La campagne Obama a été un modèle du genre. Avant de gagner les votes, il aura bénéficié du plus important soutien financier jamais amoncelé. C’est déjà un signe fort. Le millionnaire McCain a dû interrompre ses activités dans plusieurs États faute de moyens. Il doit se défendre sur des terres traditionnellement républicaines où Obama a la capacité de le menacer. La crise financière n’a pas vraiment figuré au cœur des débats. Chacun a continué de se comporter comme si le budget public pourrait supporter à la fois augmentation des dépenses et réductions d’impôts. Le plan Paulson qu’ils ont tous deux voté leur suffit pour l’instant. Ils se gardent bien d’aller plus loin. Ils demeurent en deçà des événements, puisqu’ils ne sont pas encore aux responsabilités. Demain sera un autre jour.
En attendant, si Barack Obama domine la situation par son calme olympien, sa certitude de vaincre, c’est surtout la déconfiture de son rival qui frappe l’observateur. McCain semble se dissoudre tout seul. Son agressivité, lors du troisième et dernier débat, les attaques personnelles menées par son camp, notamment sa colistière, révèlent la panique qui gagne ceux qui se voient perdre dans les grandes largeurs. Il faudra remonter loin, 1964 ? pour trouver un précédent de reflux aussi net du camp républicain.
Dès avant l’éclatement de la bulle financière, les néo-conservateurs d’abord, puis ensuite le conservatisme américain dans son ensemble se sont trouvés entraînés dans cette spirale de l’échec. La difficulté de trouver un candidat « nouveau », la résignation générale à un homme aussi terne et gris que le pauvre vétéran du Vietnam, analogue au candidat démocrate opposé à Bush en 2004, John Kerry, le jusqu’au boutisme marqué dans le choix de la gouverneur de l’Alaska, montraient bien que cette idéologie peinait à trouver un second souffle.
Si donc la guerre culturelle est sinon close du moins inopérante, avec son convoi de droite religieuse, de guerre au terrorisme et de monétarisme, l’accent mis sur le changement, sur lequel McCain a contre toute attente dû lui-même s’aligner, signant ainsi son acte de décès, prend toute son ampleur. Mais à ce stade de la campagne, il ne saurait être défini précisément. Il faut éviter de sortir de l’ambiguïté.
On peut néanmoins exclure un changement révolutionnaire. Obama gagne parce qu’il a su se dégager de toute compromission à gauche où l’attendaient ses adversaires. Hillary Clinton y aurait donné prise. Elle aurait supporté de plein fouet les attaques anti-libérales (au sens américain de progressiste ou socialiste). Il a été impossible d’acculer Obama. Les derniers relents de populisme, le traitant comme « différent » ou « étranger » à la majorité de ses compatriotes, ne font que le servir auprès des jeunes et de l’immigration. Les Républicains enragent de ne pas réussir à le cerner d’aucune manière.
Est-il possible qu’Obama devienne le Mandela de la nation américaine, qu’il referme les vieilles plaies du passé, celles de la guerre culturelle sur les sujets de société, mais aussi de la division née de l’esclavage ? On s e prend à rêver. La crise va-t-elle jouer en faveur de la solidarité plutôt que de créer de nouvelles souffrances ? Le parti démocrate retrouverait alors une majorité durable qui ne serait plus fondée seulement sur la chute des modèles économiques libéraux mais sur l’invention de nouvelles formules du vivre ensemble.
Conscient des attentes que sa victoire suscite à travers le monde comme à travers l’Amérique, il a pris soin de se présenter non comme un « messie » iimitant Martin Luther King mais comme un homme ordinaire entouré d’une équipe de vétérans de la politique. Mais Mandela aussi a joué la modestie. Il avait, c’est vrai, plus de 70 ans. Obama n’en a que 46.
Yves LA MARCK