Prier pour la France - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Prier pour la France

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Hier, téléphonage avec Mohamed-Marcel Grim, écrivain kabyle exilé. Une voix touchée par une fatigue extrême me répond. Le vieil ami semble avoir atteint la limite du découragement. Je tente de le tirer comme du fonds d’un puits : je suis touché au cœur. Il me raconte ses ennuis de santé, qui datent de longtemps, mais cette fois ils sont allés fort loin, au point que les pompiers ont dû intervenir pour l’emmener à l’hôpital : « Notre Seigneur n’a pas encore voulu de moi »… Vers la fin de notre conversation, sa voix prend un peu d’envol : sa colère contre les autorités algériennes l’enflamme toujours. Il n’est par instant que souffrance pour son pays.

Ce matin, depuis mon réveil la pensée de la France telle qu’elle s’effondre me hante : effondrement spirituel accompagné d’un effondrement culturel ! Le sentiment d’impuissance est tel que je finis par penser – réflexions récurrentes – que mes tentatives personnelles sont encore moins que coups d’épée dans l’eau, ce qui n’est déjà pas grand-chose. D’une certaine façon je rejoins dans l’inquiétude l’ami Grim, pas insensible d’ailleurs au sort actuel de notre pays.

Prière avec Natacha. Lecture de l’Épître à Thimothée (II, 1-8) de saint Paul. Il use d’un mot qu’il n’emploie pas souvent, ce me semble : « J’insiste avant tout… ». Et sur quoi insiste-t-il ? Sur la prière. Mais sur quel type de prière ? « …des prières de demande, d’intercession et d’action de grâce pour tous les hommes ! » Cette intention, pas trop précise, ne nous dérange pas : tous ceux que nous aimons en font partie et nous oublions du même coup tous ceux que nous n’aimons pas… ou pire, que nous détestons, haïssons, rejetons… Tous ceux qui agissent à l’encontre de ce que nous pensons, de ce que nous espérons. Tous ceux, par exemple, qui promulguent des lois contraires à notre foi, à notre espérance ! On ne surprend jamais saint Paul : et c’est pourquoi il ajoute : « pour les chefs d’État et tous ceux qui ont des responsabilités ! »

Nous avons tant manifesté ces derniers mois, tant crié de slogans, tant interpelé notre président – qui certes l’est, pour nombre d’entre nous, contre notre vouloir – nos ministres grands orientalistes, les députés de l’autre bord, qu’il nous est peut-être arrivé de souhaiter à leur intention pis que pendre : mais saint Paul n’évoque point les seuls chefs d’État qui plaisent aux disciples du Christ, il songe à tous les chefs d’État comme à tous ceux qui exercent telle ou telle fonction, telle ou telle mission de responsabilité. Tous, sans en omettre un seul, amis ou non !

Cette injonction de l’« apôtre des Gentils » autorise un examen de conscience très ciblé : ai-je prié en pensant à celui que certains avaient et ont encore l’habitude fâcheuse de surnommer « porcinnet » ? Ai-je prié pour l’auteur de consignes policières des plus abusives ? Pour celle qui a voulu d’une volonté hystérique imposer la dégradation du mariage civil ? Ai-je prié en confiant à la Vierge Marie ces centuries de politiciens qui ont voté, la main sur le cœur et, parfois, l’invective à la bouche, des lois qui nous offensent dans nos convictions les plus intimes ? Et s’il m’est arrivé de formuler en leur faveur à tous quelque prière, est-ce que ce fut sans réticences aucunes, sans conserver intérieurement quelque méchant souhait ? J’espère qu’il n’en fut pas ainsi et que mes prières d’alors furent sans accompagnement secret d’une quelconque volonté contraire. En effet, il convient que cette prière à de telles intentions soit pure, juste, consciente et… aimante !

Nous n’avons rien à oublier de ce qu’ils ont pu faire que nous considérons comme mauvais, même si le jugement ne nous revient pas : il nous faut penser à ce « mal » seulement pour que vienne sur leur auteurs la grâce de Dieu et qu’ils puissent ainsi faire retour sur ce qu’ils ont défait, détruit, dissout ! Ou bien qu’ils soient simplement relevés des fonctions dont ils se sont révélés incapables d’assumer dans la vérité…

Saint Paul ajoute justement : « …afin que nous puissions mener notre vie dans le calme et la sécurité, en homme religieux et sérieux. Voilà une vraie prière, que Dieu, notre Sauveur, peut accepter, car Il veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité ».

