Passion de Jésus - France Catholique
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Passion de Jésus

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Qu’ai-je donc vu ? Qu’ai-je compris ? Comment le dire ?

Pourquoi ainsi me questionner ? Pourquoi faire ?

Guérir la honte ? Serait-il possible de me taire

quand mon âme veut oser l’aveu, sachant le pire ?

Avoir honte, je le sais, l’avant-pas même de l’amour,

la connaissance du cœur et le chemin du retour !

.

Or, devant la servante, nous, plus lâches que Pierre,

plus avares de pitié que le rocher du Golgotha,

plus fourbes que le pendu au tronc d’un lierre,

nous avions, prudents, pris le large d’un air crâne

après avoir hurlé — jusqu’aux crachats de sang —

« Barabbas ! Barabbas ! », pour à peine un sou vaillant !

.

La peur, l’angoisse, l’effroi ? Probable, même certain.

Mais qu’allez-vous penser ? Nous avions tout écouté,

tout entendu, compris. Aussi refusé obstinément, d’instinct.

Terrible instinct, très sûr et si féroce, aussi précis

que celui dit de conservation, ou de survie !

.

Affreux visage que le nôtre dans le cri !

.

Pour cette unique fois où l’on nous demandait ceci,

pour cette seule fois où Dieu nous invitait,

où Dieu nous conduisait, nous prêchant le bonheur,

nous exhortant enfin d’aimer qui nous aimait,

là, oui, nous avons reconnu ce qu’est la peur,

car où cela s’arrête on ne le sait jamais.

.

Le coup du petit doigt pour la main tout entière,

nous connaissions déjà, et n’étions pas d’accord !

Comment répondre oui quand tout votre vestiaire

pour un pauvre miteux, il est tiré au sort ?

Puis, étaient présents dans le Temple de Yahvé

— et c’était décisif pour nous, hommes de main et d’occasion — tant de Juifs

sérieux qui entouraient leurs prêtres,

avec l’air de savoir, d’une science certaine,

à leur visage, lame affûtée d’obsidienne,

de posséder la vérité des grands ancêtres

sur la Loi dite par Moïse et que Dieu fit

plus forte que nos vies, et sachant de tout le juste prix !

.

Nous y tenions très fort, et pour cause, à la bonne opinion

de tous les Sanhédrins et des académies,

secrétariats généraux, chapitres et autres réunions,

cénacles fermés, cercles de complices,

sociétés occultes où chacun est inscrit

en des registres secrets plus obscurs que la justice !

Aussi des bistrotiers si fiers de leur sollicitude,

chez qui poser le soir le manteau de nos solitudes !

Pas de gloire à jamais, ni nos salutations,

pas de triomphe non plus ni nos bénédictions,

ni l’orage de nos criailleries ! Car si Lui d’avance

l’avait voulu, Il l’aurait eue, sa part de chance !

Que n’a-t-Il apaisé les douleurs de nos faims ?

Que n’a-t-Il changé pour nous les pierres en pains ?

Comme à Cana, que n’a-t-Il des égouts changé l’eau

en vin de pure joie, ivresse du destin ?

Ah ! c’est vrai, nul triomphe, nulle gloire, rien

pour nous aider ici, rien que l’affreux Ecce Homo,

ce mot inaccepté que prononça le gouverneur Pilate !

Ecce Homo ! Vous L’auriez vu, vous auriez compris sur le champ.

Ni Dieu, ni roi, ni prophète, ni notable, et pas plus l’Homme :

un pauvre animal de rien, effrayant à regarder, un misérable

qui titubait, hagard, manquant à chaque pas de choir

au pied du Préfet, debout, lui, droit dans ses bottes !

.

Il fallait Le voir comme enfoui dans son malheur,

bête écorchée, dont chaque pas infirme faisait peur.

Vous pouvez faire les farauds, avec vos péchés

et le reste, la crapulerie, la monstrueuse cruauté,

mais si vous aviez vu ce vilain corps à bout de tout,

vous n’en auriez pas même donné dix sous.

.

Auriez-vous aperçu le Fils de Dieu dans ce chiffon de sang,

loque lamentable gravissant son effrayant calvaire,

sous la grêle des coups agneau sourd titubant ?

Alors Il fut conduit, d’insultes en misères,

de chutes en injures et jusque sur le champ

où l’on dit qu’est enfoui le squelette d’Adam.

