Pour être vertueux, soyons imprudents ! - France Catholique
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L'incroyable histoire des chrétiens du Japon
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Pour être vertueux, soyons imprudents !

Dieu vomit les tièdes, prévient la Bible. C’est pourquoi il ne faut pas craindre, par paresse ou excès de prudence, de faire fructifier le talent que Dieu nous a confié.
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Azulejo, église Saint-François, Brésil. : Fuir le vice est une vertu (Horace).

Philippe Lissac / Godong

Le refrain contemporain du « sans risque », dans tous les domaines, est une offense faite à la vertu de prudence. Pour que cette dernière puisse fleurir, encore faut-il ne pas craindre l’imprudence, ne pas se recroqueviller, ne pas considérer qu’être timoré est la clef de la réussite et de la moralité. Certes, il ne s’agit pas de cultiver l’imprudence comme vice, celui qui est dénoncé par saint Thomas d’Aquin lorsqu’il souligne l’inconstance et la précipitation propres à ce travers (Somme théologique, IIa-IIae, q. 53). L’imprudence bénéfique est celle qui, après mûre réflexion, conduit à découvrir des continents et à conquérir des mondes. Sans elle, Christophe Colomb et Magellan ne seraient pas partis à l’aventure. À ne jamais vouloir faire un pas en dehors de la route familière, l’homme se condamne à la médiocrité et à macérer dans ses petits péchés, à végéter dans ses habitudes, ni bonnes, ni franchement mauvaises.

Graine de folie

Une telle lâcheté incommode les âmes de feu qui préfèrent – comme saint Antoine le Grand abandonnant tous ses biens pour se retirer au désert ; comme saint François d’Assise se dépouillant de ses habits pour épouser Dame Pauvreté au grand dam de ses proches ; comme saint Charles de Foucauld passant de l’obésité des plaisirs à l’ascétisme le plus extrême – ignorer les règles communes et bienséantes. Les prophètes, les héros et les saints n’existeraient pas sans cette graine de folie qui fait éclater tous les cadres, et le monde serait alors bien triste et stérile.

Toute création humaine comporte une part de cette imprudence vertueuse qui déploie en l’homme toutes ses capacités réelles, que le lot commun risque souvent d’étouffer. Il est parfois plus facile à un grand pécheur d’être retourné par la grâce qu’à une âme tiède d’aimer sans réserve. Marcel Jouhandeau, ce catholique torturé, écrit ainsi : « Il n’est pas de mal plus haïssable que le mal qui ne porte pas sa peine, que le moindre péché, que le péché véniel, que le péché “prudent”, que le plus petit péché, que le péché qui pèche contre l’imprudence » (Éloge de l’imprudence).

Le monde, l’Église elle-même à cause des hommes qui la composent, se rabougrissent lorsque la peur les gouverne et lorsque le juste milieu devient le choix délibéré. Le chanteur Jacques Brel a ce propos qui fait mouche : « Nous savons tous les deux que le monde sommeille par manque d’imprudence » (Jojo, 1977).

Confort sans surprise

Tout chrétien soucieux de prendre au sérieux l’appel du Maître sait à quel point le Christ a fustigé, par charité et miséricorde, ceux qui préféraient enterrer le talent reçu par crainte de ne pouvoir le rendre par la suite. Notre-Seigneur a fait l’éloge de ceux qui prenaient des risques, qui étaient imprudents par zèle et par amour. L’imprudence qui lui plaît est celle qui a pour unique souci d’aimer davantage.