Robert Ravaux, un ami de longue date de France Catholique, est mort à l’âge de 101 ans.
Il est né en 1914 à Paris, dans le contexte tragique du début de la guerre. Sa famille, modeste, est originaire de l’Aisne, où il a passé ses jeunes années chez ses grands-parents.
A 16 ans, ayant obtenu son brevet d’études primaires, son seul diplôme, il est venu rejoindre sa mère à Paris. Il est entré la même année (1930) au Crédit Lyonnais à Paris, tout au bas de l’échelle (ne racontait-il pas encore, des décennies plus tard, qu’il était entré au Crédit Lyonnais plutôt qu’à la Société Générale parce qu’on lui proposait 3 centimes de plus par mois, ce qui ne lui permettait d’ailleurs pas de payer le bus pour aller travailler…), et a fait une carrière comme on ne peut plus en faire de nos jours : il a gravi tous les échelons jusqu’à la direction générale.
Mobilisé en 1939, il a rapidement été fait prisonnier, ils ont été emmenés à pied dans la neige jusque dans un camp en Saxe, couchant sous la tente et «nourris» de marmites d’eau chaude où flottaient quelques pommes de terre gelées. Au camp de prisonniers, il était aussi maigre que les déportés. Il a réussi à s’évader en s’insérant dans un convoi de prisonniers gravement malades que les Allemands renvoyaient. Il a repris son travail à la banque pendant l’Occupation.
Je trouve remarquable que, dès les années 48-50, il avait complètement tourné la page par rapport aux Allemands et allait volontiers en vacances en Bavière et Autriche, sans ruminer une haine du peuple allemand comme tellement l’ont fait.
Rapidement il est devenu directeur d’agence au Crédit Lyonnais et célèbre pour galvaniser les employés les plus complexés et introvertis, leur redonner confiance en eux. L’agence dont il était directeur devenait toujours rapidement le n° 1 de Paris. Il pratiquait une banque humaine où les employés étaient à l’écoute des besoins réels des clients.
Après une jeunesse indifférente à la religion, il s’est converti subitement en 1952, à 38 ans, devant la statue de ND de Lourdes à Sainte-Marie des Batignolles sa paroisse (statue dont il disait lui-même qu’elle était sans attraits artistiques).
Il a alors tout de suite suivi les cours de théologie thomiste et spiritualité de Jean Daujat (le Centre d’Etudes Religieuses, fondé en 1925 par ce disciple de Maritain, continué aujourd’hui par son successeur Claude Paulot) et a été enthousiasmé. Il fit partie, à partir des années 60, du comité de laïcs qui aidait Jean Daujat, fut très ami avec Daujat et sa femme Sonia. Il a, plus tard, amené des centaines d’élèves au CER.
Après avoir eu des fréquentations un peu tapageuses dans les années 45/52, on dirait «bling-bling» ou «people» de nos jours, riches industriels et banquiers, et même de grands noms de France, pilotage d’avion privé, etc, il a changé radicalement de vie.
Il vendit sa grosse voiture et circula désormais en bus dans Paris, et a vécu frugalement avec sa mère dans un modeste 3 pièces d’un petit immeuble ancien et sans ascenseur de la rue Lécluse près de la place Clichy, alors qu’il aurait pu avoir un grand appartement dans le VIIIe ou le XVIe. Il a décidé désormais de ne plus fréquenter que des personnes à qui il pouvait être utile, s’est consacré à sa douzaine de filleuls (petits-cousins ou fils d’amis).
Il aimait les bonnes choses (le foie gras, les gâteaux de pâtissier, un doigt de liqueur…), mais avait un appétit d’oiseau car la captivité en Stalag lui avait occasionné un rétrécissement définitif de l’estomac, ce qui fait que malgré des années de déjeuners d’affaires, il a conservé toute sa vie une silhouette de jeune homme. Il garda presque jusqu’au bout son sens de l’élégance, une cravate en toute circonstance, un chapeau, un pardessus.
Dépensant peu à part un ou deux pèlerinages ou voyages culturels par an (Terre Sainte et croisière Saint-Paul avec Montmartre, Italie, il aimait beaucoup le lac de Côme, le lac de Constance), il a donné des sommes considérables aux œuvres, à l’AED, aux sanctuaires, aux séminaires, à France Catholique et Famille Chrétienne, aux Légionnaires du Christ plus tard. Des centaines de séminaristes en Afrique lui doivent leurs études.
