Quand les sports remplacent l’éducation catholique - France Catholique
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La chasteté : apprendre à aimer
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Quand les sports remplacent l’éducation catholique

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Quand j’ai commencé à écrire ceci, l’équipe de football de Notre-Dame avait une telle cote dans le pays que beaucoup de gens pensaient qu’elle jouerait la coupe finale dans les championnats internationaux. Un certain type de catholiques le prenait un peu de haut à cette époque, portant même parfois à la messe l’équipement de l’équipe de foot « Fighting Irish ». Maintenant, ces mêmes personnes ont plutôt une face de carême car l’équipe de Notre Dame a perdu et est sortie du circuit des championnats pour la saison.

Dans les rares occasions où Notre-Dame perd, ceux d’entre nous qui sommes liés à d’autres écoles catholiques aimons taquiner les « Domers » 1 pour masquer notre envie, bien sûr. Car nous sommes tous jaloux des succès sportifs de Notre Dame. Notre envie inconsciente révèle simplement ce que tout le monde sait déjà d’une façon ou d’une autre, mais à quoi personne ne réfléchit : Les écoles catholiques aux Etats Unis, aussi bien au niveau universitaire qu’au niveau lycée, sont devenus profondément attachés aux programmes sportifs et en dépendent beaucoup.

Bien sûr, comme tous les autres jeunes, les étudiants catholiques ont toujours aimé les jeux de ballon. Mais même le coup d’œil le plus superficiel sur l’histoire de l’éducation chrétienne révèle que ce qui distingue le plus clairement les institutions scolaires catholiques d’aujourd’hui de leurs antécédents historiques est la position proéminente qu’y occupent maintenant les équipes sportives. J’ai fini par appeler ce phénomène la montée des « Académies Sportives Américaines Catholiques » (ACSAs) .

J’écris de la côte pacifique Nord-Ouest où l’ACSA la plus visible est l’université Gonzague. Cette école qui vient d’annoncer ses plans pour réaliser un nouveau « Centre pour le perfectionnement athlétique » est beaucoup plus connue pour ses équipes de Basket que pour son département de philosophie dans lequel j’enseigne.

Au Nord-Ouest, cependant, les ACSAs sont plus courantes au niveau Lycée. La saison de football qui vient de s’achever leur a été particulièrement favorable : Le seul lycée catholique diocésain d’Idaho a gagné le championnat dans sa division ; en Oregon, un lycée catholique a gagné le championnat des plus grands lycées ; et dans l’Etat de Washington, les deux premières divisions sont revenues à des établissements catholiques. Certains de ces ACSAs du Nord-Ouest ont fait des sondages de marketing pour demander aux parents/supporters pourquoi ils envoyaient leurs enfants dans un établissement catholique. Parmi les premiers postes de la liste, il y a toujours « les programmes d’activités », et en queue de liste, il y a toujours « la formation chrétienne ».

Bien sûr, tous les philosophes savent qu’un être humain révèle beaucoup plus de lui-même en exprimant sa colère, qu’en répondant à une enquête de marketing. Un incident triste –bien que comique- suffira à illustrer ce point. Dans une ACSA du Nord-Ouest, le principal et le directeur de l’athlétisme, ont découvert récemment qu’il s’était produit dans le recrutement des sportifs dans leur Lycée d’importantes violations. Dans un esprit catholique de confession, (pour ne pas parler des règles de la ligue) ils ont dénoncé les infractions aux représentants de la Conférence. Le Lycée a été puni : déchéance de jeux et de trophées.

Mais alors s’aggloméra une foule hargneuse de supporters athlétiques réclamant l’exclusion des dénonciateurs pour avoir adopté un vêtement de repentir. Lâchement, les administrateurs de l’archevêché ont couru dans leurs bureaux d’où il leur a semblé que le seul moyen d’en sortir en sécurité était de sanctionner les dénonciateurs de façon plus modérée et de commander une enquête indépendante sur toute l’affaire. Mais hélas, l’enquête indépendante justifia complètement les dénonciateurs, et de façon douloureusement précise. Les représentants de l’archevêché n’eurent plus qu’à annoncer les mauvaises nouvelles avec délicatesse et de manière indirecte, aux hargneux mécontents.

Dans ses Confessions, Saint Augustin admet que, dans son enfance, il trichait aux jeux de ballon, et se fâchait s’il était découvert ; Les parents de l’ACSA de Seattle font de même comme adultes.

Il n’y a rien de vraiment analogue à l’ACSA moderne dans toute l’histoire de l’enseignement catholique. Pour trouver un vrai équivalent, il faudrait se tourner vers l’ancienne « gymnastique » de Grèce ou de Rome – vers les jeux homériques ou olympiques en l’honneur des divinités païennes. Avec la venue du christianisme, toutefois, l’athlétisme gréco-romain s’est changé en ascétisme. Les deux ne sont pas complètement dissemblables, mais le premier avait pour but la beauté du corps, ses proportions, ses muscles et sa valeur militaire. Le second s’attachait seulement à l’amélioration de l’âme – quitte à endommager le corps, si nécessaire.

Le retour frappant de la culture physique dans les institutions éducatives américaines, et particulièrement les institutions catholiques, ne devrait pas être accepté sans réflexion, car même les grecs les plus attentifs savaient qu’une éducation basée sur la seule culture physique produirait des âmes aussi rabougries que celles des spartiates.

Platon suggère que la gymnastique pourrait être utile dans le cadre d’une espèce de projet d’éducation « attrape et vire ». Il suggérait qu’on introduise la gymnastique tôt dans le curriculum, et qu’on l’utilise pour que l’esprit naissant de l’âme se développe en amour de la victoire, de l’honneur et du courage. La partie « virage » venait ensuite : il fallait élever l’esprit de l’âme de manière à le détacher de la gymnastique et à l’amener à l’amour de la vérité, de la sagesse, et aux plus hautes vertus. Un tel retournement de l’âme, dans la vision de Platon, devait être initié par l’éducation musicale, puis, plus tard, par les mathématiques et par une éducation généralement libérale. Le tout culminait évidemment, dans la philosophie, l’amour de la sagesse.

Les ACSAs semblent avoir maîtrisé la partie « attrape » du projet éducatif de Platon. Nous utilisons la gymnastique pour instiller dans l’âme de nos étudiants le désir de se réaliser ; Au mieux, nous y instillons aussi la camaraderie et l’esprit d’équipe, et même le courage, qui, s’il n’est pas la vertu la plus sublime, est quand même parmi les plus fondamentales. Ce que nous ne faisons pas bien c’est La partie  «  vire ». Dans le contexte catholique, cela voudrait dire embrasser le projet éducatif de Saint Augustin selon lequel le curriculum de Platon serait utilisé comme un tremplin vers l’amour de Dieu.

Nos ACSAs n’ont probablement plus les ressources nécessaires pour une telle tâche, mais comme le faisait remarquer saint Augustin lui-même, on ne sait jamais ce que Dieu a dans la tête.

12 décembre 2015

Illustration : Des athlètes féminines représentées dans des mosaïques du 4ème siècle après Jésus-Christ (Villa Romana del Casale, Sicile)

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/12/12/when-sports-displace-catholic-education/