L’horrible lieu maudit — trois fois impur, où jamais n’allaient

les gens recommandables ni les gens honnêtes —,

grouillait d’une foule venue comme à une fête !

Vite, devant eux, à coups précis, les soldats enfonçaient

les clous ronds dans ses poignets, carrés dans ses pieds sanglants

qu’avaient blessés les ronces et les cailloux coupants.

Très haut, si nu, ils L’élevèrent au-dessus de tout, l’esclave fou !

.

Oui, je le dis : ils L’élevèrent, l’impur, au-dessus de nous !

Sur la croix verticale, il devint comme un phare sur la mer.

.

à ce moment-là, nous étions par bonheur déjà loin partis :

c’était avant, au prétoire, que nous avions battu le fer,

et, selon les besoins des juges, poussé, hurlé nos cris !

Ça n’était pas pour nous cette besogne de l’après !

Voir ce sang noir, ces mouches qu’affolait la sueur, ces plaies,

non, nous n’avions pas le cœur à cela, ça ne nous disait rien.

Tout de même, dites, nous ne sommes pas des chiens.

Aurions-nous pu contempler ça de face et laisser faire ?

À de certains moments le mieux est toujours de se taire.

.

Nous avions, par prudence, aussi par un dégoût

bizarre qui nous prenait au cœur plus encore qu’au ventre,

détourné nos pensées vers l’horizon alors d’un rouge

qu’enflammaient les rumeurs de l’orage et du désastre.

Le sol fut soudain pris d’un tremblement d’astre

et Jésus dit roi des Juifs mourut dans un râle.

.

Sachez-le, certains de ses amis L’avaient décloué, déjà,

et de sa croix haute délivré. Ils l’enlangèrent

dans un voile de lin que Joseph le Riche lui donna,

puis au sein très doux de la terre enfin Le confièrent.

Oui, je le dis ici comme malgré moi, récit inoublié…

Le ciel si grand sur ce mort pour toujours s’était fermé.

* * *

Un mort de plus, comment oser le dire ? Un de plus seulement,

dans la marée montante des suppliciés de tous les temps ?

Nous aussi demain, non ? allongés au fond de nos cercueils,

nous tomberons perdus comme meurent les feuilles :

alors que viennent sur nous, sournois, l’automne et la froidure

dont notre pauvre cœur gardera la morsure !

Mais que dis-je, quelle folie me monte au cerveau ?

Cela n’a rien à voir ! La question est tout autre !

Un de plus vraiment ? Ou bien est-Il le Seul ? Ou le Premier ?

Un feu obscur couvait en ce corps lavé de larmes folles,

que nous ne savions pas enfoui dans cette Mort

et dont notre nuit serait à jamais effacée.

On se disait : comment a-t-elle fait pour Le vaincre ?

Une roue de pierre scella sa nuit en silence.

Je dis ces mots comme ils me viennent, dans la crainte

d’oublier ceux-là même dont s’éclairerait son absence !

Oserai-je demain tenter d’en percer le mystère

afin que transparaisse dans ma nuit sa lumière ?

Dans Jérusalem stupéfaite et muette, nous errions

gorge serrée ! Allez savoir pourquoi, nous pleurions.

Sur nous la ténèbre était tombée, noir silence,

tombe d’ombre où sombraient nos violences.

Une sorte de paix succédait à l’horreur

Dont pourtant demain surgirait le miracle.

Des morts enfouis dans les anciens temps comme hier

sortis de dessous terre hurlaient le nom du Christ,

entré dans le temps de sa veille en la tombe lustrale.

Nous, l’esprit hagard, nous courbions la tête

dans nos trous de pierre. Quelque remord, peut-être ?

Un repentir ? Nous en étions tous bien incapables,

le cœur sec en sa misère et notre âme surprise

de voir la nature entière à ce point démise,

à panser ses plaies tout occupée dans les ténèbres

d’un étonnement cosmique, d’un poème funèbre.

Certains burent dans des tavernes à la victoire

de leur ordre. Mais où, désormais, trouver l’ordre et la gloire ?

.

Tout avait basculé. Au Temple, la fumée,

en l’honneur de Dieu des agneaux grillés,

rampait au sol, grasse, visqueuse, lourde,

ignoble. Elle coulait avec nos prières sourdes

dans les caves et les égouts, jusqu’aux latrines

emplies glorieusement d’urines purpurines.

.

