Nicolas Sarkozy, président bling bling, donne à de plus en plus de Français l’impression de n’être pas un président sérieux : réformes brouillonnes, retirées à la moindre pression, annonces non suivies d’effets, foucades malencontreuses, personnalisation du pouvoir jusqu’à la caricature, osmose sans précédent du pouvoir politique et du show business, manœuvres diplomatiques douteuses. Comment les Français qui étaient il y a à peine quarante ans gouvernés par un homme comme Charles de Gaulle n’en seraient-ils pas profondément déstabilisés ?
Mais le président connaît les lois fondamentales de la politique. Il est des forces avec lesquelles il ne faut pas plaisanter : celles qui vous ont aidé à accéder au pouvoir, auxquelles des gages ont été en son temps donnés et qui ne s’attendent pas à être payées en roupies de sansonnet.
Sur le plan intérieur, il y avait les invités du Fouquet’s : quelques grandes fortunes, notamment celles qui tiennent les grands médias, quelques copains du show business qu’il ne faut pas décevoir – surtout s’ ils ont une « conscience de gauche » comme Carla Bruni ou Jacques Seguela. Tout de suite, on a voté le bouclier fiscal, l’aménagement de l’ISF et l’allègement du droit de succession (mesure antilibérale par excellence puisque le vrai libéralisme est fondé sur l’égalité des chances et le succès individuel). Les vieux politiciens disent que les électeurs ne se souviennent que de ce qui a été fait en début et en fin de mandat. Ces cadeaux aux riches ont fait mauvais effet. Ségolène Royal y voit le péché originel du règne. Qu’importe ! Le nouveau président avait un contrat remplir. Il devait le faire vite. Les mêmes liens le dissuadent aujourd’hui de prendre un vrai contrôle des banques, pourtant nécessaire s’il veut agir sérieusement contre la crise, comme Gordon Brown a su , lui, le faire
Sur le plan international, les parrains de la candidature de Sarkozy s’attendaient à ce qu’il « normalise » la France, qu’elle soit castrée une bonne fois pour toutes, pour ne plus jouer les emmerderesses de service comme c’était le cas presque tout le temps sous le général de Gaulle et le fut encore sous Chirac et Villepin avec la guerre d’Irak. Il fallait que les froggies comprennent une bonne fois qu’il ne leur faut plus faire les malins. Là aussi le président avait un contrat à remplir : Sarko l’américain , dont la carrière était sans doute suivie depuis longtemps par les officines transatlantiques qui « traitent » la politique européenne, a tout de suite multiplié les actes d’allégeance à l’Amérique de Bush , rompu ostensiblement au bénéfice d’Israël avec trois décennies d’équilibre diplomatique au Proche Orient, insulté les Québécois, transféré des soldats d’un pré carré africain tenu pour définitivement ringard vers un Afghanistan où il faut absolument être puisque les autres y sont.
Ceux qui ont détesté l’œuvre du général de Gaulle ( il ne nous semble pas que Sarkozy en fasse partie, mais ses soutiens oui) espéraient qu’il ferait la VIe République. Si la réforme de juillet 2008 a largement dénaturé la constitution de 1958, on est encore resté à mi chemin.
Par contre, en réintégrant pleinement les structures de l’OTAN le 4 avril prochain, à l’occasion du soixantième anniversaire du Pacte atlantique, Sarkozy donne vraiment le coup de grâce à l’œuvre diplomatique du général de Gaulle. Ceux qui, outre Atlantique, n’étaient pas loin de considérer lors de la guerre d’Irak la France comme un « Etat voyou », ont tout lieu d’être satisfaits : elle est rentrée dans le rang.
Les flonflons et les ronchons
Nul doute qu’on tuera le veau gras à Strasbourg pour le fils prodigue, que ce retour plein dans les structures intégrées se fera au milieu de festivités, festivités qui marqueront la joie insolente de ceux qui voulaient la mort de la différence française, mais qui auront aussi une visée pédagogique à l’égard du peuple français. Même si celui-ci demeure, dans ses profondeurs réticent à cette réintégration ( c’est pour cela qu’il n’y aura pas de référendum sur ce sujet), on ne s’attend encore qu’à quelques manifestations symboliques de ronchons qui ne pèseront pas lourd à côté des flonflons.
Et l’Europe ? Certes le président était allé à Bruxelles promettre peu avant son élection qu’il sortirait de l’ornière l’Europe enlisée depuis le refus de la constitution européenne par le peuple français le 29 mai 2005. Il a essayé avec le traité de Lisbonne. Mais le vrai pouvoir n’est pas à Bruxelles, il est à Washington. Même s’il ne rompt pas avec les fondamentaux de la construction européenne et notamment les contraintes étouffantes imposées par l’Allemagne à l’économie française, le président Sarkozy a pu jouer « perso », s’agiter, tirer la couverture à lui, sembler même flirter un moment avec la Russie de Poutine, sans qu’on lui en veuille trop. Politique d’abord : l’essentiel, c’est l’OTA N. Son contrat rempli, Sarkozy aura bien mérité de ses parrains.
Avait-il le choix d’ailleurs ? Certes on n’assassine plus les présidents qui ne respectent pas les contrats comme cela arriva, semble-t-il, à John Kennedy. Mais la mort politique ne passe pas que par la mort physique. Tel qui trahit voit soudain quelque mauvaise affaire éclater et cela suffit.
Il est donc des sujets sur lesquels Sarkozy est sérieux. Tout le reste est littérature. La réforme de l’Etat, celle de la justice, le service minimum, la réforme des lycées, de l’université. Tout cela ne sert qu’à occuper la galerie, et plus qu’il ne voudrait parfois.
Seuls quelques blogueurs grincheux du genre vielle gauche croient encore sérieusement que le président a un plan cohérent pour instaurer un Etat sécuritaire ou introduire en France le libéralisme à l’anglo-saxonne. Si encore… Seuls quelques électeurs UMP aveuglés, trop vieux pour s’avouer qu’ils ont été trompés, se figurent encore qu’on réforme la France. On ne fait que de la com’ car l’essentiel est ailleurs. D’annonces sans lendemain, d’avancées en reculs, de réformes contre-productives en remue-ménage inutile, qu’ils sachent qu’ il ne se fait rien, en tous les cas pas grand-chose, car en définitive ce n’est pas cela qui a de l’importance.
Roland HUREAUX