Quelle est la finalité de la loi ? - France Catholique
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Quelle est la finalité de la loi ?

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Considérons deux villes de même taille. L’une s’appelle Coventry, l’autre Chester. Il n’y a pas eu de meurtre à Coventry cette année. A Chester non plus. Il n’y a pas eu de cambriolage à Coventry cette année, non plus qu’à Chester. Pas de crimes commis à Coventry cette année. Aucun non plus à Chester.

Il y a eu des ivresses, quelques incidents dans les deux villes. A Coventry, quelques adolescents ont lancé une pierre dans la vitrine d’un drugstore, apparemment suite à un défi. A Chester, quelques adolescents s’étaient rassemblés pour préparer de l’alcool de grain.

Sans aller plus loin, nous pourrions donc dire que Coventry est un lieu de vie sür, et Chester également. Le taux de criminalité est de même niveau, et il est négligeable. La loi et l’ordre règnent dans les deux villes. Mais est-ce bien vrai ?

Ce que je suis en train d’essayer de prouver, c’est l’utilité limitée des évaluations chiffrées dans les affaires humaines. J’ai seulement évoqué le nombre de crimes et délits commis à Coventry et à Chester, je n’ai rien dit de la qualité de vie dans ces villes et par conséquent je n’ai rien dit du but réel des lois sur la criminalité.

A Coventry, personne ne connaît ses voisins. Tout le monde passe 10 heures par jour devant un écran. Les commerces sont bardés de caméras et de détecteurs. Les carrefours sont équipés de dispositifs pour rançonner les gens qui ne marquent pas un arrêt complet au stop. Coventry a des forces de police d’environ un policier pour 500 citoyens et elles patrouillent nuit et jour dans des voitures aux vitres teintées.

Les écoles de Coventry ont des gardes armés et les casiers des étudiants sont exposés à des fouilles aléatoires. Chaque paiement fait par un habitant à un autre, pour service rendu, doit être enregistré, soumis à une flopée de taxes à tous les niveaux du gouvernement.

Les habitants de Coventry se moquent de la vertu. Ils ne se donnent pas la peine de se marier. Les commerces sont pleins de publications pornographiques, les épiceries et les cabinets médicaux regorgent de ce qu’on eut autrefois appelé pornographie mais qui ne déclenche plus qu’un haussement d’épaule. Les habitants ne produisent ni art ni musique digne de ce nom, ils ne jouent pas non plus de la grande musique que d’autres ont composée. Il n’y a pas de fanfare, pas de défilés, car on n’y célèbre ni fête religieuse ni fête civique. Il n’y a pas d’équipe locale de baseball, pas d’intérêt de la commune pour les divers sports prônés par les différentes écoles. Pour faire court, il n’y a aucune vie communautaire.

A Chester, tout le monde connaît ses voisins et les familles de ses voisins depuis au moins trois générations. Chacun passe la plus grande partie de son temps en compagnie des autres, la plupart du temps à l’extérieur, dans les fermes, les rues, les magasins, les mines de fer, au canal. Le seul dispositif de sécurité qu’ont les magasins, c’est un verrou, mais la plupart du temps, les commerçants n’en font même pas usage. Les gens n’ont pas besoin de verrouiller leurs portes. Un enfant qui est toujours dehors à neuf heures un soir d’été ne nécessite pas un appel à la police, premièrement parce qu’il va bientôt rentrer, et deuxièmement parce qu’il n’y a pas de policiers.

Il n’y a pas de personnel armé dans l’école qui, et ce n’est pas une coïncidence, est justement au cœur de la ville. Les gens paient leurs achats en espèces, ne demandent pas de reçus parce qu’ils en ont rarement l’utilité.
Il n’y a pas de compositeurs natifs de Chester, mais il y a un orchestre municipal qui peut jouer du John Philip Souza, un chœur féminin, une société féminine de bienfaisance, une société Chautauqua pour l’éducation publique (c’est-à-dire l’éducation des gens ordinaires) un lycée philosophique, peuplé de jeunes gens argumentant et les Chester Browns, une équipe de baseball qui affronte les Roxbury Reds, les Bethléem Batsmen et les Belvidere Braves.

La vie n’est pas parfaite à Chester, tant s’en faut. Certains hommes boivent trop et échangent des coups dans la rue. Une femme a dû être avertie des dangers des boissons fortes par son mari et pasteur. Il y a une société de tempérance qui se réunit tous les quinze jours, réclamant des lois contre la consommation d’alcool et recrutant des hommes et des femmes qui s’engagent à l’abstinence, pour le bien de leur famille et de leur ville.

On parle aussi beaucoup du péché à Chester — les églises pleines pendant des heures le dimanche en témoignent, ainsi que la grand estime dans laquelle sont tenus les prédicateurs énergiques et irréprochables. Quand le révérend Horton, de l’église congrégationniste, est décédé l’an passé, il a eu droit à une procession digne d’un héros militaire, et les membres du Cincinnati Club se sont rendus au cimetière en grand uniforme pour tirer une salve en son honneur.

Il n’y a pas d’aires de jeux à Chester mais il y a des enfants. La ville en regorge. Après l’école et les travaux domestiques, ils sont partout, en toute saison. Ils jouent à rounders (NDT : jeu proche du baseball) dans les rues, font des glissades sur les collines enneigées en hiver, cueillent les champignons, grimpent aux arbres, pêchent, construisent des cabanes dans les arbres, collectionnent les nids d’oiseaux, attrapent les papillons, font les polissons, se disputent, tombent amoureux — et une fois ou l’autre méritent parfois le martinet.

Il y a plein d’aires de jeux à Coventry mais elles sont généralement vides. On ne peut pas évaluer convenablement Coventry (où je vis) et Chester (où vivaient les grands-parents de mon épouse) sans considérer tout l’ensemble, et cela signifie que l’on ne peut pas juger de la sagesse et de l’efficacité de leurs lois en ne se basant que sur les chiffres.

Parce que la finalité de la loi n’est pas identique à celle d’une machine. Les lois sur la criminalité, par exemple, n’existent pas uniquement pour dissuader les gens de commettre des crimes et punir ceux qui en commettent. Elles existent aussi comme enseignement. Elle prennent place parmi les autres lois et coutumes d’une population avec comme finalité d’assurer une bonne vie, d’aider les gens à être bons.

Chester est un meilleur lieu de vie parce que ses lois et coutumes sont meilleures : elle a une meilleure population. Et ça, aucun chiffre ne peut l’illustrer.

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http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/what-is-the-purpose-of-law.html

Tableau : Bennington — peint par Grandma Moses (1945) — ressemble à Chester…