Roger Nimier - France Catholique
Edit Template
Pontificat de François - numéro spécial
Edit Template

Roger Nimier

Copier le lien

28 septembre – Il y a tout juste cinquante ans, Roger Nimier mourait sur une route d’Île de France : le petit morceau d’autoroute que l’on nomme de l’Ouest, le seul qu’alors possédât la France ! À bord d’une Austin-Martin de sport, la voiture qui séduisait les artistes et les écrivains comme, par exemple, Françoise Sagan… L’accompagnait son amie, la jeune romancière Sunsiaré de Larcône : elle le fit jusqu’à son propre dernier souffle.

Les voitures de ce temps-là ne pardonnaient pas grand-chose à leur pilote… L’hécatombe était effroyable : quelques dix-mille morts chaque année ! Et parfois leur réservait une fin qui nous semble monstrueuse, mais pas plus que celle des soldats déchiquetés par des bombes ou des rafales de mitrailleuses lourdes. (Retour d’Algérie, je me payais une Aronde à deux portes, blanche et verte, d’occasion évidemment, que je remplaçais deux ans plus tard par une déesse avec laquelle je fis plusieurs fois le trajet Paris-Hendaye à 106 km de moyenne. Sans autoroutes comme aujourd’hui : il fallait traverser les villes et les villages, passer les croisements sans trop voir ce qui arrivait à droite ou à gauche… Oui, lecteur, tu as raison, j’étais un fou du volant.

J’aimais lire Nimier. Son insolence et ses cajoleries à la limite d’un direct de boxeur. Il a suivi Camus — ou est-ce Camus qui fut victime des hécatombes d’antan ?

Le Hussard bleu… Le Grand d’Espagne, Amour et Néant, Les Enfants tristes, D’Artagnan amoureux ou Cinq ans avant… S’il n’y avait eu jusqu’à ce jour que des romans de ce gabarit – je me suis gavé de ceux de Marcel Aymé alors que j’étais seconde pompe à la caserne des cavaliers de Trêves, et je n’ai jamais oublié Les Fruits du Congo d’Alexandre Vialatte – nul doute que je serais resté un amateur de romans, mais aujourd’hui il faut soulever tant de montagnes d’inepties — on publie en France près de sept-cents romans chaque année, de la folie, du délire : les neuf dixième sont à jeter, encore faudrait-il les lire tous pour savoir ce qui peut rester au fond de la cuvette du chercheur d’or — que j’ai perdu même la curiosité d’en soulever les couvertures, ce qui est, je m’en doute, une grande injustice. C’est ainsi que je vis au crochets, notamment, de Dostoïevski, de Bernanos, et même de Péguy qui jamais n’écrivit de romans. Ces noms se trouvaient évidemment dans le cartable de Nimier… dont je n’oublie pas Journées de lectures, L’Élève d’Aristote et Les écrivains sont-ils bêtes ? Dernier titre qu’il m’est bon de citer afin de doper chez moi, si peu que ce soit, la vertu d’humilité.

Nimier est mort le 28 septembre 1962, six jours après mon anniversaire… J’étais du côté d’Orléansville dans un régiment de cavalerie. Le village qui nous faisait face à six-cents mètres se nommait Ruina… Nom symbolique pour un Français de mon genre : en moi la « ruine » en effet avait plongé ses racines depuis le cessez-le-feu, le 29 mars, au cours duquel j’avais avalé une bouteille entière de « visequi » pour tenter d’effacer en moi la marque d’ignominie, comme au fer rouge, laissé par le sale travail des politique du temps. (Je reste étonné que le boutiquier de Mechtras — un doute profond sur l’orthographe — ait pu disposer d’une telle bouteille en ce lieu de l’islam profond).

Mais une telle nouvelle, la mort d’un grand écrivain, de ceux que j’appréciais particulièrement, ne parvenait pas jusqu’à nous : ne serait-ce que parce que nos emplois du temps étaient féroces, nos inquiétudes mauvaises.

L’actualité était liée aux événements odieux qui se déroulaient aux abords plus ou moins proches du camp : des enlevés, des assassinés, des transportés d’urgence vers Alger, des inconnus courant vers nous afin de trouver refuge derrière nos lignes… Les mitraillettes aboyaient au-dessus des poursuivants afin de permettre au fugitif de parvenir jusqu’à nos mains tendues ! Et puis une enquête avait commencé pour découvrir l’abruti, le faux frère, le traître ou l’inconscient qui avait transmis à l’hebdomadaire politique pour moi le plus intelligent de Paris, la Nation française, des renseignements de quoi remplir trois pages de l’hebdo : toutes les mauvaises nouvelles qui nous affectaient dont l’ensemble méritât le titre « Vendanges d’Évian » : des fait dont aucun ne relevait réellement du secret militaire mais qui dressait le tableau de ce que les civils subissaient de la part des soldats de l’ALN. L’abruti, moi-même bien sûr, fut sauvé de l’insistance des trois gradés des Renseignements militaires venus d’Alger — avais-je réellement mis en péril la France elle-même ? — qui restèrent trois semaines à interroger, fouiner, soupçonner jusqu’au moment où ils tombèrent sur mon cas : « Ce Daguet, lieutenant, c’est bien un intello… N’était-il pas à la Sorbonne, repaire de salopards de droite hostiles au Général… Ce pourrait bien être lui, non ? — Pas du tout, il était sympathisant de l’UNEF… », répondit l’officier du 5e Bureau d’Orléansville, saisi d’une inspiration ô combien heureuse puisque jamais, au grand jamais je n’avais eu le moindre désir d’entrer dans ce syndicat dont j’abhorrais les options. J’en avais parlé dans la France Catholique, ce qui m’avait valu une lettre qui se serait transformée en vitriol si ce miracle d’enfer avait pu se concevoir : avec en prime une menace de mort. L’époque était amusante. L’argument fit l’effet d’un souffle d’air pur : j’étais blanchi…