sommes si familiers avec l’histoire qu’il est difficile d’imaginer comment un pécheur d’un coin reculé du Moyen-Orient ait pu venir dans cette capitale impériale et changer le cours de l’histoire. Mais c’est ainsi.
Ce serait comme si quelqu’un venait d’une communauté ecclésiastique des actuels territoires palestiniens à Washington, pour ré-orienter la puissance globale des États-Unis du désordre profane qu’il est devenu, (en théorie et encore pire en pratique), vers quelque chose comme des principes chrétiens par exemple.
Mais en restant sur cette idée d’une ville silencieuse en cette saison, j’ai été à la messe dans la petite église de St-Barthélémy sur l’île du Tibre (soit dit en passant, l’Église titulaire du cardinal Francis George de Chicago). Je me suis familiarisé avec le lieu quand j’écrivais “The Catholic Martyrs of the Twentieth Century” («Les Martyrs Catholiques du Xxème siècle»). Pour une raison quelconque, la Commission du Vatican sur les Nouveaux Martyrs était installée dans un immeuble mitoyen à l’église. Plus tard, Jean-Paul II a désigné cet endroit, et la communauté Saint’Egidio, qui a plusieurs activités là-bas, comme centre officiel pour commémorer les “nouveaux” martyrs.
Sant’Egidio est une communauté importante pour la paix internationale et la justice. Selon moi, ils ne vont pas dans la bonne direction, en essayant d’influencer et de façonner les problèmes mondiaux. (Il y a aussi des rumeurs selon lesquelles ils auraient été impliqués dans l’affaire visant à empêcher Rocco Buttiglione, philosophe, maintenant homme politique, et ami proche de longue date de Jean-Paul II d’être nommé à la commission Européenne pour la justice, la liberté et la sécurité, par le gouvernement italien). Toutefois, il faut quand même avouer qu’ils font du bon travail.
Cette année, ils ont organisé une série d’expositions dans l’église commémorant les catholiques et les autres chrétiens martyrisés violemment de nos jours partout dans le monde, (“Les nouveaux martyrs de Jean Paul II”). C’est un triste rappel montrant à quel point le monde d’aujourd’hui reste violent : que ce soit un prêtre abattu par la Mafia en Sicile, des millions de martyrs du communisme; mais aussi des dizaines de personnalités religieuses tuées par les forces armées en Amérique Latine ou encore les chrétiens morts dans de diverses circonstances en Afrique. Ils sont nombreux, et pourtant inconnus.
Néanmoins, je suis allé assister à la messe dans cette petite église tranquille. A ma grande surprise, la communauté de Sant’Egidio a une célébration dominicale assez vivante, ce qui n’est pas un mince exploit à Rome. Beaucoup de personnes, dont moi-même, repensent avec affection à la liturgie précédant le concile Vatican II. Mais dans de nombreux cas, il était une moins bonne source d’inspiration. Il explique que les romanciers français Georges Bernanos et François Mauriac, tous les deux très catholiques et d’orientation politique différentes, ont écrit les livres concernant “La paroisse morte”.
Il y a eu des applaudissements et des tambours africains au début de la messe à Sant’Egidio. Habituellement, c’est mauvais signe. Ensuite se sont invités des chants entraînants et des prières ferventes, tous deux plus contemplatifs, ainsi que le solide sermon d’un jeune prêtre à propos de la résurrection du corps. L’église était pleine, et avec beaucoup d’enfants. Quand le prêtre et les servants d’autel sont sortis en procession, avec toujours plus d’applaudissements et de tambourinements, j’avais l’impression de faire partie de quelque chose de vivant, d’une véritable messe catholique.
Ensuite, je suis allé déjeuner dans le quartier juif voisin, derrière la principale synagogue de Rome, dans un restaurant réformé, pour ainsi dire, pas un endroit casher des plus strictes. Le romancier américain Walker Percy avait l’habitude de dire que “les Juifs sont un signe”. Il disait aussi : “Montrez- moi un hittite ( un puissant empire quand les juifs étaient une petite tribu) vivant à New York.”
Oui, c’est tout à fait ça. Et en novembre, à Rome, c’est assez remarquable qu’un ancien peuple ait encore une communauté grandissante dans un quartier caractérisé par les ruines d’un théâtre païen antique et de plusieurs temples. C’est remarquable qu’une Église qui ait vu l’ascension et la chute d’empires et de civilisations entières, semble d’un côté si fragile et précaire et d’un autre coté se développer, malgré les martyrs, les persécutions ou la corruption, avec la grâce de la vie qui nous a été donnée.
http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/autumnal-rome.html
Photo : L’ancien quartier juif à Rome.