Parmi les épines - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Parmi les épines

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Examinons l’explication que donne le Seigneur d’une partie de la Parabole du Semeur :

Quand à la semence qui tombe parmi les épines, ce sont ceux qui ont entendu la parole, mais en chemin, ils sont étouffés par les inquiétudes, les richesses et les plaisirs de la vie, et ils échouent à produire du fruit. (Luc 8 : 14)

C’est un refrain dans la Bible comme dans la vie : c’est pourquoi nous avons des yeux et ne voyons pas – c’est pourquoi nous trébuchons.

Nous pouvons être pardonnés car… qui a réellement compris ? Y a-t-il une personne dont on puisse dire qu’elle a sans l’ombre d’un doute « vu » (compris) la véritable identité de Jésus-Christ pendant sa vie terrestre ?

Marie ou Joseph peut-être ? On peut être tenté de relire l’Incarnation à travers les exclamations de Siméon et Anne. Pourtant Luc (2 : 23) expose tout à fait clairement à propos de ces prophéties que Marie et Joseph « s’étonnaient de tout ce qui était dit le concernant (Jésus) ». S’étonner n’est pas une preuve irréfutable qu’ils n’étaient pas pleinement conscients de la divinité de Jésus, mais cela le suggère.

Ce que savaient les bergers et les mages, ce qu’ils avaient réellement compris du message des anges ou des étoiles, n’est pas plus clair. Et il n’est que trop évident dans les Evangiles que tous les autres étaient dans la plus grande confusion.

Dans le judaïsme biblique, un messie (un « oint ») était un roi, un grand prêtre ou un prophète établi sous l’égide de la sainteté, et il y en avait un grand nombre en Israël à l’époque de Jésus. Même l’éminent roi des Perses, Cyrus le Grand, était appelé messie, et il n’était même pas juif (Isaïe 45 : 1). De fait, quiconque avait reçu la chrisma – avait été oint, soit réellement au Temple soit symboliquement par Yahvweh – était messie.
Bien sûr, ce n’est qu’une partie de la tradition. Il y avait également -il y a encore – l’espoir d’un libérateur apocalyptique, un libérateur qui, comme Moïse, conduirait le peuple juif vers la liberté, et gouvernerait dans les Derniers Jours, rétablissant les Juifs dans leur place de Peuple Elu, comme dans ce dialogue entre le voyant renégat Balaam et le roi Balak (Nombres 17 : 19)

Je le vois, mais pas pour maintenant,

Je l’observe, mais pas de tout près :

Une étoile sortira de Jacob

Et un sceptre surgira d’Israël…

Bien que le Messie doive être oint par Dieu, on était dans l’attente d’un chef terrestre puissant, vainqueur des ennemis d’Israël. Selon les mots de Maïmonide :

En ce temps-là il n’y aura plus ni faim ni guerre, ni jalousie ni rivalité, car le bien abondera… L’univers se consacrera uniquement à la connaissance de Dieu.

C’est la raison pour laquelle la plupart des Juifs n’ont jamais accepté Jésus comme Messie. Ainsi que l’a écrit un érudit, il y avait un meilleur candidat, Simon bar Kokhba, le chef révolutionnaire qui a vécu un siècle après Jésus, qui a combattu les Romains -« attaquant la 10e Légion par surprise et reprenant Jérusalem » – et qui a rétabli les sacrifices sur les ruines du Temple (détruit par Rome en 70 après JC) qu’il jura de rebâtir.

C’est ce que le peuple juif attendait… et Jésus n’entrait absolument pas dans le moule. En fin de compte, pourtant, [Rome] a écrasé la révolte de Bar Kokhba et l’a tué. Après sa mort, tous ont admis qu’il n’était pas le Messie.

Le terme « mashiach » (ou mosiach) est maintenant préféré par de nombreux juifs parce que « messiah » (messie) est devenu indissociable de Jésus. Depuis la mort de Kokhba, le messianisme juif est devenu apocalyptique, créant une ironique unité entre juifs et chrétiens fervents.

Quand les gens croisaient Jésus marchant dans les rues de Nazareth, de Jérusalem, ou d’ailleurs, y a-t-il eu quelqu’un pour le reconnaître – à l’exception des anges et des démons ? Au summum de sa célébrité ( c’est à dire à la veille de sa mort), même les Apôtres ne voyaient en lui qu’un simple humain, même si c’était un homme extraordinaire, à l’évidence choisi par Yahweh. Pour quelques-uns, il était le Messie, mais il n’y avait pas un Juif en Israël pour croire que le Messie pourrait être le Créateur lui-même.
Sinon, pourquoi Jean-Baptiste, quand même le plus proche cousin du Christ, aurait-il demandé depuis sa prison : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Et les exemples de doute et de désarroi parmi les apôtres sont trop nombreux pour être énumérés, notamment en ce qui concerne Saint Pierre : reniant son Seigneur par trois fois, lui faisant des remontrances pour vouloir aller mourir à Jérusalem (provoquant la réprimande de Jésus « Passe derrière-moi, Satan ! ») et jugeant Jésus comme égal à Moïse et Elie lors de la Transfiguration.
Nous nous souvenons de l’histoire du « doute » de Thomas, qui ne voulait pas croire à la Résurrection sur le témoignage de ses frères et soeurs, mais seulement s’il touchait les blessures du Christ ressuscité. Quand il les a enfin touchées, Thomas s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu », à peu près la réponse de Pierre -inspiré par Dieu – à la question de Jésus : « Mais vous, qui dites-vous que je suis ? »

Matthieu rapporte que Pierre s’écrie : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu Vivant. »

Pourtant, seulement sept versets plus loin (16 : 13), arrrive le reproche du Christ le traitant de « Satan », avec une fin qui fait mal : « tes pensées sont celles des hommes, pas celles de Dieu ».

Sa couronne d’épines est peut-être un rappel que notre monde regorge de ronces : « les inquiétudes, les richesses et les plaisirs de la vie… »
Remercions Dieu pour ses paroles à Thomas après la profession de foi de l’apôtre : « En es-tu venu à croire parce que tu m’as vu ? Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. »

Et il s’agit de nous – nous le petit reste, nous les fidèles – si, bien sûr, nous pensons à la manière de Dieu. En nous disant : nous avons une perspective d’éternité dans une existence temporaire ; nous recherchons la vertu en dépit de nos péchés ; et nous l’aimons par-dessus tout, dans ce monde rempli d’épines qui entretient l’hostilité en toutes choses, petites et grandes.


Brad Miner est rédacteur à The Catholic Thing, membre de l’institut Foi et Raison, et membre du bureau de Aide à l’Eglise en détresse USA. Il est l’auteur de 6 livres et formateur en édition littéraire à National Review.


Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/among-thorns.html

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illustration : la Sainte Famille et Jean-Baptiste enfant, par Niccolo Frangiapane (1595)