A moins qu’il n’arrive quelque événement imprévu cette semaine — peut-être même avant que vous ne lisiez cet article, cher lecteur — la Cour Suprême aura décidé si l’Obamacare 1 viole ou non la Constitution. Les partisans de la loi sont très inquiets. Le New York Times, par exemple, a fait tant d’efforts hier pour adoucir le coup potentiel que leurs articles ressemblaient à des conseils aux personnes dans la peine.
Mais comme le tribunal est divisé, l’issue ne sera peut-être pas ce à quoi l’on s’attend et la réforme de la santé pourrait survivre à l’examen de la Constitution. Annuler la loi, naturellement enlèverait la menace la plus manifeste à la liberté de religion — pour le moment. Et nous aurions aussi la preuve tangible que tout n’est pas perdu pour la Constitution. Mais ne vous y trompez pas : Le combat continuera de toute façon, sous d’autres formes.
Le fait que les évêques soient dans les tranchées indique que c’est un effort très sérieux.
Si le mandat individuel — obligeant les gens à acheter une assurance santé — est la seule partie de l’Obamacare déclarée contraire à la Constitution, la bataille se déplacera alors aux quarante-trois procès accusant l’administration d’avoir l’intention de forcer les institutions affiliées à des cultes religieux de fournir des moyens de contraception, de stérilisation, et des traitements pouvant causer un avortement gratuitement, en plus, ce dont presqu’aucun autre processus ne bénéficie.
Les récentes décisions du Tribunal protégeant la liberté religieuse sont encourageantes, mais le seul fait que nous soyons dans cette situation suggère une toile de fond beaucoup plus large et plus sinistre pour ces cas que l’on doit reconnaître et défier.
Un ami savant — philosophe politique accompli — a déclaré récemment que nous ne devrions pas penser que c’est notre faute si l’Eglise ne réussit pas à défendre la liberté de religion et se voit obligée de devenir un genre de secte en Amérique, comme les Amish 2. Cette déclaration était audacieuse, faite en public, parmi un groupe de gens qui, comme lui, ne sont pas heureux devant cette perspective.
Mais il soutient qu’à cause de la nature « relativement moderne » de la Convention Constituante américaine, qui dépend de la langue du droit et de sa faible relation avec la tradition de la loi naturelle, un tel développement était possible depuis le début. Maintenant nous nous sommes avancés très loin dans un processus que l’Eglise n’a pas tout le pouvoir d’arrêter.
Il a raison. Depuis des dizaines d’années, les écoles de droit se sont efforcées furieusement de redéfinir les droits et leurs fondations de manières de plus en plus radicales. Le président, par exemple, ne faisait que répéter ce que disent ces institutions, il y a quelques mois, quand il a déclaré que « la santé des femmes » est un droit fondamental – plus fondamental, semble-t-il, que le premier amendement sur les protections de la liberté de religion.
Depuis un demi-siècle, de nombreux Américains ont fait de déplorables expériences de vie et, malgré l’évidence de plus en plus grande des désastres qu’elles causent (pour le mariage, les enfants, la communauté, la délinquance, la santé, parmi tant d’autres), elles semblent ne plus encourir de critiques dans les institutions publiques telles que les écoles, les agences d’assistance sociale, et les bureaux du gouvernement.
Mais si mon ami a raison sur la question des Catholiques qui n’acceptent pas le blâme et ne se sentent pas coupables s’ils ne réussissent pas – même Jésus a « failli » selon les termes strictement humains – je ne suis pas prêt, et je pense que personne d’autre ne devrait être prêt à regarder stoïquement l’Amérique échouer encore une fois dans l’histoire de l’humanité.
L’Eglise ne peut pas construire une société, et personne d’autre non plus : même la nouvelle évangélisation offerte par Rome – que je soutiens 100 pour 100 – ne peut pas être sûre de ses moyens de conversion ni prédire ce qui en résultera. Seul Dieu est le maitre de l’histoire.
