Dans le ministère public de Jésus, il y a un incident impliquant une pauvre veuve qui met deux piécettes dans le trésor du Temple. Voyant cela, le Seigneur attire l’attention des disciples sur cette offrande. Il leur fait connaître que la pauvre veuve a contribué davantage que quiconque. Jésus base son jugement sur le fait que les autres ont contribué sur leur superflu alors que la pauvre veuve a donné tout ce qu’elle avait pour vivre (cf. Marc 12, 41-44).
Quand ce passage de l’Écriture apparaît dans la liturgie de l’Église, c’est vers la fin de ce que nous appelons le Temps Ordinaire, alors que nous réfléchissons sur les fins dernières : la mort, le jugement, le Ciel, l’Enfer. La sagesse du placement liturgique n’est pas en question. Je voudrais seulement dire que la leçon eschatologique est un bon début pour comprendre la proclamation de l’Évangile.
Nombre d’entre nous se rappellent de notre enfance, de nos années d’école primaire en particulier, quand on nous donnait des « boîtes d’efforts de Carême » comme moyen de respecter la discipline pénitentielle de l’Église avant Pâques. Il est fort dommage que ces boîtes ne soient plus guère utilisées. C’était un excellent moyen d’introduire les enfants à l’ascèse de l’aumône de même qu’à une préoccupation à vie pour les pauvres et les marginaux.
La pauvre veuve et les « boîtes d’efforts de Carême » sont des rappels que la foi religieuse exige un coût personnel. Et le coût financier n’est généralement pas le plus pénible. Bien plus menaçante est la perspective de devoir abandonner certaines tactiques que nous employons mentalement et émotionnellement pour nier ce qui est le plus essentiel à la foi religieuse : la conversion.
Sur ce point, certaines remarques du père Clodovis Boff l’été passé sont éloquentes. Le père Boff comptait parmi les plus connus des avocats de la théologie de la libération en Amérique Latine. Mais il a commencé il y a des années à avoir des doutes à ce propos. Depuis, ses doutes n’ont fait que croître.
Dans une lettre ouverte aux évêques d’Amérique Latine et des Caraïbes, il a critiqué « la même vieille histoire : les problèmes sociaux, les problèmes sociaux et les problèmes sociaux. » Cela dure, a-t-il écrit « depuis plus de cinquante ans ». Le père Boff a regretté que « la bonne nouvelle concernant Dieu, le Christ et son Esprit [n’ait pas été prêchée] ».
Il en a été de même, indiquait-il de « la grâce et du salut, de la conversion du cœur, de la prière, de l’adoration et de la dévotion à Marie Mère de Dieu ». Ces choses ont également été mises de côté.
Il y a toujours la tentation du réductionnisme – pas seulement en Amérique Latine mais partout ou l’Évangile est proclamé. Pourquoi ? Parce qu’avec l’Évangile, nous sommes toujours confrontés au mystère. Dans la foi, le mystère est ce que nous contemplons. « Manipuler » le mystère ne fait que domestiquer l’Évangile. En manipulant plutôt qu’en contemplant, nous pensons à tort que la foi sert à résoudre les problèmes. Contempler l’Évangile, c’est se confier à Dieu , ne pas se soucier du prix mais faire de nous-mêmes une offrande pour le Royaume.
La beauté de la sainteté est que les saints viennent de tous les coins de la terre et émergent de toutes les époques de l’histoire. De ce fait les circonstances sont extrêmement variées. Ce qui est constant, cependant, c’est le désir personnel de servir le Seigneur dans le Royaume qu’Il a inauguré mais qui n’est pas encore pleinement réalisé. Le Royaume est manifesté uniquement quand Dieu, le Christ et l’Esprit Saint sont prêchés, et quand la grâce, le salut, la conversion, la prière, l’adoration et la piété mariale sont prêchés également. C’est ce que le père Boff a compris de l’Évangile, c’est également ce que comprend l’Église.
La gauche religieuse, nous avons à le dire, est, comme la gauche politique, toujours à rechercher le progrès et à chercher à le calibrer vis-à-vis des choses qui nous environnent. L’Église n’a pas été établie par le Christ pour diminuer le taux de chômage ou augmenter le nombre des accédants à la propriété – aussi louables que soient ces évolutions pour toutes les nations du monde. L’Église a cherché, en tout lieu et en tout temps, à s’occuper des pauvres, des spoliés, des opprimés.
Jésus a fait de même durant son ministère. De fait, la scène du jugement que nous trouvons en Saint Matthieu (25:31-46) devrait être effacée de l’Évangile pour que nous puissions croire que nous pouvons toujours être comptés parmi les brebis si nous nous désintéressons des œuvres de miséricorde. Néanmoins, la foi au Christ n’est absolument pas du même ordre que des positions professées sur la propriété, le salaire minimum et une foule d’autres sujets économiques et politiques.
La meilleure manière d’assister les pauvres et les marginalisés est toujours affaire de jugement prudentiel. Et nous avons assurément besoin d’aide pour parvenir à nos jugements prudentiels. Il est bon, alors, de considérer les conseils qui nous viennent du Dicastère de la Doctrine de la Foi, alors connu comme la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dans un document du 6 août 1984 sur « certains aspects de la théologie de la libération ».
Nous y sommes avertis « d’être en garde contre la politisation de l’existence qui, méconnaissant la signification du Royaume de Dieu et de la transcendance de la personne commence à sacraliser la politique et à trahir la religion du peuple ».
Quand Jésus déclarait aux disciples que la pauvre veuve ayant donné quelques centimes au trésor du Temple avait donné plus que les riches ayant donné de fortes sommes, il ne réinventait pas les mathématiques. Par contre il essayait d’enseigner quelque chose à propos du Royaume. Quand nous jugeons selon les critères du Royaume, les disparités ne sont pas ipso facto nocives. Car c’est en imitant le don de la pauvre veuve – tout ce qu’elle avait – que nous devenons vraiment riches dans les vues de Dieu.
Accepter l’Évangile est ce qui nous rend juste devant Dieu. La justice se trouve tant chez les riches que chez les pauvres. Elle a tout à voir avec Dieu, la grâce, le salut, la conversion, la prière, l’adoration et la piété mariale – et rien avec les vieux problèmes ressassés. C’est là que se trouve la nouveauté du Royaume.
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Mgr Robert Batule, traduit par Bernadette Cosyn
Source : https://www.thecatholicthing.org/2025/09/21/what-is-the-proclamation-of-the-gospel/
