POUR UNE NOUVELLE THEOLOGIE CATHOLIQUE DU SIONISME - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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POUR UNE NOUVELLE THEOLOGIE CATHOLIQUE DU SIONISME

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Les remarques que m’a values ma précédente chronique intitulée : « Y a-t-il une théologie chrétienne de l’Etat d’Israël ? » entraînent de ma part quelques clarifications. Deux objections me furent adressées, l’une à l’encontre d’une approche du problème de l’Etat d’Israël par la théologie, en l’occurrence celle des relations avec le judaïsme, l’autre sur l’application d’une catégorie religieuse à une réalité temporelle, l’Etat. Elles ont été soulevées parce que je n’avais pas formulé, explicitement et au préalable, la distinction fondamentale du temporel et du spirituel. L’approche théologique, me disait-on d’une part, conduit à une impasse : ce n’est pas à partir des relations entre christianisme et judaïsme que l’on peut aborder avec succès la question de l’Etat d’Israël, mais à partir des seules réalités politiques. Inversement, c’était sous-entendu, la question de l’Etat complique le rapprochement interreligieux. D’autre part, l’idée même d’une réflexion religieuse sur une réalité aussi triviale qu’un Etat apparaissait folle : imagine-t-on une théologie chrétienne de l’Etat français ? me rétorquait-on. Cette ironie est doublement fausse : premièrement parce qu’une telle théologie a bel et bien existé dans l’histoire : « France, fille aînée de l’Eglise » etc… Deuxièmement, parce que dans cette mesure, la France, ou telle autre nation, prenait en l’occurrence la place de l’Israël biblique. La question était de savoir si Israël était « une nation comme les autres », du fait de son organisation étatique, de sa qualité de membre des Nations Unies, ou si elle faisait exception. Tout ce qui s’appliquait à un autre Etat serait factice, sauf dans un cas : Israël.

Le P. Antoine Guggenheim, du collège des Bernardins, héritier spirituel du cardinal Lustiger, s’essaye à cette réflexion dans la dernière livraison de la revue « Cités » consacrée à « Sionismes/Antisionismes » : sous le titre trop modeste « Point de vue d’un catholique sur le sionisme », en bon théologien, ce que je ne suis pas, il fait les distinctions nécessaires au niveau de la méthode entre philosophie politique et « herméneutique croyante de la Bible ». Mais, en écho au motif de Maritain : « distinguer pour unir », il voit une possibilité de les réunir dans « la dimension eschatologique des promesses bibliques » mais, ajoute-t-il, seulement là, faute de tomber dans le « fondamentalisme » :

« Quand je cherche à discerner la Parole de Dieu à l’œuvre dans les paroles et les événements de l’histoire naturelle et de l’histoire humaine, et le sionisme en fait partie, quand je lis l’histoire à la lumière de la Bible et de son herméneutique catholique, à la lumière de la résurrection du Christ et de la fin de l’histoire, c’est peut-être la manière la plus radicale pour la raison humaine de désacraliser les réalités politiques et de déclarer inachevées les productions historiques, et donc d’en apprécier la valeur provisoire. »
Chercher à inventer une théologie du sionisme s’explique, selon lui, d’une part par le fait qu’il y a depuis deux siècles une théologie de la dispersion d’Israël, d’autre part par l’entreprise évangélique américaine des chrétiens sionistes. Ni mépris ni millénarisme, que doit être la juste approche chrétienne du retour à Sion ?

Pour le P. Guggenheim, là où il rejoint la tradition rabbinique, le sionisme « n’est pas l’accomplissement des promesses eschatologiques, mais il peut en devenir l’instrument – sans que cela soit nécessaire à sa légitimité juridique pleinement garantie – s’il contribue à une présence juste et sainte du peuple juif sur la terre d’Israël ». Il suggère donc d’approfondir plus la voie de la philosophie politique où le sionisme est vraiment une idée neuve et une mise en question de « l’histoire humaine mondialisée » que le second versant, l’herméneutique biblique, qui, certes, s’applique toujours au peuple juif, ainsi que le reconnaît aujourd’hui l’Eglise mais qui ne saurait être confondue avec une forme historique particulière.

Il y a là une grande avancée conceptuelle qui amène à se pencher sérieusement sur la portée du sionisme dans l’histoire des idées politiques, mais un peu tardivement et au moment où l’on s’interroge sur l’épuisement du dit concept. La question existentielle pour Israël est en effet de savoir si le sionisme – qui d’ailleurs est divers – et qui est à l’origine de la création de l’Etat suffit aujourd’hui à la pérennité de celui-ci, si la vision des pères fondateurs est toujours vivante, hors ce que notre auteur appelle « l’herméneutique biblique ». Si l’on peut parler d’un « proto-sionisme » pour la première période, nous serions aujourd’hui confrontés à un « post-sionisme ». Coincé entre les deux, le sionisme n’aurait-il été qu’un état transitoire et désormais dépassé ?

Du point de vue politique, « il apparaît que l’Etat d’Israël, écrit le P. Guggenheim, n’existe pas parce que la Bible donnerait cette terre à ce peuple, mais parce que l’ONU en a décidé ainsi. » Mais alors, pourquoi avoir créé cet Etat dans l’Israël biblique et pas en Ouganda ou au Caucase ? L’approche onusienne pure est trop positiviste au sens de Hans Kelsen, cité par le pape Benoit XVI lors de son dernier voyage en Allemagne.
Du point de vue religieux, la notion d’affaire privée en démocratie, et la laïcité, derrière laquelle se retranche le P. Guggenheim, n’a pas le même sens – il le sait pertinemment – pour le judaïsme et pour le christianisme – et encore, un certain christianisme. Dès lors, on se perd un peu entre Etat israélien, y compris pour les non-Juifs, Etat juif, mais pas de tous les Juifs. Mais qui s’y retrouve ?

Après une théologie chrétienne du judaïsme, de l’Etat d’Israël, du sionisme, la prochaine étape sera de poser la question de l’Etat juif que défend l’actuel Premier Ministre Netanyahou. A suivre donc