Au Jardin, devant la tombe, veillèrent jusqu’au matin

les doctes du Sanhédrin, scribes et pharisiens,

tous dans cette affaire scabreuse associés au juge romain.

Une haie d’hommes de main se dressait, arme au poing,

devant la pierre roulée, face à Dieu pour L’empêcher

d’oser faire un miracle ou bien de Se montrer.

En nous pourtant nous ressentions une attente surgie

on ne sait comme, non dite, aveu d’un noir effroi.

Nous la sentions monter, malgré l’écho de rudes voix

dans notre larynx par le silence saisi :

qui donc était ce Jésus dit le Fils de Dieu

alors qu’Il était entré dans la mort

comme s’Il avait librement livré son corps ?

.

Oh ! vous qui vers Lui êtes revenus en amis, en frères,

tandis que fuyaient ceux qui L’avaient méconnu,

voyez cela qui jamais ne s’était vu :

la nuit pleurait, le ciel pleurait, et pleurait aussi la terre.

Le voile du Temple en deux s’était déchiré

— cela s’est passé, nous pouvons l’affirmer.

.

Par cette blessure de l’Histoire, notre Histoire,

avait sombré l’étendue en une nuit noire.

L’ardent paysage de toute la Judée

attendait, tout attendait, et la terre embrasée

de larmes, femme accouchant la mort, tremblait d’un chant

déjà baigné de sang — le sang réclamé sur nos têtes

au prix de Barabbas le bandit — et Dieu même attendait.

.

Oui, Jésus fut enroulé dans des étoffes obscures,

— replis de nuit qu’ourlait ici un doux murmure,

cri muet d’amour très sourd à travers le temps

de l’origine jusqu’au présent de l’instant —,

des langes qui découvriraient enfin son corps

tel que devait nous le redonner la Mort.

En la nuit reposait, sous le voile de Moïse,

le Fils du Créateur, le Premier-né, l’Unique

encore à surgir dans la lumière sans reprise.

Comme en un sablier se contractait l’espace :

alors le temps — notre berceau, notre tunique —

dut se plier à graver de son corps la trace.

.

Malgré le cri ancien de révolte, de refus,

— « Non serviam », avait hurlé l’Ange perdu —

vint l’heure qu’en braise pour nous se change la cendre.

Entendez-vous ici ce qui ne se peut comprendre ?

Allez ! je sais fort bien ce que nous avons fait :

nous avons, inconscients, aidé à sauver le monde.

.

Paroles absurdes ? Mots indicibles ? Oui,

certitude folle et folle plus que la folie :

en laquelle pourtant sur le sable des âges

s’accomplissait de Dieu l’ancien message,

la prière unique de ce shabbat unique en l’heure

où le Fils prit son repos passés les jours de son labeur !

.

Fécond sommeil qu’abreuvent les larmes du Père.

.

Puis, comme le Sanhédrin réduit à l’impuissance,

Rome, avec son peuple de dieux et de soudards,

Rome ne put, malgré le surpuissant appareil

de ses tchéquistes et ses aparatchiks,

empêcher la mort d’éclater en vie,

la pierre de danser, sauter, bondir

comme pour débonder la source de l’amour.

Alors, et ma voix s’éprend de sa propre flamme,

— et de son propre vertige mon âme —

alors, de l’ombre très obscure, très douce nuit,

— maternelle alcôve —, celui qui le désire

en un ardent vouloir a pu voir venant

à sa rencontre, venant à son devant,

venant à sa hauteur et se penchant vers lui,

lumière plus tremblante que le bonheur,

le seul vivant porteur de vie, le seul dont le cœur

déchiré, dont le cœur ouvert, transpercé

— source retrouvée enfin débondée —

a laissé jaillir, semé, confié à l’infini,

l’héritage jamais divisé mais à tous réparti :

l’eau plus que féconde, le vin plus que chaleur,

la chair d’une satiété plénière et éternelle.

Voici le Soleil, l’Amen, le Fils, l’Agneau vainqueur,

Celui qui ouvre, introuvable, enfin la Porte

qui sépare ce qui enferme et ce qui délivre

ainsi qu’annoncé par les prophètes dans le Livre.

Celui, passant le premier pour que fleurissent le désert,

qui change à jamais la nuit en lumière

et restaure l’esprit de l’éternelle enfance.

.

«Vers qui irions-nous si ce n’est vers Toi-même ? »

à qui tendrions-nous nos mains ouvertes et vides

sinon vers Toi qui accomplis le verbe Vivre ?