Réjouissez-vous, je vous le dis, réjouissez-vous! - France Catholique
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Réjouissez-vous, je vous le dis, réjouissez-vous!

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« On ne trouve pas le mot bonheur dans les Evangiles », écrit Dorothy L. Sayers dans The Whimsical Christian/Le chrétien fantasque. « Le mot joie, par contre, est fréquent et aussi le nom et l’image de l’enfer. Le commandement est de se réjouir, non de montrer une satisfaction placide ou une résistance stoïque. »

Si l’on nous commande de nous réjouir, comme on nous commande d’aimer, alors ni la joie ni l’amour ne peut être réduit à un sentiment, puisque les sentiments ne viennent pas à volonté. Ce sont des actes de volonté. Mais comme nos volontés sont fragiles et enclines au péché, nous n’aimons pas toujours qui nous devrions aimer et nous ne nous réjouissons pas non plus quand nous le devrions. Nous n’aimons pas nos ennemis.

La mauvaise habitude que j’ai personnellement a commencé quand j’étais un jeune garçon; je médite une revanche contre mes ennemis. Cela s’est transformé en quelque chose de pire: méditer de pardonner ostensiblement à ces mêmes ennemis. Cela ressemble à la mauvaise habitude de ne voir dans la croix qu’une lourde poutre qui fait plier le dos et fait chanceler les jambes. Comment peut-on se réjouir dans ces conditions ?

Seulement par la grâce, le don gratuit de Dieu. Et ceci nous conduit dans des difficultés linguistiques fécondes. « Le bonheur est un don des dieux païens, dit D. Sayers, tandis que la joie est un devoir de chrétien. » Notre mot anglais happy, comme l’allemand Gluecklich, et le latin fortunatus ou felix, suggère que nous avons eu la chance d’une bonne occurrence ou d’une bonne fortune; bien que maintenant en anglais comme en allemand, le sens de chance ait été presqu’entièrement changé en sentiments.

Jésus utilise un langage plus fort quand Il décrit ce que signifie d’être vraiment béni. Baruch attah, Adonai Elohenu, disent les Juifs dans leur prière: « Bénis sois Tu, ô Seigneur notre Dieu. » Pas simplement heureux, mais béni, saint. Les évangélistes traduisent le mot baruch par le mot grec makarios: « béni ,» mot utilisé correctement pour les dieux seulement et par extension, pour les hommes les plus fortunés, les bienheureux .

Or, c’est une chose d’être béni par les dieux païens, d’avoir une belle maison, des fils et des filles respectables, une femme fidèle, et l’estime de ses pairs. Ce sont les dons ou les sujets de bonne chance ou buona fortuna qui permettent de vivre une vie semblable à celle des dieux, sans souci, dînant de nectar et d’ambroisie sur le mont Olympe. Mais ces dons peuvent aussi être repris d’une manière affreusement soudaine.

La littérature grecque est remplie d’hommes « heureux » dont les maisons sont construites sur un précipice: Achilles, Œdipe, Jason. Dorothy Sayers nous instruit encore: « N’appelez personne heureux avant qu’il ne soit mort, dit un philosophe grec; et le bonheur, qu’il s’applique aux bonnes fortunes d’un homme ou à sa disposition d’esprit, est l’évaluation de quelque chose qui continue dans le temps pendant toute sa carrière. »

Etre béni de Dieu est tout à fait différent, et bien qu’il ait fallu longtemps aux Hébreux pour le comprendre, même l’austère auteur du livre de l’Ecclésiaste n’en viendrait pas au désespoir qui est à la base de la maxime grecque. Etre béni de Dieu n’est pas simplement recevoir une vie aussi heureuse que la sienne, ou qui, d’une manière obscure reflète son bonheur, mais d’être amené à l’intérieur de sa vie même, dans l’amour. Ainsi que l’écrit le psalmiste, c’est « demeurer dans la maison du Seigneur. »

Le don de Dieu est Dieu: « Comme un cerf altéré court aux sources d’eaux vives, mon âme a soif de Vous, mon Dieu. » Il est impossible d’imaginer un homme clamant ces mots dans son grand désir d’obtenir les biens de ce monde accordés par les dieux païens, ou son désir ardent de ces dieux païens eux-mêmes. Aucun poète grec n’a jamais eu soif de Zeus.

Mais quand Jésus dit : « Bénis soient les pauvres en esprit, car le royaume du ciel leur appartient », il signifie qu’ils seront, et d’une certaine manière ils sont déjà, ceux qui ont trouvé les sources d’eaux vives, les âmes qui sont entrées dans la maison de Dieu. Ce sont des rapports d’amour, et l’amour, comme dit Saint Paul, ne faillit jamais.

De là, une harmonie qui n’est pas apparente tout de suite devient évidente, entre la qualité de la joie que nous ressentons, et la réjouissance qui nous est ordonnée. C’est vrai, les sentiments de joie sont beaucoup plus rares et imprévisibles que les sentiments d’amour. Le contentement est une chose, et un mal d’estomac suffit à le troubler. On peut rechercher le contentement d’une manière plus ou moins méthodique : si je travaille dur, je gagnerai assez d’argent pour acheter cette maison, et cela me fera plaisir.

Mais la joie est comme l’Esprit Lui-même. « La joie, dit Dorothy Sayers, à l’exception des saints les plus bénis de la terre, « est, de par sa nature, brève et presque instantanée. » Elle ne peut pas être le résultat d’un plan. Elle n’est pas tant ce que l’homme recherche que ce qui recherche l’homme, et ce que nous fuyons à cause de nos péchés, parce que notre courage est faible, nos cœurs ne fonctionnent pas correctement, et nos têtes sont confuses.

La joie, quand elle arrive, nous saisit. D. Sayers remarque que son instantanéité même nous révèle d’où vient la joie et où elle nous conduit : « C’est une perception de l’éternel moment. Et comme telle, c’est le grand adversaire qui nous envahit et peut fracasser les portes de l’enfer. »

D’où Saint Paul peut dire : « Je suis persuadé que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les pouvoirs, ni les choses présentes, ni les choses de l’avenir, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu, qui est dans le Christ Jésus, notre Seigneur. »

Rien, en effet, ne peut diviser l’indivisible, comme aucun avenir ne peut troubler la sainteté et le bonheur du Dieu éternel. Le sentiment éphémère que le moment de joie nous apporte est une très bonne chose, mais le moment éternel demeure pour toujours.

Alors, aussi, les croix que nous portons nous invitent à partager la vie du Christ, et nous pouvons, avec la grâce, et quels que soient nos sentiments, simplement obéir au commandement de nous réjouir et d’être heureux, d’exulter dans la gloire de l’amour que nous n’avons pas le pouvoir de créer ni de détruire.

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Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Son dernier livre s’appelle Ten Ways to Destroy the Imagination of Your Child/Dix manières de détruire l’imagination de votre enfant. Il enseigne à l’université de Providence.

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Photo : Dorothy L. Sayers.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/rejoice-i-say-rejoice.html