(Retour à) Brideshead et au Baseball, - France Catholique
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(Retour à) Brideshead et au Baseball,

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Dans son roman Retour à Brideshead, Evelyn Waugh nous place au milieu d’une conversation de petit-déjeuner au manoir de Brideshead entre le Père Phipps, venant d’un monastère anglais pour venir dire la messe du dimanche, et Sebastian Flyte et Charles Ryder, deux des personnages principaux du roman 1

Ryder nous dit que le prêtre a témoigné « un intérêt pour le tournoi régional de cricket qu’il croyait obstinément que nous partagions. » Sebastian, craignant un long discours sur le sujet, dit au Père Phipps : « Vous savez, mon père, Charles et moi-même ne connaissons absolument rien du cricket. » Le prêtre ne se laisse pas décourager.

« Je regrette de ne pas avoir vu Tennyson faire ce tour à cinquante-huit points. Cela a dû être un sacré tour de batte… L’avez-vous vu jouer contre les Sud-Africains ?

Je ne l’ai jamais vu. 

Moi non plus. Cela fait des années que je n’ai pas vu de match de première catégorie, pas depuis que le Père Graves m’y a emmené lorsque nous sommes passés à travers Leeds, après avoir assisté à l’installation de l’Abbé d’Ampleforth… Vous assistez rarement à des matchs de crickets ?

Jamais, » lui dis-je, et il me regarda avec l’expression que je vois depuis chez les religieux, celle de l’étonnement innocent que ceux qui s’exposent aux dangers du monde ne profitent guère de ses consolations variées.

La consolation analogue de ce côté de l’Atlantique est évidemment le baseball.

Tel un moins innocent Père Phipps, je suis étonné de voir ceux qui ne profitent pas des plaisirs licites du baseball dans ce monde dominé par de sombres principautés.

Le baseball partage certains éléments avec le cricket : un batteur fait face à un lanceur pour frapper une petite balle lancée avec ardeur ; les courses sont remportées ou évitées lorsque la balle est arrêtée ; les détails subtiles sont importants et permettent de statuer sur les résultats ; et un champ verdoyant évoquant une création renouvelée constitue le lieu du meilleur des matchs.

Le plus important, c’est qu’aucun de ces deux jeux ne sont chronométrés. Les matchs sont composés de plusieurs séries de tours de batte qui peuvent durer une après-midi, une soirée, une journée entière ou plus.

L’absence de contrainte de temps donne au baseball un rythme agréable, moins précipité qui manque aux autres sports mais qui rend fous ceux qui détestent le baseball. Des écrivains lyriques ont remarqué que cet aspect hors-du-temps du jeu donne un sentiment d’éternité, un sentiment qui ravi les fans de baseball (surtout les nombreux dévots catholiques, mais aussi les traditionalistes de tout genre) tandis qu’il exaspère ses détracteurs modernistes.

Ces pauvres âmes ne voient dans le baseball aucune allusion à l’éternité bénie du Paradiso, mais plutôt une autre sorte d’infinité, présente dans un autre volume de la comédie de Dante.

Le baseball et le cricket se sont tous deux développés dans des cultures majoritairement protestantes qui se sont sécularisées, ont succombé au matérialisme et, ce qui selon moi n’est pas une coïncidence, ont délaissé le sport au rang de divertissement national. Lors de la saison de la première ligue, le baseball a essayé de maintenir sa popularité grâce à un programme intensif de « panem et circenses » composé de forte musique et de publicités plus agressives (auxquelles s’est ajoutée cette année une extension du jeu de l’après-saison) tout en essayant de garder intacte l’essence du jeu pour les puristes. C’est une ligne difficile à tenir et qui rappelle les débats à propos du Rite Romain.

En ce qui me concerne, la meilleure des traditions du baseball reste préservée
dans les ligues de moindre importance. Les stades sont plus petits et à échelle humaine, et le prix des billets est raisonnable (avec 12€ maximum vous avez accès à de nombreuses places au niveau du terrain, derrière le marbre, et pour 4€ vous aurez accès à n’importe quelle place en tribune). À la fois les joueurs et les spectateurs reflètent une diversité authentique en termes de compétences, d’origines et de revenus. Une équipe de ligue de rang inférieur est un lieu de rencontre central pour la communauté d’une petite ou moyenne ville : les divertissements entre les tours de batte sont plus simples et moins bruyants et la scène est adaptée aux familles.

Le baseball d’entraînement pour les premières ligues qui a lieu au printemps en Floride et dans l’Arizona permet de faire le pont entre les tournois de premières et dernières ligues. Durant un mois chaque année, lorsque la nation franchit le cap du printemps, les fans qui fuient des latitudes plus froides et les habitants de la région se retrouvent pour regarder les vétérans et les nouveaux espoirs se préparer pour la saison officielle.

Et en dehors de Disneyland et de Phoenix, il y a des choses à voir entre deux matchs. Cette année, un voyage en Floride m’a permis de visiter la paroisse la plus ancienne des États-Unis et la belle basilique-cathédrale de St Augustin ; le mémorial qui se trouve juste à côté pour la mission Nombre de Dios de 1565 et son sanctuaire de Notre Dame de La Leche ainsi que l’église votive au Prince de la Paix (où je suis tombé sur une Adoration en cours un matin) ; et plusieurs avant-postes catholiques sur la côte Est de la Floride tels que le Saint Nom de Jésus dans la ville d’Idialantic, où un petit mais fidèle groupe se rassemble pour la prière du matin et du soir et où la messe quotidienne est ancrée grâce à une grande population de retraités rejoins par les autres générations.

Cette année, le jour d’ouverture officiel de la saison de la première ligue est le 5 avril [1er avril en 2013], à une semaine de Pâques. Une telle convergence des calendriers temporel et ecclésial est le signe d’une année bien ordonnée, peut-être la plus proche que nous verrons de notre vie, en dehors de la Messe, d’un alignement entre la cité de l’homme et la cité de Dieu. Pas même une élection présidentielle ne peut gâcher cette semaine-là.

Dans une culture mondiale semée d’embûches qui étaient bien trop évidentes dans l’entre-deux-guerres de Brideshead, et dont la progression ultérieure aurait horrifié le Père Phipps de Waugh, le baseball parvient encore à procurer la consolation qu’offrait le cricket communal à l’Angleterre dans une époque antérieure. On se demande, puisqu’il prie pour son « ancienne, mais nouvellement apprise, forme de paroles » près de la lumière du tabernacle à la fin de Retour à Brideshead, si Charles Ryder n’a pas pris goût au cricket.
Les scandales du baseball continueront d’aller et venir, les gros contrats d’étourdir les esprits et les joueurs de connaitre ascensions et déclins. Mais c’est le printemps, soyons reconnaissant d’entendre encore une fois : « Jouez ! »

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Joseph R. Wood est un ancien fonctionnaire de la Maison Blanche qui a travaillé pour la politique étrangère, y compris pour les affaires du Vatican.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/brideshead-and-baseball.html

Photo : L’équipe anglaise, dirigée par le capitaine Lionel Tennyson, au centre.

  1. Note du rédacteur en chef : Il est rare que nous réimprimions des articles que nous considérons comme des classiques de nos archives. Mais celui-ci, écrit par notre très estimé collègue Joseph Wood, atteint un niveau magistral en ce qui concerne le lien, remarqué par de grands penseurs tels que Joseph Pieper et autres, entre le jeu et l’éternité. Nous le ressortons par qu’il est intemporel, mais aussi pour votre édification et votre plaisir.