Midi. À la pointe du Grouin du Sud, à un quart d’heure d’Avranches, la quarantaine de chefs et cheftaines d’unités, de routiers et de guides-aînées venus de Caen (Calvados) et de Tours (Indre-et-Loire) entrent pieds nus sur les prés-salés. Face à ces « aînés », comme on les appelle chez les SUF, une immense étendue de ciel et de terre se déploie, devant et au-dessus. En ligne de mire : le Mont-Saint-Michel. Bien visible depuis ce point de départ, le rocher de l’archange saint Michel fixe l’horizon comme l’étoile polaire fixe un cap aux aventuriers.
« On est ici dans une démarche de pèlerinage », prévient François, l’un des deux seuls guides accrédités de la baie proposant une animation spirituelle (lire encadré). Les jeunes pèlerins, encore amassés en grappes désordonnées, se rassemblent et se tournent maintenant vers le Mont pour prier. « … Que ce passage, que nous nous apprêtons à faire, nous permette de nous rapprocher de ton cœur aimant », récitent les nouveaux miquelots, en lisant le feuillet préparé pour l’occasion par François.
De la boue jusqu’aux chevilles
En route. Direction ouest/sud-ouest. Les pieds s’enfoncent jusqu’aux chevilles, dans la boue épaisse mais liquide – la tangue. La cohorte s’allonge : les plus agiles devant, avec François, les plus incertains derrière. Une guide-aînée glisse et « repeint » sa jupe-culotte. D’autres se tiennent la main pour éviter un tel sort. Cahin-caha, tout le monde suit. Première pause au bout de trois quarts d’heure de marche : François explique, démonstration à la clé, le fonctionnement des sables mouvants. Rires, excitations, emballement : chacun s’essaie à remuer le sol. Plusieurs s’enfoncent allègrement jusqu’aux genoux.
Les miquelots repartent. Jérémie, un routier de 17 ans, grand brun à lunettes, exprime sa joie : « C’est extraordinaire, ici ! Ça aide vraiment à s’émerveiller de la création ! » Le Père Louis Cabouret, clergyman et pantalon noir retroussé jusqu’aux genoux, avance au milieu des jeunes dont il est l’aumônier. Il a déjà fait le pèlerinage au Mont « cinq ou six fois. Mais ça reste toujours nouveau », glisse-t-il en souriant. « Ici, la beauté de Dieu rayonne. »
L’environnement est en effet grandiose, même s’il fait gris et que le temps est maussade. Le vent est frais. Le froid se fait d’autant plus sentir sur les pieds que, désormais, le groupe avance dans une étendue d’eau.
François arrête la marche pour donner quelques explications sur le mascaret, une vague pouvant atteindre plusieurs dizaines de centimètres lors des grandes marées et qui, dans la baie, remonte le cours des trois fleuves côtiers : la Sée, la Sélune et le Couesnon. L’aumônier profite de cette nouvelle pause pour lancer : « Je vous rappelle qu’aujourd’hui, 25 mars, nous fêtons l’Annonciation. Nous pouvons demander au Seigneur de nous fortifier dans la foi, à l’image de Marie qui a dit “oui” quand l’ange lui est apparu. »
On repart. En silence cette fois-ci, pour respecter la demande du guide de marcher pendant dix minutes seuls, espacés les uns des autres. Histoire de savourer un peu plus le mystère alentour et de se recueillir pour prier dans la paix majestueuse de ce désert minéral et liquide. Le clapotis des pieds dans l’eau est le seul bruit vraiment distinct de la baie à ce moment-là.