Nous sommes en août, un mois où tout est plus lent, si cela est encore possible aujourd’hui, et les esprit sont à la détente. Voici donc quelques observations paresseuses qui me trottent dans la tête et que je vous soumets en cas d’embouteillages, d’attente à l’aéroport ou de moments de tranquillité en montagne ou à la plage.
Les cités des hommes grandissent : d’après le Financial Times, de Londres, plus de la moitié des 7 milliards d’habitants du monde vivent aujourd’hui dans les villes. D’ici 2030, 5 milliards d’entre-nous vivront en ville. L’entreprise de conseil McKinsey estime que d’ici 2025, les villes du monde devront construire ou reconstruire l’équivalent de 85% de la surface occupée par les habitations ou les bureaux. Cela signifie que les villes vont devoir ajouter à leur surface construite actuellement l’équivalent de la superficie de l’Australie.
L’urbanisation n’est pas un nouveau phénomène, mais l’échelle de cette vague de développement urbain est sans précédent. Cela va avoir pour conséquence une pression significative sur toutes les formes de services, notamment l’eau et l’électricité, la santé et la sécurité, les loisirs et l’approvisionnement en nourriture.
Cela va exercer aussi une pression très forte sur l’Église. D’un côté, l’urbanisation a tendance à être accompagnée de croissance économique, et les périodes récentes d’urbanisation ont aussi été celles d’un déclin planétaire de la pauvreté. Cela pourrait réduire le besoin des services rendus par l’Église aux plus pauvres parmi les pauvres si ces derniers ont la capacité de s’insérer dans le progrès économique.
Cependant, il est plus probable que le nombre absolu de nécessiteux dans les villes augmente, et que l’activité des associations charitables de l’Église soit plus forte que jamais — là où elles auront la permission d’agir.
Le besoin et la possibilité de l’évangélisation vont également exploser. La pression de la vie urbaine, pesant sur une population ayant migré pour des raisons économiques, sera aiguë. Mais la densification de l’espace donnera à l’Église la possibilité d’atteindre plus de gens dans un espace plus restreint.
Dans certaines villes, l’Église pourrait bien faire la différence entre un futur dystopique (une dystopie est une contre-utopie) et un futur sans graves dysfonctionnements. En cas d’explosion urbaine, et avec les dislocations qui s’ensuivraient, des petites communautés de personnes partageant la foi seront plus séduisantes, et essentielles, que jamais.
Et si vous pensiez aux bouchons sur les autoroutes en cette période de vacances, . . . .
Technophilie, technophobie: à l’urbanisation se joint une élévation de la technique. On voit généralement les grandes villes comme des foyers d’innovation, pour le meilleur comme pour le pire.
Depuis les premières utilisations innovantes du bois, du bronze et de l’acier, nous avons toujours eu une relation ambivalente avec la technique que nous créons. « La machine » promet de nous libérer et menace de nous opprimer ou de nous détruire. Le professeur Alan Jacobs, du collège de Wheaton, a remarqué que J.R.R. Tolkien et C.S. Lewis voyaient un lien étroit entre la technique et la magie noire, en raison de leur prétention commune à la maîtrise de l’homme sur la nature. La différence étant que la technique réussissait là où la magie échouait.
L’ère industrielle est à la foi atterrante et formidable, atterrante par ce qu’elle prétend entreprendre au nom du progrès. Et formidable par ce progrès même. L’invention des armes nucléaires au siècle dernier a accru la crainte des techniques à des niveaux sans précédent. La compétition entre une approche prudente et une approche prométhéenne de la technique semble avoir de moins en moins de chances de bien finir. Comme l’urbanisation, le changement technique progresse à un rythme inédit. L’historien de l’université de Harvard, Niall Ferguson a récemment narré sa visite dans la Sillicon Valley, où de frénétiques gourous de l’innovation prédisaient un futur radieux avec encore plus de changements dans les trente cinq prochaines années que pendant les trente cinq dernières. Ferguson, qui occupe plus de son temps professionnel à examiner le passé réel qu’un futur indéterminé, en est sorti plus déprimé que revigoré.
Pour des chrétiens, la question de quelle technique adopter ou non s’est toujours posée. Le Christ a envoyé ses disciples avec le minimum : un bâton de marche et des sandales. L’on peut bien se demander si de nos jours les disciples auraient pris leurs smartphones pour consulter des cartes et s’orienter, ou bien même pour signaler tel ou tel esprit mauvais particulièrement récalcitrant. Il y a bien une technique qui a servi de test pour la conception de la technique par les individus, et cela de bien des façons, jusqu’à servir de symbole pour toute la révolution scientifique et technique qui a suivi les Lumières. Cette technologie est le train. Tout comme l’avion qui est venu plus tard, les trains ont eu pour effet de faciliter le transport de masse et de relier des endroits qui ne l’étaient pas auparavant. Au XIXe siècle, le pape Grégoire XVI interdit les chemins de fer dans les États pontificaux, en les qualifiant de chemin d’enfer. Dans son roman du début du XXe siècle, Lord of the World, qui conserve une actualité remarquable, Robert Hugh Benson recréa la fiction d’une cité du domaine pontifical où seule une technique modeste était permise. Pourtant, en 1929, par le traité du Latran, qui établissait les conditions de la coexistence entre le Saint Siège et l’Italie, le Vatican demanda l’établissement d’un chemin de fer de l’Etat du Vatican pour être raccordé au réseau ferroviaire italien. L’inauguration eut lieu en 1932, mais le premier pape à en faire usage fut Jean XXIII en 1962.
De nos jours, les chemins de fer sont un moyen de transport important en Europe et dans certains régions d’Asie, et même encore sur la côte est des États-Unis. Mais ils évoquent également une époque de moindre vitesse, lorsque les vagabonds voyageaient en trains de marchandises, les soldats dans des wagons de transport de troupes vers leurs casernes ou à la guerre. Les trains vers les camps de concentration allemands évoquent d’autres souvenirs.
Tout cela pour nous rappeler l’aspect ambivalent de la technique.