Une fois à la direction générale (c’est sous sa direction que la construction de l’aéroport de Roissy 1 a été financée), il se faisait monter par son chauffeur de fonction tous les soirs à la messe au Sacré-Cœur, où il était adorateur et Missionnaire de Montmartre avec Mgr Maxime Charles. Une fois à la retraite, il passa de nombreuses nuits d’adoration à la basilique. Il était un grand dévot du Sacré Cœur, ami avec Mgr Charles. Il aimait beaucoup sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et allait volontiers en pèlerinage à Lisieux. Il est allé à la messe tous les jours jusque 2 ou 3 ans avant sa mort.
Il était par ailleurs une légende au Crédit Lyonnais, et aussi à l’Ecole de la Chambre de commerce où il a enseigné la banque des années, pour ses initiatives sympathiques et humoristiques – à l’époque un directeur d’agence avait les coudées franches et bien plus de marge de manœuvre que de nos jours. Nous avons tous entendu ses récits amusés, des années après, du train électrique qui circulait dans le hall de l’agence pour inciter les clients à souscrire à l’Emprunt SNCF, ou, pour l’Emprunt Or, le superbe vase en cristal rempli de louis d’or et autres bijoux déposés par les clients qui trônait derrière la vitre du caissier… Il se souciait de l’intérêt du client, lui proposait ce qui lui convenait réellement. Il avait des relations personnelles avec beaucoup de ses clients, allait visiter les clientes veuves à la mort de leur mari en proposant l’aide de la banque. Il faisait la banque en chrétien, n’hésitant pas à parler de Dieu à ses clients. Il a converti des clientes richissimes à qui il demandait si elles étaient croyantes, et leur dépêchait le Père Carré ou autre ecclésiastique de prestige pour les confesser dans leur appartement de l’avenue Foch ou du Champ de Mars. Après il les «tapait» largement pour ses bonnes œuvres, comme la construction du Foyer de Charité de Poissy à la fin des années 50. La banque humaine, puis la banque en chrétien après sa conversion.
A la retraite, il s’est consacré au bénévolat et à l’apostolat, il avait des groupes de prière et de réflexion théologique en lien avec Montmartre, a recruté des centaines d’élèves pour le CER, pour le pèlerinage de Montmartre à Chartres où il était chef de chapitre.
Il n’hésitait pas à parler de Dieu aux gens même dans le métro et n’avait aucun respect humain, toujours avec une gentillesse désarmante et humour. Il disait toujours «Qu’est-ce qu’on risque ?»
Etant un grand donateur (il vidait son compte tous les trimestres avant de recevoir sa retraite), il recevait de l’AED des kilos de chapelets bénits par Jean Paul II, il en avait toujours dans ses poches et en a distribué des quantités. Une fois il demande à la jeune femme assise en face de lui dans le métro : «Vous êtes croyante ? Voudriez-vous un chapelet béni par le pape ?» Elle fond en larmes et lui dit «C’est mon plus cher désir» et lui raconte sa vie.
Il évangélisait son boucher musulman (dans les années 80)…
Le dernier groupe de réflexion spirituelle qu’il a animé jusqu’à 90 ans s’appelait «la Mysticlique» !
Il passait des heures devant le Saint Sacrement à la Trinité, à ND des Victoires à la fin de sa vie.
Cela lui a valu un épisode douloureux vers 94 ans, une personne rencontrée à ND des Victoires a abusé de sa confiance, avec son mari ils ont fini par l’attirer chez eux à Étampes, le séquestrer quelques mois, au début avec son consentement, le torturer, il y a même eu quelques semaines où personne de nous ne savait où il était passé. Ils lui ont soutiré beaucoup d’argent, ont vidé son appartement des meubles et des effets, et ont fini par le ramener, en pyjama, dans son fauteuil roulant, dans son appartement quasi vide. Ils ont eu des ennuis avec la police mais il n’a jamais voulu porter plainte malgré tous nos efforts.
Il n’a plus jamais été comme avant, est resté des semaines sans parler ni pouvoir raconter, et après il a décliné irrémédiablement.
Entré en maison de retraite en Normandie il y a 4 ans et demi, il ne pouvait plus parler depuis 2 ans, en fauteuil roulant depuis une huitaine d’années.
Ses obsèques ont été célébrées à Sainte-Marie des Batignolles en présence de ses petits-cousins et amis, la Vierge de Lourdes de sa conversion figurait sur le livret liturgique.
• Centre d’Études Religieuses : http://cer.catholique.fr