Pourquoi à La Havane ? - France Catholique
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Pourquoi à La Havane ?

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La rencontre entre le pape François et le patriarche Cyrille vendredi dernier à La Havane a été un tournant dans les relations entre les chrétientés occidentale et orientale.

Ce fut aussi le point culminant d’efforts déployés depuis des décennies pour que l’Europe puisse « respirer avec ses deux poumons », selon les termes de saint Jean-Paul II 1. Et à plusieurs égards, cette rencontre doit beaucoup aux qualités particulières du pape François, en bien comme en mal.

Dans son rôle public, le pape François recueille beaucoup d’éloges et de critiques (ici, comme ailleurs) de la part de ceux qui pensent qu’il n’est pas clair et qu’il met en danger des doctrines catholiques cruciales. Si ces deux accusations sont (parfois) fondées, la réalité est plus complexe. Certes, il a l’art de rassembler, mais pas toujours avec la clarté ou la prudence nécessaires. Pourtant, en l’occurrence, il a pour l’essentiel très bien réussi. A un seul impair grave près, dont il sera question plus bas.

La rencontre aurait été plus difficile à arranger si le pape avait été originaire d’un pays d’Europe occidentale. Jean-Paul II, un Polonais, connaissait bien le monde slave. Benoît XVI comprenait parfaitement les différences théologiques entre l’Est et l’Occident. Tous deux ont fait des gestes d’ouverture en direction des orthodoxes. Mais un pape d’Amérique latine a en grande partie oblitéré l’opposition Est/Ouest.

La déclaration commune qui a été signée à Cuba mérite d’être lue. Elle commence par déplorer les divisions presque millénaires au sein d’une Eglise dont le Christ Lui-même avait voulu qu’elle soit une, comme Lui et le Père sont un. Elle poursuit sur un ton fraternel – souvent absent des relations entre les différentes factions du catholicisme comme de l’orthodoxie – dans l’espoir de parvenir à des rapports plus étroits et à une action commune. C’est un réel progrès sur le plan religieux, mais c’est aussi une réaction aux défis qui se posent à tous les chrétiens aujourd’hui. « La civilisation humaine est entrée dans un moment de changement d’époque. Notre conscience chrétienne et notre responsabilité pastorale ne nous permettent pas de rester inactifs face aux défis exigeant une réponse commune ».

En premier dans le texte (vu leur urgence) viennent la persécution, le martyre et le génocide massif des chrétiens au Moyen-Orient, en Afrique etc. Beaucoup estiment que ces sujets ont été la principale raison de la rencontre.

La déclaration aborde ensuite en termes diplomatiques les conflits en Ukraine et en Syrie où la Russie et l’Occident sont à couteaux tirés, en exhortant toutes les parties à agir pour la paix – ce qui peut être interprété différemment par les divers acteurs. Mais elle parle franchement de l’avortement, de l’euthanasie, des menaces qui pèsent sur la famille traditionnelle, de l’environnement, de la pauvreté, des réfugiés, de la nécessité pour l’Europe de revenir à ses racines chrétiennes. Et aussi des atteintes aux libertés religieuses, « lorsque certaines forces politiques, guidées par l’idéologie d’un sécularisme si souvent agressif, s’efforcent des les pousser aux marges de la vie publique. »

C’est la vérité même, et c’est pourquoi il est déroutant que ce document ait été signé à La Havane. J’ai été à Cuba et la définition de ce pays dans le texte suivant me déroute :

« Notre rencontre fraternelle a eu lieu à Cuba, à la croisée des chemins entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest. De cette île, symbole des espoirs du « Nouveau Monde » et des événements dramatiques de l’histoire du XXe siècle, nous adressons la parole à tous les peuples d’Amérique latine et des autres continents. Nous nous réjouissons de ce que la foi chrétienne se développe ici de façon dynamique… »

Cuba, à la croisée des chemins ? « Symbole des espoirs ? Croissance « dynamique » de la foi chrétienne ? Franchement, ce sont des mensonges, et scandaleux en plus.

Nous apprenons qu’une grande église orthodoxe russe va être construite à Cuba, alors que peu d’orthodoxes y habitent. C’est de la même veine que les « villages Potemkine ». Pendant un demi-siècle, Cuba a refusé des permis de construire aux catholiques, aux baptistes, aux évangéliques et à d’autres. Cuba persiste dans le communisme, l’une de ces « idéologies d’un « sécularisme agressif » que le pape et le patriarche déplorent.