Ici se détache une réflexion sous-jacente : Dieu, dans sa liberté, « peut accepter » cette prière parce que cette prière a été formulée. Si elle n’avait pas été dite, de tout notre cœur, comment « pourrait-Il » en tenir compte ? Si, par exemple, nous ne prions pas, chaque jour, afin que la France, notre patrie, redevienne ce qu’elle fut un temps, « une lumière pour le monde » comme a pu le dire Marthe Robin, comment pourrions-nous nous plaindre de ce que sa conversion soit toujours « à venir » et non « accomplie » ?

Nous avons donc sans cesse le devoir de transmettre notre prière au « seul Médiateur » qui soit entre le Père et nous, le Verbe incarné en Jésus, le Christ. Saint Paul précise : « …entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous les hommes ». Mais je ne puis oublier que c’est la Personne du Verbe qui est en Jésus, car il ne saurait être question d’une dualité de personnes en Celui qui est « descendu » d’auprès du Père afin de devenir l’un des nôtres, ce Jésus qui fut crucifié.

Je m’interroge toujours sur le sens à donner à ce mot de rançon : l’offrande qu’Il fait de Lui-même à son Père-notre Père est d’une gratuité absolue. Une rançon évoque un troc, un marchandage : le prix exigé pour obtenir le rachat ou, mieux, la délivrance d’un captif. Des bandits ont, l’an passé, « rançonné » des voyageurs dans un train : le prix à payer en somme pour que leur voyage se poursuive !

La vie de Jésus, à elle seule, a donc été considérée comme une « rançon suffisante » pour sortir la multitude des hommes de leur condition de perte : du premier qui fut jusqu’au dernier qui sera.

Notre salut général et personnel contre le sacrifice d’un seul ? Quand Jésus traverse, en connaissance de cause et avec une détermination absolue, la suite d’épouvantes dont sera constituée sa Passion et dont il a perçu à Gethsémani l’énormité, la totale horreur, il remporte une victoire décisive contre Satan, c’est-à-dire celui qui nous veut tenir en esclavage et ainsi nous empêcher à jamais de retrouver le chemin d’échappatoire, le chemin des retrouvailles ouvert dans le cœur de Dieu aux malheureux prodigues que nous sommes tous (évangile d’hier). N’oublions jamais : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie » !

Traverser le Mal par excellence, celui que commet le Tentateur en cherchant à nous rendre comme lui – ce révolté entré dans les ténèbres de la haine, invinciblement attiré par le seul savoir-pouvoir1, oublieux du fait que seul l’Amour est tout puissant !

Existe-il ici un « échange » qui justifierait la réalité d’une « rançon » due au Père ? Je ne le crois pas tout en réfléchissant qu’il y a certainement des significations que j’ignore. Mais le Père blessé ne conditionne pas son pardon à ce que nous disons être une rançon… à moins de compléter notre pensée en reliant l’amour filial dont témoigne Jésus en tant que Christ du Père à l’amour absolu dont témoigne le Père : cela en nous envoyant son Unique, ce Fils bien aimé avec lequel l’entente est sans faille et « en qui sont toutes ses complaisances » : Il envoie ce Fils intégrer notre nature créée à sa nature divine infiniment parfaite, seule solution à une difficulté ontologique face à quoi nous sommes quant à nous totalement impuissants. (Je songe ici aux « vignerons » qui tuent le Fils pour s’emparer de la Vigne, sans penser que le Père pourrait faire intervenir contre eux la puissance d’une armée…)

Mais qu’est donc devenue cette nature nôtre après le choc frontal de notre refus d’origine ? En quel « état » se trouve-t-elle ? Les pauvres êtres que nous sommes aujourd’hui, embourbés dans un orgueil insolent et stupide, sont depuis toujours incapables dans leur finitude de se débarrasser du poids oppressant de ce désir sans cesse renouvelé d’« être comme Dieu ».

Comment pourrions-nous, même animés du plus ardent des refus de ce péché qui nous relègue au fond de la niche luciférienne, de nous relier par nous-mêmes à l’Amour en sa toute puissance ? C’est là l’œuvre de Celui dont la Croix rayonne de sa lumière jusqu’au tréfonds de nos cœurs et de nos âmes.

S’il faut dire « rançon », alors éliminons ses références fiduciaires et ne pensons qu’à l’offrande faite selon les lois seules de l’Amour : « qui donne sa vie pour ceux qu’il aime… ».

Dominique Daguet

  1. Savoir-pouvoir opposé au savoir-amour.