Mais si nous ne sommes pas tout à fait arrivés à cette bataille cosmique, quelques-uns d’entre nous croient encore que la vieille dame a toujours son mot à dire. Il n’existe pas de manière plus sûre de hâter le déclin de l’Eglise que de suggérer que les gens, et particulièrement les personnes religieuses, n’ont peut-être aucune influence sur l’avenir.
Les radicaux sociaux parlent beaucoup de l’ « inévitabilité » du « mariage » gai, de la couverture universelle pour la « santé des femmes » (qui comprendra bientôt l’avortement, espèrent-ils), des restrictions sur l’influence religieuse dans les lieux publics – et de l’accueil favorable des lois sociales à l’ordre du jour. Ces changements étant inévitables, nous sommes censés ne pas essayer de les bloquer.
On ne parle pas de la tendance très réelle à épouser les vues pro-vie – ni du simple fait que les personnes religieuses ont plus d’enfants. Et que ces enfants tendent à acquérir et garder des vues non-radicales.
Mais, dans ce domaine comme dans d’autres, on ne peut pas penser comme des ingénieurs sociaux. Les défis spirituels et moraux demandent des réponses spirituelles et morales. Oui, à la fin, la démographie pourrait bien conduire ce pays et le monde dans une direction beaucoup plus saine. Mais rien n’est automatique ou seulement mécanique quand il s’agit de questions sociales.
Considérez seulement le fait que l’Américain moyen – y compris l’Américain catholique moyen – passe maintenant treize ans dans des écoles publiques où des parents du même sexe sont vus comme un autre genre de famille ; n’importe quelle opposition à l’homosexualité est immédiatement classée comme homophobie ou paroles de haine – i.e., maladie mentale ou conduite criminelle ; et plus important que tout, apprendre à « penser par soi-même » veut dire faire ce que l’on veut et considérer les valeurs de vos parents comme des préjugés.
Et nous ne sommes pas encore à l’université ni dans les écoles supérieures.
Et quand vous considérez que travailler dans le domaine de l’éducation, le journalisme, le droit, la médecine, la plupart des grosses corporations, et même de servir dans l’armée, demande maintenant que vous brûliez au moins un peu d’encens devant les idoles de l’Etat, vous voyez clairement les dimensions de la tâche.
Etant données les circonstances, il est incroyable que nous soyons restés aussi sains d’esprit que nous le sommes et que nous ayons gardé notre foi comme nous l’avons fait.
Nous pouvons éviter que de mauvaises situations deviennent pires en soutenant l’Eglise — et finalement l’Amérique — quand et partout où nous le devons. Mais une victoire à ce niveau maintenant doit devenir un éperon qui nous porte plus loin vers la tâche beaucoup plus importante de réformer les institutions et la culture tout entière.
Reconnaître que, en dépit de tous nos efforts, cela ne dépend pas de nous, relève d’une vraie sagesse. Et il est possible que, même ici, l’Eglise « échoue » et doive subir un genre d’exil interne. Cela lui est déjà arrivé, elle a survécu et en est ressortie plus forte encore.
Mais il n’y a pas d’excuse pour ne pas essayer tous les chemins et toutes les actions possibles tandis que nous avons encore du temps, de la lumière et des occasions.
Robert Royal est éditeur en chef de The Catholic Thing, et président de l’Institut Foi et Raison à Washington, D.C. Son livre le plus récent s’appelle The God That Did Not Fail: How Religion Built and Sustains the West, il est disponible en édition de poche à Encounter Books.
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Tableau : La crucifixion de St Pierre par Caravaggio (1601)
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/what-if-we-fail.html
NDT : Obamacare : Acte pour la protection du patient et les soins à la portée de tous.
NDT : Amish : groupe de chrétiens de Pennsylvanie. Ils vivent et s’habillent simplement et refusent la technologie moderne. Ils ne se mêlent pas aux autres.