Nouvel Océan - France Catholique
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La France à Rome
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Nouvel Océan

Le Pape Benoît XVI a, avec gravité et en vertu de l’autorité qui lui a été conférée, décidé de passer d’une fonction à une autre. La semaine prochaine, il cessera d’être pape et entrera dans une vie de prière. C’est un grand moment, sur de nombreux plans reliés les uns aux autres, ce dont il est parfaitement conscient.
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Lors d’entretiens anciens, y compris le livre d’entretiens avec Peter Seewald, il avait envisagé l’hypothèse de la renonciation. Mais il y avait principalement traité non du principe mais de l’opportunité. Il avait indiqué que celle-ci ne devrait intervenir qu’à un moment où le gouvernement de l’Eglise serait relativement tranquille et où il se sentirait physiquement incapable de poursuivre.

Il était exclu qu’il renonce à un moment de crise ouverte. Une renonciation en temps de crise serait considérée et manipulée comme étant une réponse à ladite crise, alors qu’il en irait tout autrement. Il avait le devoir de renoncer et d’être vu comme renonçant en toute liberté, sans aucune pression que celle de l’âge et de l’infirmité communs à tout être humain.
C’est important pour la fonction qu’il quitte, mais encore plus pour la fonction qu’il prend. Personne n’est mieux placé que lui – par expérience autant que par sa remarquable intelligence, à la fois inductive et déductive – pour embrasser la situation générale des forces hostiles à l’Eglise et à sa mission.

La Papauté revêt une fonction mystique souvent occultée par ceux qui se concentrent sur les autres fonctions, le gouvernement de l’Eglise, la Pastorale, ou autre. La prière du pape, médiateur entre Dieu et un bon milliard de catholiques, n’est pas la moindre de ses fonctions.

La perception aiguë qu’a le pape de la situation de l’Eglise à ce moment précis de l’histoire ajoute à sa prière. Sa position est non seulement symbolique comme grand prêtre, mais éminemment pratique qui lui permet de savoir exactement ce pour quoi il faut qu’il prie.

Pour réunir les deux bouts de la chaîne, disons que Benoît est parfaitement qualifié, à la fois par la nature de la fonction qu’il a exercée et par ses qualités personnelles, pour entrer dans le jardin de Gethsémani qu’il a choisi.

Les médias répètent la même question tant de fois rebattue : « Sera-t-il le pouvoir dans les coulisses derrière son successeur ? » La réponse doit être affirmative mais dans le sens opposé de celui compris par les médias : le nouveau pape exercera les fonctions liées au gouvernement de l’Eglise et à la pastorale qui vont avec les Clefs (de Saint Pierre), y compris la fonction mystique. Mais il bénéficiera, pendant un temps plus ou moins bref, de la présence de l’ancien pape dans son jardin de Gethsemani.

Par son acte, sans précédent à l’époque moderne, Benoît a également créé un moment sans antécédent pour sa succession. Les habitudes liées à l’élection d’un pape sont bouleversées par cette décision. Le collège des cardinaux ne bénéficie pas cette fois des délais liés à la lente agonie du pape sur son lit de mort, propices à l’émergence de tel ou tel candidat. Le simple fait de la renonciation influe sur la réflexion et les évaluations. Aucune surprise n’est à exclure. L’élection du cardinal Ratzinger fut, rétrospectivement, rendue possible par l’interminable période de souffrance de son prédécesseur. L’élection de son successeur peut très bien être attribuée, lorsqu’on regardera en arrière, à la renonciation soudaine de Benoît, agissant selon la pente de son tempérament, avec une grande humilité, plutôt que de répéter la leçon exemplaire de Jean-Paul II sur la manière dont un catholique doit mourir.

Qu’on le veuille ou non, nous sommes entrés dans une nouvelle époque. Benoît l’a parfaitement compris et s’est efforcé de l’expliquer au clergé de Rome lors de sa dernière audience. Revenant sur son expérience du Concile Vatican II, il a opposé le « Concile des Pères » au « Concile des Médias ». Les horreurs qui ont suivi Vatican II sont venues du « Concile des Médias » qui a grossièrement transposé les questions de foi en des questions de pouvoir, opposant artificiellement des factions, « traditionalistes » et « modernistes », au sein d’un processus bien connu de marche inexorable vers le « progrès ».

Benoît semblait insinuer que le Concile des Médias était parvenu au bout de ses conséquences et que le Concile des Pères faisait sa réapparition. Le projet d’ensemble, qui avait précédé de loin Vatican II, et que l’on pouvait faire remonter au Concile de Trente et à la réponse de l’Eglise aux défis de la Réforme et de la « Mondialisation » commencée en 1492, était toujours là. Ce n’était pas une invention récente, ni quelque chose qui était venu avec les années soixante.

La vie de Ratzinger/Benoît a coïncidé avec cette phase de Vatican II et de sa suite. Jean-Paul II l’avait choisi pour être son ancre de salut théologique. Déjà sous le pontificat de Paul VI, il avait été l’une des forces les plus influentes d’équilibre tandis que l’Eglise se débattait dans les affres de ses conséquences. Sous son propre pontificat, Benoît a pris les mesures nécessaires de ce que j’appellerai le retour à la raison dans l’enseignement, la liturgie ou l’administration de l’Eglise. Il n’a pas résolu tous les problèmes parce qu’ils ne peuvent pas l’être. Mais il a offert des solutions.

Il est le dernier (et je pense le meilleur) de sa génération. Celui qui lui succédera n’aura ni son âge ni son expérience. Il quitte le gouvernail. C’est comme si le cap avait été passé, et que le nouveau barreur allait affronter un nouvel océan et des vents nouveaux.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-new-ocean.html#.USjLWYU8Ss0