Outre la répression politique, des mouvements de protestation religieux comme les « Dames en blanc » sont régulièrement emprisonnés. Oswaldo Payá Sardiñas, le fondateur catholique du Mouvement chrétien de libération, a été tué dans « un accident de voiture » il y a juste quatre ans. Son cas n’est pas isolé.

Le pape François qui sait sûrement tout cela en a pourtant rajouté dans son éloge de Cuba, en disant publiquement à Raul Castro vendredi que « si elle persévère dans cette voie, Cuba sera la capitale de l’unité ». Pauvres imbéciles que nous sommes ! Nous pensions que c’était Rome.

Il est regrettable d’avoir à soulever ces sordides questions politiques dans ce contexte par ailleurs religieux et d’importance historique. Mais comme Orwell l’a dit un jour : « A notre époque, il est impossible de s’abstraire de la politique. Toutes les questions sont politiques, et la politique elle-même n’est qu’un amas de mensonges, de dérobades, de folies, de haine et de schizophrénie ».

Pour agir contre la persécution religieuse, nous avons besoin de la vérité, de toute la vérité. La déclaration commune constate le renouveau de la foi chrétienne en Russie. Mais à Cuba, l’allié de longue date de la Russie, il n’en va pas du tout de même. Pourquoi vanter un dinosaure de la guerre froide et un pourfendeur de la religion dans cette déclaration commune et à l’occasion de cet événement ? M. Poutine le souhaitait peut-être. Mais pourquoi le pape François a-t-il fait chorus, au mépris des faits ?

Parlant de faits, puisque nous avons à présent entamé le dialogue avec les orthodoxes et que le christianisme est une religion historique, un peu d’histoire s’impose. La presse a couvert l’événement en soulignant que c’était le premier contact entre les Eglises d’Orient et d’Occident depuis un millénaire. Comme la plupart des débats sur le christianisme, cette affirmation brouille la vérité.

Le grand schisme s’est produit en 1054, bien sûr, mais l’Occident a continué à défendre l’Orient, notamment pendant les croisades, contre les invasions musulmanes. Au milieu du XVe siècle (en 1439, au Concile de Florence), Moscou a réclamé un Siège métropolitain, en partie parce que Constantinople, menacée par les Ottomans, recherchait l’union avec Rome. Constantinople tomba en 1453, en dépit de l’aide des Vénitiens. Après quoi, Moscou commença à proclamer qu’elle était la « troisième Rome ».

Le patriarcat moscovite date de 1558, l’année où Elizabeth I devint reine d’Angleterre. Les Russes représentent 40% des orthodoxes du monde entier, mais le patriarche de Moscou n’est pas un pape. Celui qu’on pourrait qualifier de pape orthodoxe est le patriarche œcuménique de Constantinople (l’Istanbul actuel), mais il n’a que peu d’ouailles. L’orthodoxie embrasse de nombreuses juridictions rivales et parfois conflictuelles.

La réunion avec l’Eglise orthodoxe russe n’est qu’une perspective éloignée, mais cette déclaration est un bon point de départ. Les relations avec d’autres juridictions sont probablement encore plus éloignées. Mais prions pour qu’un beau jour le potentiel positif de cette semaine devienne une réalité.

Lundi 15 février 2016

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/02/15/our-man-in-havana/

Photographie : Un baiser de paix historique.

Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président du Faith&Reason Institute de Washington.


Note de l’éditeur de The Catholic Thing : l’Amérique et l’Eglise ont perdu un grand homme ce week-end. Le juge de la Cour suprême Antonin Scalia est mort dans son sommeil samedi à Texas. Scalia était un ami de plusieurs auteurs der ce site et son fils, le père Paul Scalia, apparaît dans ces pages de temps à autre. Nous adressons nos sincères condoléances à lui et à toute la famille Scalia dans l’espoir qu’ils trouveront la paix en sachant qu’il est maintenant dans les mains de la Divine Miséricorde, à laquelle il croyait si fermement. Requiem aeternam dona ei Domine. – RR

  1. Dans l’encyclique Ut Unum Sint (par.54), le pape dit : l’Eglise doit respirer avec ses deux poumons.